Attention à cet extrait d'un journal télévisé de 1971 utilisé pour remettre en cause l'origine anthropique du dérèglement climatique
- Publié le 25 octobre 2024 à 11:17
- Lecture : 13 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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Le réchauffement climatique et son origine humaine font l'objet d'un consensus scientifique, pourtant régulièrement remis en question sur les réseaux sociaux à coups d'arguments trompeurs ou fallacieux. Ces arguments consistent très souvent à relativiser le rôle -pourtant majeur et scientifiquement avéré- des activités humaines dans le dérèglement climatique.
Depuis la mi-octobre, des internautes ont par exemple exhumé des images d'archives d'un ancien journal télévisé dans lequel un climatologue français expliquait le principe de la glaciologie. Ils ont extrait une partie de cette séquence pour affirmer que les variations du climat seraient exclusivement naturelles, et n'auraient rien à voir avec les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux activités humaines.
"Avant la théorie de l'attribution aux GES on savait déjà que le climat était très froid en 1970 se réchaufferait jusqu'en 2020. C'est normal. Récurent. Archive de 1971", avance ainsi la légende d'une publication sur X partagée plus de 500 fois depuis le 14 octobre.
Le même extrait vidéo de deux minutes dix, assorti de commentaires remettant plus ou moins clairement en doute l'origine humaine du réchauffement climatique a été partagé plusieurs milliers de fois sur Facebook (ici, là) et Instagram.
Mais ces affirmations sont trompeuses : le climat a en effet toujours subi des variations. Mais cela ne remet pas en cause le fait que les émissions d'origine humaine participent à un réchauffement particulièrement rapide depuis la période pré-industrielle, ce qui fait aujourd'hui l'objet d'un consensus scientifique. Omettre de mentionner cela est trompeur, ont déjà régulièrement relevé des climatologues auprès de l'AFP.
En outre, il est trompeur de diffuser une vidéo de 1971 sans ajouter qu'au fur et à mesure des progrès et avancées scientifiques, les connaissances sur le climat se sont largement précisées. Le glaciologue Claude Lorius, qui apparaît dans la vidéo, a par exemple lui-même expliqué au cours des années suivantes, que l'étude des carottes de glaces a permis d'établir que les émissions humaines de CO2 ont mené au réchauffement récent du climat, comme le montrent d'autres archives.
La glaciologie pour comprendre le climat du passé
En-haut de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, apparait le logo de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), organisme en charge du maintien et de la diffusion des archives télévisuelles françaises. Une recherche d'image inversée avec Google Lens à partir d'images-clés du début de cette vidéo permet de retrouver une version plus longue (de trois minutes et trente-trois secondes) de la vidéo publiée sur le site de l'INA (lien archivé ici).
Sa légende indique qu'elle provient du "JT [pour journal télévisé, NDLR] 20H" du "12 avril 1971", et traite de ce qu'est la glaciologie. Y figure le glaciologue français Claude Lorius, qui détaille face au journaliste Michel Chevalet en quoi consiste son travail.
La vidéo fait aussi partie d'un dossier plus complet publié par l'INA après le décès le 21 mars 2023 de Claude Lorius (liens archivés ici et ici). Le titre du dossier est sans ambiguïté : "Claude Lorius en 1988 : 'Nous pensons qu'actuellement et à long terme l'homme est en train de modifier le climat de la terre'".
L'extrait commence par ces mots prononcés par le journaliste : "le temps n'est plus ce qu'il était : le printemps n'existe quasiment plus et les étés sont plutôt humides. Alors, notre planète se refroidit-elle ou bien est-elle en présence d'un phénomène normal ? La réponse à cette question, les scientifiques l'ont trouvée dans les glaces des pôles où est consigné le passé climatologique de notre planète. En somme, ce sont de véritables archives".
Ensuite, la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux est coupée et diffuse une scène montrant Claude Lorius face à un tableau sur lequel apparaissent des courbes qu'il commente.
La séquence complète visible sur le site de l'INA se poursuit avec une scène au cours de laquelle le climatologue détaille : "vous avez parlé du mot 'archive' et c'est de cela qu'il s'agit exactement. Il tombe chaque année dans les régions polaires quelques centimètres de neige. Et ces calottes polaires ont plusieurs milliers de mètres d'épaisseur, ce qui fait qu'elles sont constituées par des couches qui se sont accumulées depuis plusieurs centaines de milliers d'années".
