Flacon d'ivermectine pris en photo au Centre d'études sur les maladies infectieuses pédiatriques, à Cali, en Colombie, le 21 juillet 2020. (AFP / LUIS ROBAYO)

L'ivermectine, un traitement miraculeux ? Attention à cette fausse liste d'usages du médicament

L'ivermectine, un traitement antiparasitaire très populaire sur les réseaux sociaux depuis la crise sanitaire de Covid-19, est régulièrement érigé en remède à de nombreuses maladies. Dans des publications largement relayées à travers l’Europe, des internautes en vantent les prétendus bienfaits, notamment dans le traitement de maladies auto-immunes, pour la régénération des nerfs ou encore dans la lutte contre le cancer. Mais la liste de bienfaits qu'ils partagent est fausse, ont affirmé des professionnels de santé à l'AFP, alertant sur les risques de ce médicament en dehors de ses usages approuvés.

L'ivermectine, un traitement miracle pour guérir tout un tas de maladies ? C'est ce que prétendent des dizaines et des dizaines de publications partagées ces derniers jours sur les réseaux sociaux en français (1, 2, 3, 4) - mais qui ont aussi fait le tour de l'Europe : Hongrie, Espagne, Tchéquie, ou encore Allemagne.

Accusant "les médias", "l'OMS", ou même "l'Europe", de cacher les bienfaits de l'ivermectine -un traitement antiparasitaire-, les publications listent en douze points les cas dans lesquels le médicament pourrait être utilisé selon eux : traitement "des maladies auto-immunes" comme le psoriasis ou la maladie de Crohn, élimination des "cellules cancéreuses résistantes à la chimiothérapie", régénération des "nerfs", impact "puissant sur les blessures traumatiques et orthopédiques", régulation des niveaux "d'insuline" et de "cholestérol" dans l'organisme, etc...

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Capture d'écran d'une publication sur X, réalisée le 19/05/2025.

Le message s'accompagne souvent d'une photo d'un flacon sur lequel on peut lire en anglais "Injection d'ivermectine pour les bovins et les porcs", ce qui a amené certains internautes à conseiller d'acheter le médicament auprès d'un cabinet vétérinaire et de s'en administrer en automédication.

Attention cependant, cette liste d'utilisations possibles et de bénéfices de l'ivermectine est fausse. Interrogés par l'AFP, des professionnels de santé ont réfuté l'ensemble de ces allégations, soulignant que les prétendus avantages du médicament - au-delà de son usage établi - sont des "spéculations non fondées" ou "complètement inventées". 

Un traitement antiparasitaire

L'ivermectine est régulièrement présenté comme un remède miracle sur les réseaux sociaux.

Rendu célèbre pendant la pandémie de Covid-19 où il a un temps été étudié pour lutter contre le virus — sans avoir finalement démontré d’efficacité —, le médicament est depuis devenu un sujet récurrent dans une partie de la sphère complotiste qui affirme que ses effets notamment anticancéreux seraient gardés secret car il ferait une concurrence déloyale aux laboratoires, "Big Pharma", selon leurs termes.

Depuis le début de l'année, l'ivermectine suscite un regain d’intérêt, alimenté par les déclarations de l’acteur américain Mel Gibson. Lors d’une interview en janvier, il a affirmé que plusieurs de ses amis avaient vaincu un cancer grâce à de l'ivermectine, du fenbendazole, du dioxyde de chlore et du bleu de méthylène, alors que ces médicaments ne sont pas des remèdes au cancer, comme l'a expliqué l'AFP

Selon l'Agence européenne des médicaments (EMA), "dans l'UE, les comprimés d'ivermectine sont autorisés pour traiter certaines infestations de vers parasites, tandis que les préparations cutanées à base d'ivermectine sont autorisées pour traiter des affections cutanées telles que la rosacée" (lien archivé ici).

Le site Vidal de référence sur les médicaments précise quant à lui que l'ivermectine est indiqué chez l'homme contre l'anguillulose gastrointestinale, la gale, la microfilarémie à Wuchereria bancrofti, et l'onchocercose (lien archivé ici).

Aucune preuve d'efficacité

Et contrairement à ce qui est indiqué dans les publications que nous examinons, les professionnels de santé mettent en garde contre l'utilisation de ce médicament en dehors de ces champs précis.

"L'utilisation de l'ivermectine n'est pas indiquée pour les affections mentionnées", comme les maladies auto-immunes ou inflammations, a ainsi déclaré à l'AFP le 29 avril 2025 le Dr Markus Zeitlinger, directeur de l'Institut de pharmacie clinique de l'Université de Vienne (lien archivé ici).

Interrogé, le centre national hongrois de santé publique et de pharmacie (NNGYK) a également confirmé à l'AFP qu'il n'y avait aucune preuve de la pertinence du médicament dans les domaines mentionnés dans les posts sur les réseaux sociaux dans "des publications scientifiquement étayées, ni dans des essais cliniques en cours" et que "son effet dans ces cas n'a pas été prouvé".

