
Non, une nouvelle étude ne prouve pas un lien entre vaccination contre le Covid-19 et infertilité
- Publié le 15 juillet 2025 à 16:22
- Lecture : 13 min
- Par : Pierre MOUTOT, AFP France
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"Nous avons désormais des preuves claires que les injections d'ARNm contre le COVID-19 ont dévasté la capacité de reproduction de l'humanité", s'insurge une internaute sur X, en renvoyant vers la version pré-publiée ("preprint", c'est-à-dire non publiée dans une revue scientifique) d'une étude intitulée "Taux de conceptions réussies selon le statut de vaccination contre le COVID-19 : Données de la République tchèque" ("Rates of Successful Conceptions According to COVID-19 Vaccination Status: Data from the Czech Republic", dans son titre original).

Après sa diffusion en pré-publication, ce document a été publié le 19 juin dans l'International Journal of Risk & Safety in Medicine.
L'étude proprement dite s'appuie sur les données officielles des naissances en République tchèque entre janvier 2021 et décembre 2023. L'objet de son analyse est le "taux de conceptions réussies" chez les femmes de 18 à 39 ans selon leur statut vaccinal. Les "conception réussies" sont définies comme les "conceptions menant à des naissances vivantes neuf mois plus tard".
Les résultats de l'étude mettent en avant une "association" entre vaccination et un taux de "conceptions réussies (...) substantiellement plus faible" chez les femmes vaccinées. L'étude en elle-même ne prétend pas faire la démonstration directe d'une influence du vaccin sur la fertilité, allant jusqu'à préciser que malgré "la force" de son étude fondée sur "un échantillon national indiscriminé de femmes fertiles", "l'association observée n'est bien sûr pas la preuve d'une relation causale" entre vaccination et fertilité.
Mais l'étude est largement reprise en ligne pour prétendre que le vaccin aurait une conséquence directe sur la fertilité des femmes. Vibeke Manniche, qui a co-signé l'étude, a elle-même relayé cela sur X. Elle a fait à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux un lien direct entre vaccination et chute "dévastatrice" de la fertilité.
Une très large part des messages relayant l'étude fait une confusion -classique - entre corrélation et causalité : deux réalités radicalement différentes scientifiquement mais souvent confondues dans l'acception courante.
Ces affirmations sont est aussi reprises par des sites présentés comme des "médias de réinformation" connus pour propager des thèses infondées voire conspirationnistes, comme France Soir ou Réinformation.TV, qui qualifie les vaccins contre le Covid-19 d'"arme contre la fécondité".

De nombreux utilisateurs de X (1,2,3,4,5) diffusent des extraits de l'étude, partagés des milliers de fois en français mais également en anglais, en polonais ou en tchèque, affirmant qu'elle prouverait un impact négatif des vaccins sur la fertilité. D'autres relayent les propos de Vibeke Manniche, selon laquelle "cette étude est essentielle car elle est la première à analyser le taux de natalité en relation avec le statut vaccinal contre le COVID-19 au moment de la conception dans un grand ensemble de données nationales".
Mais la méthodologie présente d'importantes failles, ont expliqué des experts interrogés par l'AFP. Il ne s'agit pas non plus d'une première ou d'un nouveau champ de recherches : la rumeur d'un lien causal entre vaccins et fertilité a fait l'objet de nombreuses études et méta-analyses, et a été invalidée à plusieurs reprises par la communauté scientifique depuis 2021.
Un consensus scientifique bâti sur des années de recherches

La publication se borne à constater "une association", un "résultat générateur d'hypothèses" et appelle à réaliser "des études supplémentaires sur l'influence potentielle de la vaccination contre le COVID-19 sur la fécondabilité et la fertilité humaines" ; plus haut en introduction, les auteurs déclarent également qu'"à leur connaissance, la relation entre vaccination contre le Covid-19 et le taux de conception réussie n'a jamais été examiné au niveau d'une population".
Pourtant, "de nombreuses études ont été réalisées dans d'autres pays, et des méta-analyses ont clairement montré que la vaccination n'affecte ni la fertilité masculine, ni la fertilité féminine", balaie le professeur Olivier Schwartz, qui dirige l'Unité Virus et Immunité de l'Institut Pasteur.
"Au niveau individuel, des études ont montré que le vaccin n'affecte pas le nombre de follicules, le nombre de taux d'hormones, le nombre d'ovocytes chez les femmes, ni la qualité du sperme chez les hommes, par exemple", rappelle le chercheur, "et des analyses qui ont été faites dans différents pays, aux Etats-Unis, en Russie, en Chine, en Italie, en Israël, pour n'en citer que quelques-unes, montrent clairement que le taux de grossesse ne diffère pas significativement entre les vaccinés et les non-vaccinés".
Comme d'autres potentiels risques de santé, l'impact de la vaccination contre le Covid-19 sur la fertilité a en effet fait l'objet de multiples recherches: l'une des méta-analyses (c'est-à-dire une analyse systématique des résultats d'un certain nombre d'études scientifique sur un même sujet, avec une méthode reproductible) les plus citées, qui a comparé les résultats de 29 études nationales, n'a trouvé "aucune preuve scientifique ou association entre vaccin contre le Covid-19 et trouble de la fertilité chez les hommes ou les femmes".
Une méthodologie inapte à produire les résultats avancés
D'après les auteurs de l'étude, l'analyse tendancielle de ces données révélerait que "au moins à partir de juin 2021", le nombre de "conceptions réussies" serait "considérablement plus bas" chez les femmes vaccinées que chez les non vaccinées. Le taux de "conceptions réussies" se serait ensuite "stabilisé" en 2022 chez les femmes vaccinées et non vaccinées, mais le taux serait resté "1,5 fois plus élevé chez les femmes non vaccinées".
Des internautes y ont ainsi vu la preuve d'une "chute drastique de la fécondité" des femmes tchèques, et un "bilan catastrophique" des naissances, inférieur de "30%" ou de "50%" chez les femmes vaccinées, en fonction des posts, selon lesquels il n'y aurait en revanche "pas de baisse de la fertilité chez les femmes non vaccinées".