Le journaliste demande ensuite comment les glaciologues font pour déduire des informations sur le climat du passé. Pour ce faire, les scientifiques forent des carottes de glace, qui comportent donc des couches de neige accumulées depuis des milliers d'années. Or, à la formation des calottes glaciaires, des petites bulles d'air sont piégées, au fur et à mesure des siècles. Celles-ci contiennent encore la composition de l'atmosphère des milliers d'années précédentes.
Claude Lorius résume : "la composition de cette carotte est directement liée à la température qu'il faisait au moment où la neige s'est déposée dans les calottes polaires".
La vidéo poursuit avec l'interview du glaciologue devant son tableau blanc, qui figure aussi dans les publications sur les réseaux sociaux : "si vous voulez, il y a 100.000 ans (...) il [a] fait une température qui est sensiblement la même que celle que l'on rencontre aujourd'hui sur le globe. Et puis, il y a à peu près 60.000 ans, le climat s'est subitement dégradé. Il a fait froid, il a même fait très froid aux alentours de moins 15.000 ans. Et puis, subitement, le climat s'est réchauffé, très vite, et à peu près il y a 11.000 ans, le niveau des océans, par suite de la fusion de la glace qui a créé ce réchauffement climatique, le niveau des océans a monté d'environ 120 mètres. Et nous nous retrouvons, si vous voulez, dans l'époque actuelle, voici les derniers millénaires, on retrouve à peu près la température qu'il y avait il y a 100.000 ans", développe Claude Lorius en montrant une courbe.
La vidéo partagée sur les réseaux sociaux coupe ensuite à nouveau une phrase des propos du glaciologue, qui commence à commenter un deuxième graphique, et indique : "là, on a dilaté les échelles, on a regardé avec une loupe".
Il abonde ensuite, à propos de ce second graphique : "là, c'est une étude beaucoup plus fine du climat qui a régné au Groenland depuis l'an 1200, c'est-à-dire au cours des 800 dernières années. Et on s'aperçoit que ce climat varie de façon périodique [...] En particulier vers 1820, il est bien connu qu'il faisait froid sur notre Terre. Il est aussi bien connu que, vers les années 1930, le climat était plus confortable qu'il ne l'est aujourd'hui. Et puis, vous voyez, nous sommes vers 1970. Apparemment, donc, la température a diminué. Et si l'on extrapole les tendances observées dans ces 800 dernières années, on peut presque aller jusqu'à dire qu'il va faire encore un petit peu plus froid pendant une vingtaine d'années et qu'ensuite, le climat va se réchauffer partiellement. On peut situer ceci, par exemple, à l'année 2020".
Les avancées des connaissances sur le climat
Il faut noter que les images montrées ici représentent ce qui était connu de la communauté scientifique au début des années 70. Or, aussi bien les méthodes que les connaissances en matière d'étude sur le climat n'ont cessé de s'améliorer.
Dans le dossier réalisé en mars 2023, l'INA note que si "fort de ces recherches sur le temps long, Claude Lorius relativisa un temps un réchauffement climatique annoncé dès la fin des années 1970", "rapidement, dès le début des années 1980, à l'aide de ses recherches expérimentales aux pôles, Lorius démontra cependant l'existence d'un réchauffement".
Puis, mettant en avant une autre vidéo datant de 1988, l'article de l'INA souligne que le glaciologue affirmait dès lors, sur la base de ses recherches à partir de forages d'ampleur à Vostok (station scientifique russe implantée en Antarctique), que "nous pensons qu'actuellement et à long terme l'Homme est en train de modifier le climat de la terre".
Dans un autre dossier mettant en avant des archives d'intervention télé sur le climat, publié en décembre 2021, l'INA met par ailleurs en avant des messages d'autres spécialistes, diffusés depuis les années 1970, qui montre que certains scientifiques supposaient déjà le lien entre les émissions de GES et le réchauffement récent du climat (lien archivé ici).
Mais l'origine anthropique du réchauffement ne faisait au départ pas l'objet d'un réel consensus. Ce dernier ne s'est constitué qu'avec le développement des connaissances sur le sujet, à partir des années 1980.
Le GIEC est la référence mondiale sur le climat. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), ce groupe d'experts réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, des océanographes, des glaciologues, des économistes ; et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007 (lien archivé ici).
Il est divisé en trois groupes d'experts, nommés par les différents gouvernements et organisations internationales : le premier étudie les preuves scientifiques du réchauffement, le deuxième ses impacts et le troisième présente les solutions envisageables pour l'atténuer.
Depuis 1990, les scientifiques du GIEC ont publié six rapports résumant les connaissances sur le climat. Ces dernières ont évolué au fil des recherches et des découvertes, tout comme les conclusions des experts.
