Non, Bill Gates n'a pas été "inculpé" pour sa promotion des vaccins anti-Covid par un tribunal néerlandais
- Publié le 14 novembre 2024 à 18:47
- Mis à jour le 19 novembre 2024 à 12:01
- Lecture : 8 min
- Par : Ivan FISCHER, Liesa PAUWELS, AFP Croatie, AFP Pays-Bas
- Traduction et adaptation : AFP France
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"Le milliardaire Bill Gates inculpé par un tribunal néerlandais pour sa promotion des vaccins anti-Covid", assurent depuis fin octobre des publications virales sur X (1, 2), Facebook et Telegram.
La plupart partagent un article du site France Soir, qui a déjà relayé plusieurs affirmations sur le Covid-19 trompeuses ou fausses et vérifiées par l'AFP comme ici, ici ou là. Selon le texte publié le 25 octobre, "le milliardaire Bill Gates sera bel et bien jugé aux Pays-Bas, où il est poursuivi par un groupe de citoyens néerlandais pour 'dommages causés par la vaccination'".
Dès le 24 octobre, l'infectiologue Didier Raoult, au sujet duquel la justice enquête sur des soupçons d'essais cliniques non autorisés à l'IHU (Institut hospitalo-universitaire) Méditerranée Infection de Marseille, avait écrit dans un long message publié sur X que "Bill Gates le numéro 1 des conflits d'intérêts [était] enfin inculpé".
D'autres internautes ont partagé des messages similaires en s'appuyant sur une vidéo de Robert F. Kennedy Jr, ancien candidat indépendant rallié à Donald Trump. Notoirement critique de la vaccination, le neveu du président assassiné "JFK" avait assuré dans un meeting le 23 octobre que "Bill Gates a été inculpé aux Pays-Bas pour avoir menti au public au sujet du vaccin contre le Covid" et que le milliardaire "devrait passer en jugement".
De messages similaires ont également été partagés en croate et en anglais.
Mais ces affirmations sont trompeuses puisque Bill Gates n'a été inculpé par aucune autorité et n'est pas soupçonné d'activité criminelle.
Plainte déposée aux Pays-Bas
Ces assertions tirent leur source dans la plainte déposée par sept Néerlandais (dont un est décédé depuis) affirmant que plusieurs responsables politiques des Pays-Bas, dont l'ancien Premier ministre Mark Rutte, les ont "induits en erreur" en les incitant à se faire vacciner contre le Covid-19 tout en sachant que les injections n'étaient "ni sûres ni efficaces".
La procédure vise aussi Bill Gates puisqu'il est l'un des trois dirigeants de la Fondation Bill & Melinda Gates, cette dernière étant très active dans la promotion de la vaccination et la lutte contre les épidémies (lien archivé ici).
En tant que citoyen américain ne résidant pas aux Pays-Bas, Bill Gates avait demandé à ce que la justice néerlandaise se "déclare incompétente" à le juger puisque, selon sa défense, "conformément à la règle principale du droit international général de la compétence, le tribunal du lieu de résidence du défendeur est compétent pour connaître du litige".
C'est ce point qu'a examiné le tribunal du district du nord des Pays-Bas mi-octobre, comme le précise ce compte-rendu disponible sur le site officiel de l'institution judiciaire néerlandaise mais dont les noms sont caviardés (lien archivé ici). Une version en anglais du document, avec les noms bien visibles cette fois, a largement circulé en ligne et correspond au texte initial en néerlandais (lien archivé ici).
Selon le tribunal, les plaignants estimant que les activités qu'ils dénoncent "ont été réalisés par un groupe" rassemblant le milliardaire américain et les responsables politiques néerlandais, il est donc nécessaire de juger toutes les réclamations de manière conjointe, même si l'un des accusés ne réside pas dans le pays. Elle a donc débouté Bill Gates de sa demande et l'a condamné à payer 1.406€ au titre des frais juridiques et "additionnels".
Procédure civile
Cela ne signifie pas pour autant que le milliardaire a été "inculpé" comme le prétendent les publications virales. L'inculpation est un acte judiciaire visant une personne soupçonnée d'avoir commis un délit ou un crime (lien archivé ici). Or, l'affaire concernant Bill Gates est une procédure au civil et non au pénal.
Comme l'indique le site officiel de la justice néerlandaise, le droit civil, ou droit privé, traite des "conflits entre personnes, des conflits entre organisations et des conflits entre personnes et organisations" (lien archivé ici). "Le but du droit civil est d'apporter une solution aux litiges entre les parties, en recherchant souvent une compensation ou une réparation de la situation" tandis que le droit pénal vise à sanctionner des "comportements considérés comme préjudiciables à la société", précise la plateforme de référencement des avocats néerlandais (lien archivé ici).
