Traçage, vaccins empoisonnés... Bill Gates, "poupée-vaudou" des complotistes

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 15 mai 2020 à 17:40
  • Mis à jour le 27 mai 2020 à 14:49
  • Lecture : 11 min
  • Par : Julie CHARPENTRAT
Déjà nombreuses depuis des années, les infox et théories du complot visant le cofondateur de Microsoft Bill Gates ont trouvé un nouvel élan à la faveur de la pandémie de nouveau coronavirus. Le milliardaire américain - très engagé dans la lutte contre le Covid-19 - est accusé de vouloir exterminer une partie de la population ou de contrôler les gens via la vaccination et/ou l'implantation de puces électroniques ou encore d'avoir contribué à la propagation du virus. L'AFP a décortiqué plusieurs affirmations, infondées mais extrêmement virales sur les réseaux sociaux.

Bill Gates a "créé le Covid-19", veut "dépeupler la Terre", "implanter des puces électroniques à la population" : des fausses affirmations comme celles-ci, partagées des millions de fois, explosent littéralement sur internet. 

Le célèbre milliardaire américain est devenu la cible favorite des complotistes, dont les publications bénéficient d’une visibilité accrue à la faveur de la pandémie, et essaiment sur internet sous diverses variantes et déclinaisons via des millions d'internautes.

Le cofondateur de Microsoft devenu philanthrope est une "sorte de poupée vaudou dans laquelle les complotistes de tous bords plantent" - telles des aiguilles- "leurs différentes théories", explique à l'AFP Rory Smith, directeur de recherche chez First Draft, réseau de médias qui mène des projets contre la désinformation.

"La popularité des théories complotistes actuellement, et particulièrement celles qui tournent autour de Bill Gates, vient du fait que l'information fiable -parce que c'est un nouveau coronavirus - arrive lentement et les gens sont constamment en train de chercher des informations, pour tenter de donner un sens à cette réalité", poursuit-il.

"Du coup, avoir ces théories donnent un moyen facile de reprendre une sorte de moyen d'action sur sa situation", dit encore M. Smith.

Un "épouvantail", abonde Whitney Philips, de l'Université américaine de Syracuse, à propos du milliardaire américain, engagé depuis 20 ans via la Fondation Gates dans des campagnes de vaccination et la lutte contre les épidémies.

Une vidéo en anglais l'accusant, entre autres, de vouloir "éliminer 15% de la population" via les vaccins et de greffer des puces électroniques aux gens, a, à elle seule, cumulé près de deux millions de vues sur YouTube en moins de deux mois.

Ces allégations ont "explosé" entre janvier et avril, note Rory Smith, au point que, selon le New York Times, la désinformation en anglais visant Bill Gates est désormais la plus virale de toutes les infox relatives au Covid-19, qui avait fait plus de 300.000 morts dans le monde le 15 mai 2020.

Image
Bill Gates en octobre 2019 à Lyon

 "Profiteur" 

Présentes dans le monde entier et de nombreuses langues, on les retrouve sur Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, ou sur les forums 4chan, Reddit...

L'AFP a déjà démonté plus d'une douzaine de publications virales, notamment en anglais, français, espagnol, polonais ou tchèque. 

Avec des citations et vidéos détournées, décontextualisées, des photomontages, des raccourcis mensongers, une déferlante de publications l'accusent de vouloir donner un vaccin empoisonné aux Africains, d'avoir paralysé des centaines de milliers d'enfants en Inde, d'avoir planifié l'épidémie de Covid-19 ou même... d'être sataniste.

Beaucoup utilisent la figure de Bill Gates pour affirmer que les vaccins sont dangereux, comme ici par exemple. 

L'Assurance maladie rapelle ici les principes de la vaccination et son utilité. L'AFP a déja décortiqué (ici ou  par exemple) de fausses affirmations sur une supposée dangerosité des vaccins. 

Si beaucoup circulaient déjà avant la pandémie de nouveau coronavirus, les allégations visant Bill Gates ont en général un point commun : l'accuser de vouloir tirer profit de la pandémie, telle la figure du "profiteur de guerre": asservir le monde ou s'enrichir en vendant des vaccins. 