Dès sa première vague de rapports, en 1990-1992, le Giec se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphériques de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l’effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre" (lien archivé ici).
Cette certitude s'est confirmé avec le temps : en 2007, ils ont considéré comme "très probable" que ce soit le cas ; puis "extrêmement probable" en 2013.
Dans le premier volet du dernier rapport en date, publié en août 2021, les experts du GIEC ont conclu que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".
Les variations naturelles du climat ne remettent pas en cause le réchauffement anthropique récent
Si comme l'indique la vidéo circulant sur les réseaux sociaux, le climat a toujours varié au fil du temps (ce qui est documenté et bien connu des scientifiques, rappellent tous les experts contactés par l'AFP), cela ne remet pas en cause l'existence du réchauffement récent du climat, lié aux activités humaines.
Des variations climatiques ont toujours été observées au fil du temps, même il y a des millénaires, avant que l'Homme n'apparaisse sur Terre, en raison du cycle climatique naturel, du positionnement de la Terre par rapport au Soleil et de l'orbite terrestre, comme déjà détaillé dans cet article de l'AFP de juin 2022 ou encore dans cet autre d'août 2022.
"La Terre a subi bon nombre de périodes glaciaires, et de périodes interglaciaires", résumait aussi la glaciologue Heidi Sevestre en mai 2023. Le rayonnement solaire influe également sur le climat et affecte toutes les couches atmosphériques confondues : l'atmosphère, la troposphère, et la stratosphère (lien archivé ici).
Le fait que le réchauffement qui intervient depuis environ 150 ans est lui induit par des activités humaines n'est pas contradictoire avec ces variations naturelles du climat, expliquait aussi en mai 2023 Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble (lien archivé ici).
Par ailleurs, s'intéresser exclusivement à une carotte du Groenland pour en tirer des conclusions sur le climat global de la Terre peut être biaisé, car les températures du Groenland ont été soumises à des phénomènes climatiques locaux, qui ne sont pas représentatifs des températures sur l'ensemble de la Terre. Le Groenland a par exemple connu des "épisodes de réchauffement très abrupts" et locaux, comme détaillé dans cette intervention (lien archivé) du chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement Xaver Faïn, disponible en ligne.
Par ailleurs, aujourd'hui, les températures du Groenland tendent à dépasser celles de cette période médiévale, soulignent les chercheurs interrogés par l'AFP. "Pour ce qui concerne le Groenland, le réchauffement récent est désormais tout à fait clair et bien documenté", expliquait aussi le climatologue Jean Jouzel, ex-vice-président du GIEC à l'AFP, en mai 2023 (lien archivé ici).
Il renvoyait notamment vers une étude publiée en janvier 2023 dans la revue Nature, qui a analysé des reconstructions de températures au Groenland de 1.000 à 2011. Sur sa première figure reproduite ci-dessous, on peut observer clairement que les températures mesurées ont augmenté (lien archivé ici).
"Le réchauffement de la dernière décennie prise en compte dans notre étude dépasse a variabilité de température de l'époque préindustrielle du dernier millénaire", écrivent ses auteurs, concluant que "l'influence anthropique" sur le réchauffement "est désormais détectable dans le centre et le nord du Groenland".
Par ailleurs, la vidéo d'archive initialement diffusée en 1971 ne prend pas, logiquement, en compte les années les plus récentes.
Or, le réchauffement climatique s'est accéléré ces dernières années, comme illustré sur ce graphique issu d'un rapport du GIEC d'août 2021, qui montre que les températures ont fortement augmenté au cours des 150 dernières années (lien archivé ici).
Consensus sur le réchauffement climatique d'origine humaine
Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique. En 2004, elle avait réalisé une étude sur les 928 articles scientifiques, évalués par des pairs, sur le changement climatique, publiés entre 1993 et 2003 (lien archivé ici).
Ce processus de sélection est indispensable pour ne garder que les experts du climat, qui disposent donc d'une légitimité, et écarter l'opinion de personnes qui n'ont pas travaillé dans ce domaine.
"Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec la position consensuelle selon laquelle le réchauffement climatique des cinquante dernières années est principalement d'origine anthropique, écrivait-elle (lien archivé ici).
Depuis, de nombreuses autres études ont également corroboré ces conclusions, comme détaillé dans ce précédent article de vérification.
Pourtant, l'existence du changement climatique causé par les activités humaines est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications et vidéos trompeuses sur le climat, notamment concernant des modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, une déclaration niant l'urgence climatique, ou encore sur les températures en Arctique.