Interrogée par l'AFP, une porte-parole du tribunal du district du nord des Pays-Bas a confirmé le 31 octobre 2024 qu'il s'agissait d'un litige privé. "Cette affaire n'est pas une procédure pénale, mais une procédure civile, dans laquelle un certain nombre de plaignants ont poursuivi plusieurs autres parties", a-t-elle précisé.
Le simple fait que le tribunal ait accepté la demande ne signifie pas nécessairement que l'affaire est fondée, cela reste encore à trancher.
"Le 27 novembre est la date limite avant laquelle les avocats de Gates doivent répondre à l’assignation à comparaître des plaignants. Les autres accusés l’ont déjà fait. Après cette date, le juge rassemblera toutes les informations et décidera s’il convient de poursuivre l’affaire", a indiqué à l'AFP le 19 novembre 2024 le tribunal du district du nord des Pays-Bas.
"La règle fondamentale de notre système juridique est que n'importe qui peut saisir la justice", a déclaré le 1er novembre 2024 à l'AFP Remme Verkek, expert en droit civil et professeur à l'université d'Utrecht (lien archivé ici).
Selon le spécialiste, le droit néerlandais ne permet pas à un juge de rejeter une affaire sans entamer la procédure. "On peut en revanche dire qu'on s'adresse au mauvais juge. C'est ce que Bill Gates a essayé de faire", a-t-il ajouté.
La demande du milliardaire ayant été rejetée, le procès suivra son cours. Mais, contrairement à ce qu'affirment certains internautes, le cofondateur de Microsoft ne devrait pas être contraint à se présenter devant un tribunal néerlandais.
Selon Remme Verkek, dans les affaires civiles un témoin peut être contraint de comparaître devant le tribunal, mais cela ne s'appliquerait pas à Bill Gates car il est défendeur dans le cadre de ce procès. "Le juge pourrait rendre un jugement, mais je ne le vois pas émettre une ordonnance obligeant M. Gates à être présent. Ce n'est pas comme ça que cela fonctionne dans les affaires civiles. Il n'y a pas de fourgon de police qui passe chercher quelqu'un pour l'audience", souligne le professeur de droit civil.
La porte-parole du tribunal du district du nord des Pays-Bas a également confirmé à l'AFP que Bill Gates ne sera pas obligé d'assister aux audiences du tribunal néerlandais et qu'il pourrait être représenté par son avocat.
Bill Gates, cible récurrente des complotistes
Dans leur accusation, les plaignants mentionnent notamment la "Grande réinitialisation" (ou "Great Reset" en anglais), qui induirait un "changement forcé et planifié" du monde en raison de "crises majeures" comme la pandémie de Covid-19 "qui ne peuvent être résolues que par une intervention mondiale centralisée".
Cette initiative du Forum économique mondiale (WEF) appelle à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies (Onu), définis dans l'Agenda 2030 (liens archivés ici et ici). Elle est régulièrement la cible de théories du complot.
Dans l'affaire jugée par le tribunal du district du nord des Pays-Bas, Bill Gates et la dizaine de responsables politiques néerlandais sont accusés d'avoir "mis en place la Grande réinitialisation" lors du Covid-19.
Ce n'est pas la première fois que le milliardaire américain est cité dans une procédure intentée par des personnes contre la vaccination anti-Covid ou les restrictions sanitaires mises en place pendant la pandémie. Comme l'AFP l'expliquait déjà en 2021 et 2022, une plainte a été déposée le 11 janvier 2021 devant un organisme judiciaire provincial du Canada accusant l'OMS, le pape François, la reine Elizabeth II, Bill et Melinda Gates ou encore le Premier ministre canadien Justin Trudeau de "crimes contre l'humanité" pour avoir permis la mise en place de restrictions liées à l'épidémie de Covid-19.
La plainte avait été rejetée en vertu de la règle 2.1 de la procédure civile locale, qui établit que "le tribunal peut, de sa propre initiative, suspendre ou rejeter une procédure si elle apparaît à première vue frivole ou vexatoire, ou constituer un abus de la procédure judiciaire" (lien archivé ici).
Déjà nombreuses depuis des années, les infox et théories du complot visant le cofondateur de Microsoft ont trouvé un nouvel élan à la faveur de la pandémie du Covid-19.
Ajoute précisions sur la procédure judiciaire au 16e paragraphe19 novembre 2024 Ajoute précisions sur la procédure judiciaire au 16e paragraphe