"Très envahissantes", "ces théories (...) peuvent réduire la confiance des gens dans les organisations de santé et faire baisser les taux de vaccination, c'est inquiétant", poursuit M. Smith. 

"Nous sommes préoccupés par les théories conspirationnistes diffusées en ligne, et les dommages qu’elles pourraient causer à la santé publique", estime aussi Mark Suzman, à la tête de la Fondation Bill & Melinda Gates dans un mail à l'AFP le 13 mai. 

Les craintes de l'impact des fausses informations autour du coronavirus en particulier en Afrique, ont fait l'objet de cet article de l'AFP fin mars.  

"Toute théorie du complot doit démasquer son orchestrateur ultime. Et pour la pandémie de Covid-19, Bill Gates est apparu comme le grand organisateur", explique la chercheure Kinga Polyńczuk-Alenius, sur un blog du Collegium for advanced studies de l'Université d'Helsinki, en Finlande.

Avant le Covid, déjà au coeur de beaucoup de théories et fausses infos 

Plus précisément, "il n'est pas devenu la star des complots, il l'est déjà depuis longtemps", précise auprès de l'AFP Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale à l'Université de Rennes.

Bill Gates était déjà accusé d'être derrière l'épidémie de Zika ou d'être un reptilien, rappelle ce spécialiste du complotisme.

Mais à la faveur de la crise sanitaire actuelle inédite, Bill Gates fait exploser les compteurs. 

Image
Montage de captures d'écran réalisé le 16/05/2020

"Ce n'est pas étonnant, compte tenu du fait qu'il incarne à bien des égards la santé publique avec les projets qu'il a lancés à travers le monde", dit encore Rory Smith.

Engagée dans de nombreux projets humanitaires -notamment en Afrique, où les infox sur Bill Gates sont particulièrement nombreuses-, pourvoyeuse de fonds d'entreprises privées, y compris pharmaceutiques, de l'alliance Gavi pour la vaccination, et deuxième financeuse de l'OMS, la Fondation Bill & Melinda Gates sert de terreau à bien des rumeurs visant le milliardaire.

Et lui vaut depuis longtemps l'hostilité des militants anti-vaccins, déjà très actifs sur les réseaux sociaux et gonflés à bloc en période d'épidémie.

Parmi les théories très en vogue: il a créé le virus. La "preuve" ? Il en détient le "brevet" et avait "prévu l'épidémie" dans une conférence en 2015.

En réalité ?  Un institut de recherche britannique, qui avait reçu notamment des fonds de la Fondation Gates pour via des bourses pour divers projets, avait déposé un brevet qui concernait un coronavirus animal.

Et comme une partie de la communauté scientifique, Bill Gates s'était déjà exprimé ces dernières années pour s'alarmer de la probabilité d'une pandémie à venir, et, selon lui de l'impréparation manifeste des gouvernements. Il avait évoqué cela dans des conférences mais aussi sur son blog , dans le New York Times et dans la revue New England Journal of Medicine

Il s'est d'ailleurs logiquement beaucoup exprimé sur la pandémie actuelle de SARS-CoV2, , sur son blog, sur le forum Reddit ou lors de cette interview.

La Fondation s'est engagée en outre à hauteur de plus de 250 millions de dollars dans la lutte contre le Covid-19, pour financer la mise au point de diagnostics, de traitements et de vaccins, ainsi que le renforcement des systèmes de santé dans des pays en développement, comme indiqué dans cette dépêche AFP du 16 avril 2020.

Au-delà des clivages politiques 

Ces fausses affirmations sont aussi partagées par des figures connues, comme l'actrice française Juliette Binoche, et transcendent les clivages politiques.

Bill Gates, critique de Donald Trump, s'est notamment attiré les foudres de l'égérie ultra-conservatrice Laura Ingraham, qui l'a accusé de vouloir "tracker" les gens avec les vaccins.