"Si l'ivermectine était réellement adapté au traitement des maladies mentionnées [sur les réseaux sociaux], alors les essais cliniques correspondants existeraient et les préparations respectives auraient été approuvées", a déclaré à l'AFP Akos Heinemann, directeur de recherche au département de pharmacologie de l'université de médecine de Graz, le 29 avril 2025 (lien archivé ici).

 "L'industrie pharmaceutique ne manquerait certainement pas cette opportunité", renchérit-il.

Cependant, l'ivermectine "n'a prouvé son efficacité clinique que contre certaines infections parasitaires et la gale. Tout le reste relève de spéculations infondées, basées sur des données scientifiquement illégitimes ou tout simplement fabriquées. Prescrire ou prendre de l'ivermectine en dehors de ses indications approuvées relève d'une négligence grave", a souligné M. Heinemann.

De son côté, Monika Redlberger-Fritz, chercheuse au Centre de virologie de l'Université de médecine de Vienne, a également confirmé à l'AFP le 29 avril 2025 que "l'ivermectine ne doit être utilisé que dans les indications autorisées ; toutes les autres utilisations ne sont pas indiquées" (lien archivé ici). 

Quelques recherches en cours sur le cancer

Comme d'autres publications déjà vérifiées par l'AFP, les posts examinés affirment que l'ivermectine tue "les cellules cancéreuses résistantes à la chimiothérapie" et "supprime la prolifération et les métastases des cellules cancéreuses".

Cependant, l'efficacité de l'ivermectine dans le traitement du cancer n'est toujours qu'une piste de recherche et le médicament ne peut pas être considéré comme une alternative aux protocoles standards, comme expliqué dans cet article de l'AFP.

Depuis le milieu des années 1990, des études réalisées in vitro et chez l'animal ont montré que la molécule de l'ivermectine pouvait avoir des propriétés anticancéreuses.

"Des scientifiques ont mis en évidence que la molécule pouvait avoir des propriétés antiprolifératives, donc qui freinent le développement des cellules cancéreuses, et des propriétés anti-métastatiques, qui allaient empêcher l'essaimage du cancer dans l'organisme des animaux qui étaient les sujets de l'expérience", a décrit à l'AFP en mars 2025 Jérôme Hinfray, responsable de l’information scientifique de la Ligue contre le cancer (lien archivé ici). 

Cependant, ces études ne peuvent être extrapolées à l'homme, et des recherches et essais cliniques supplémentaires sont nécessaires.

"On ne peut en aucun cas transposer les données issues d'un modèle expérimental chez la souris au traitement chez l'homme", a ainsi déclaré  le Pr Claude Linassier, oncologue et directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l'Institut national du cancer (lien archivé ici).

"Affirmer que l’ivermectine est efficace pour guérir les cancers est certes mensonger ou fantaisiste et ne s’appuie sur aucune donnée scientifique. C’est surtout dangereux, car ces fausses informations propagées en toute inconscience, recommandent des posologies inhabituelles et donc potentiellement toxiques", a-t-il également averti.

Des effets indésirables importants

Loin de n'avoir "que des effets bénéfiques", comme cela est prétendu dans les publications que nous examinons, prendre de l'ivermectine n'est pas sans risque.

En effet, même si l'ivermectine est "généralement bien toléré aux doses approuvées pour d'autres indications", à des doses plus élevées, "une toxicité ne peut être exclue", prévient l'Agence européenne du médicament.  

"Même des doses d'ivermectine utilisées pour des usages humains approuvés peuvent interagir avec d'autres médicaments, tels que les anticoagulants. Vous pouvez également faire une overdose d'ivermectine, ce qui peut provoquer des nausées, des vomissements, de la diarrhée, une hypotension (hypotension artérielle), des réactions allergiques (démangeaisons et urticaire), des étourdissements, une ataxie (problèmes d'équilibre), des convulsions, le coma et même la mort", met également en garde l'administration américaine chargée de la surveillance des produits alimentaires et des médicaments (lien archivé ici).

La prise d'ivermectine destinée aux animaux peut d'ailleurs être particulièrement dangereuse, comme cela a été le cas pour deux personnes en Slovaquie qui ont fait une overdose d'ivermectine en 2021 et ont dû être hospitalisées dans un état critique (archivé ici). 

En novembre 2020, l'Office national hongrois de sécurité de la chaîne alimentaire a également publié un avertissement indiquant qu'il ne fallait en aucun cas prendre des produits vétérinaires (lien archivé ici).

La protéine Spike

Enfin, les publications affirment également que l'ivermectine guérirait les "dommages causés par les médicaments créés à l’aide de la technologie de l’ARNm", en bloquant "l'entrée de la protéine Spike dans les cellules". 

Il s'agit cependant d'une fausse affirmation récurrente laissant croire que ces protéines produites par le corps après une vaccination par ARNm se déplacent librement dans le corps, causant des dommages, ou pouvant même infecter d'autres personnes.

L'AFP a déjà démenti à plusieurs reprises ces allégations, comme ici ou ici.

Comme expliqué dans cet article de l'AFP d'avril 2025, l'Agence européenne des médicaments considère les vaccins à ARNm comme sûrs et efficaces sur la base de données collectées après des milliards de doses administrées dans le monde.

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