Mais "il n'y figure aucun élément qui permette de comparer véritablement les deux groupes de population étudiés", pointe le professeur Olivier Picone, gynécologue-obstétricien auprès de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui juge "largement insuffisante" la méthode descriptive mise en avant dans l'étude : "en dehors du statut vaccinal, on a pas de données sur l'âge moyen, la contraception, les conditions socio-économiques, l'usage de tabac, le nombre de vaccins reçus… Il n'y a aucun élément statistique, aucune donnée chiffrée que l'on pourrait comparer entre les deux échantillons."
Autant d'éléments, appelés "facteurs confondants" ou "covariables", qui sont susceptibles d'influencer le résultat, et doivent donc être pris en compte dans la méthodologie de l'étude afin d'en déterminer l'impact. Or l'étude en question s'appuie sur des données brutes agrégées.
Un point essentiel que reconnaissent les auteurs de l'étude, qui signalent "ne pas avoir eu accès à ces informations" et n'avoir donc pas pu prendre en compte les covariables, tout en maintenant ses résultats. "Sauf que dans ces conditions, les conclusions tirées par l'article ne peuvent pas être soutenues", estime Olivier Picone, "car les deux populations étudiées sont incomparables".
La fourchette d'âge prise en compte dans l'étude pose à elle seule un problème, estime quant à elle Marie-Ghislaine de Goër de Hervé, ingénieure de recherche à l'Inserm spécialisée en immunologie.
"On ne connaît même pas la répartition par classe d'âge des femmes dans les deux catégories", argue t-elle, "or vingt ans d'écart c'est considérable : si par exemple il y a davantage de jeunes femmes dans les femmes non vaccinées, elles sont peut-être aussi plus fertiles... à l'inverse, à 39 ans on est moins fertile et on a davantage de chances d'avoir déjà des enfants, et donc ne pas vouloir concevoir".
Pour obtenir des résultats pertinents et pouvoir comparer les deux échantillons, "il aurait fallu des analyses multivariées par tranche d'âge en prenant en compte les covariables, et corriger les résultats par rapport au souhait ou non de grossesse", pointe la chercheuse.
Faute de précision statistique, rien dans cette étude ne permet donc d'affirmer scientifiquement que la fertilité des femmes vaccinées est inférieure à celle des vaccinées, a fortiori d'établir un lien entre vaccination et infertilité.
Des infox persistantes sur la vaccination Covid-19
Si l'étude s'abstient de conclure explicitement à un lien causal et détaille les limites de leur méthodologie, des messages postés sur le compte X de l'une des auteures, Vibeke Manniche, vont plus loin: "Les données montrent un lien entre infertilité et le vaccin contre le Covid-19. Il ne devrait PAS être administré aux femmes (et aux hommes) en âge d'enfanter. Les données sont dévastatrices", écrit-elle dans un message daté du 1er juin 2025.

Figure médiatique connue au Danemark pour son opposition aux vaccins contre le Covid-19 et à la politique sanitaire du gouvernement danois, Vibeke Manniche a été condamnée par le tribunal de Lyngby au Danemark, pour avoir établi et facturé des déclarations d'exemption de test COVID-19 en 2021, bien qu'elle n'ait pas été autorisée à les délivrer.
Ailleurs sur son compte X, Mme Manniche multiplie les messages promouvant les résultats, sans distance par rapport aux limites évoquées dans l'étude : "1 million de vues ! Cela montre à quel point notre étude sur le lien entre infertilité et coronavax est importante et dévastatrice", peut-on lire dans un post, "(...) notre étude montre une alarmante et négative association entre vaccin contre le Covid-19 et conception réussie", dans un autre.
Dans le même message, Mme Vanniche enjoint également ses lecteurs à faire une donation via le site de financement participatif Buy Me A Coffee. C'est en effet via un crowdfunding, et non au moyen de financements traditionnels de la recherche (crédits publics, bourses, partenariats avec des laboratoires ou université...) qu'a été financée l'étude "Rates of successful conceptions according to COVID-19 vaccination status", ainsi que la précédente co-signée par les mêmes auteurs, "Batch-dependent safety of the BTN162B2 mRNA COVID-19 vaccine".
Vibeke Manniche multiplie depuis 2021 les messages en rapport avec la vaccination contre le Covid-19 sur son profil X, pour en dénoncer les effets néfastes supposés et minimiser les risques liés au virus : lien entre "soi-disant vaccins" et augmentation des cancers (1), référence à "l'arnaque du Coronavirus" (2), "relation" entre "effets secondaires des vaccins à ARN messager" et baisse des naissances au Danemark menant à une "dépopulation" (3)...
Un précédent article signé par des co-auteurs de l'étude, Vibeke Manniche, Peter Riis Hansen et Max Schmeling, a ainsi déjà fait l'objet d'une vérification par le site spécialisé Science Feedback en 2023 : l'article, qui prétendait montrer un différentiel entre les effets indésirables associés à différents lots du vaccin Pfizer, reposait déjà sur une méthodologie vague et inapte à produire les résultats rapportés.
Des allégations similaires, récurrentes dans la mouvance "antivax", ont déjà été vérifiées par l'AFP : ici, et là.
Une possibilité perturbation du cycle menstruel liée au vaccin
L'étude que nous examinons dans cet article mentionne également les effets "adverses" de la vaccination contre le Covid-19 sur les cycles menstruels, suggérant que cet effet puisse être à l'origine d'une chute de la fertilité : "bien que des études aient indiqué que la vaccination contre le COVID-19 n'a pas d'effet appréciable sur la fertilité humaine et que les vaccins contre le COVID-19 sont sûrs pendant la grossesse, les effets indésirables des vaccins contre le COVID-19 sur les caractéristiques menstruelles sont bien documentés, ce qui suggère que la vaccination contre le COVID-19 pourrait influencer la fécondabilité", rapportent les auteurs.
De nombreux témoignages, recensés en partie par le collectif "Où est mon cycle" font depuis des années état d'effets secondaires sur les cycles menstruels post-vaccination contre le Covid-19.
L’étude des troubles des cycles menstruels est complexe, notamment parce qu’ils peuvent être de nature variée et être dus à une multitude de facteurs très différents, comme expliqué par exemple ici ou là.
"La possibilité d'un effet secondaire sur les cycles menstruels est connu, en effet", note le Pr Picone, "avec des troubles qui peuvent apparaître sur la durée du cycle où l'abondance des flux, mais il faut noter que les études consacrées au sujet font état de troubles mineurs qui s'ajustent au bout de quelques cycles, sans impact sur la fertilité".
Le 28 octobre 2022, le comité de pharmacovigilance (PRAC) de l'Agence européenne des médicaments (AEM) a décidé d'ajouter comme effet secondaire possible des vaccins à ARN messager "les saignements menstruels abondants" (c'est-à-dire un flux menstruel considéré comme trop abondant et/ou trop long).
L'AEM souligne qu'il n'existe pour autant pas d'éléments probants qui "suggèreraient que les troubles menstruels vécus par certaines personnes aient un impact sur la reproduction et la fertilité" et répète que "la totalité des données disponibles confirme que les bénéfices de ces vaccins sont, de loin, plus importants que les risques".
L'AFP a consacré plusieurs articles au sujet de l'impact du vaccin sur les cycles menstruels, ici et là.
Les vaccins à ARNm sûrs, y compris pour les femmes enceintes

Dans son plus récent bilan des effets indésirables liés aux quatre vaccins anti-Covid administrés en France, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a confirmé qu'ils étaient "sûrs" (archive), y compris pour les femmes souhaitant avoir un enfant ou en attendant un.
L'ANSM recommande la vaccination contre le Covid-19, y compris avant et durant la grossesse, soulignant que "la grippe saisonnière et la Covid-19 (...) peuvent être à l'origine de complications importantes chez la femme enceinte comme une fièvre extrême, des difficultés respiratoires, et peuvent mettre en danger son futur bébé (fausse couche, naissance prématurée)".
Ce n'est pas la première fois que l'AFP vérifie des affirmations prétendant, à tort, faire le lien entre vaccination et infertilité : les articles de vérification sont disponibles ici et là.
Toutes les vérifications de l'AFP liées aux vaccins sont accessibles dans la rubrique santé de notre site, de même que les sujets spécifiquement liés au Covid-19.