Preuve de la popularité de ces théories, on les retrouve de l'autre côté de l'échiquier politique chez Robert Kennedy Jr, neveu de l'ancien président démocrate, anti-Trump et anti-vaccins.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Bill Gates Wants to Chip Us and Not Only for Vaccines - for Surveillance and Transhumanism Using #5G I wrote last week about Malibu police’s ticketing Point Dume surfers $1,000 apiece for using the ocean during the quarantine. Was this merely an appalling police judgment at which we will laugh post-quarantine? Or does anyone else feel that this is the first wave of compliance and obedience training for something more permanent? Are powerful state and corporate entities using the current crisis to remove basic rights and intensify pressures to promote vaccines and surveillance? Does anyone else feel the suffocating darkness of tyranny descending on our nation? And finally, does anyone share my dread that #BillGates — and his Mini-Me, Tony #Fauci — will somehow be running our Brave New World? Imagine a world where the government doesn’t need police officers to apprehend those surfers or ticket you when you violate social distancing with your girlfriend. Suppose that computers discover your beach trip by tracking your movements using a stream of information from your cell phone, your car GPS, facial recognition technology integrated with real-time #surveillance from satellites, mounted cameras, and implanted chips. Desk-bound prosecutors or robots will notify you of your violation by text while simultaneously withdrawing your $1,000 penalty in cryptocurrency from your payroll account. Welcome to Bill Gates’ America. It’s right around the corner. … continued on slide 2.

Une publication partagée par Robert F. Kennedy Jr. (@robertfkennedyjr) le

Schématiquement, sa richesse et le fait qu'il est une figure des géants technologiques en fait quelqu'un de "forcément suspect" à l'extrême gauche, tandis que son côté figure internationale influente en fait une incarnation du "cosmopolitisme" honni par l'extrême droite, explique Sylvain Delouvée.

De façon plus générale, "si on est persuadé que Bill Gates est derrière l'épidémie actuelle, on va chercher partout des éléments (que l'on considère comme, NDLR) à charge, c'est ce qu'on appelle le biais de confirmation d’hypothèse", dit encore Sylvain Delouvée.

Ainsi, beaucoup de théories sont bâties en piochant dans divers projets, recherches, propos et engagements liés de près ou de loin à Bill Gates, parfois en les déformant ou en les truquant, parfois simplement en les agrégeant pour en tirer des conclusions trompeuses ou carrément mensongères.

Pour autant, démonter les fausses affirmations, ne "revient pas à expliquer que tout le monde est gentil", dit encore M. Delouvée, rappelant qu'il peut y avoir des interrogations étayées et légitimes sur l'usage des données personnelles par les groupes technologiques ou des gouvernements par exemple.

De plus, la Fondation a pu faire l'objet de critiques sur un manque de transparence de sa gestion ou sur ses choix de financements, dans la revue scientifique prestigieuse The Lancet par exemple ou dans cet article du Los Angeles Times.

 

Parmi les nombreuses affirmations fausses dans diverses langues visant le milliardaire, voici celles décortiquées par l'AFP en français : 

- Non, Bill Gates n'a pas proposé d'injecter une puce ou un implant électronique

- Non, il n'est pas écrit "Centre pour la réduction de la population humaine mondiale" sur la façade d'un immeuble de la Fondation Gates, c'est un montage 

- Non, il n'y pas de "vaccin  de Bill Gates" qui contiendrait du "poison" 

- Et le vaccin promu par sa fondation en Inde n'a pas paralysé près de 500 000 enfants

- La fondation Bill Gates a bien participé à une simulation de pandémie en 2019, mais elle n’a rien à voir avec le Covid-19

- Non, ce brevet ne montre pas que Bill Gates a un rapport avec le virus

- Non, Bill Gates n'a pas rencontré le président sénégalais Macky Sall pour faire tester un vaccin anti-coronavirus contre le coronavirus au Sénégal

- Et il n'a pas été non plus entarté à Bruxelles le 20 avril dernier mais en 1998...

- Cette vidéo d'une députée italienne qui accuse Bill Gates de "crimes contre l'humanité" contient plusieurs fausses informations

En tout, l'AFP a déjà réalisé quelque 600 factchecks concernant le coronavirus, toutes langues confondues.

Edit du 16/05/2020 : change l'une des captures d'écran du combo en milieu d'article
Edit du 27/05/2020 : ajout des liens de nouveaux fact-checking réalisés par l'AFP

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter