L'origine humaine du réchauffement climatique n'a "jamais été démontrée"? Les propos trompeurs d'un géologue australien

Le GIEC, référence mondiale sur le changement climatique, considère qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres". Pourtant, un géologue australien affirme que "personne n'a démontré que les émissions humaines de CO2 sont à l'origine du réchauffement climatique". Il joue en réalité sur l'ambivalence de la notion de "démonstration" en science. Il existe un consensus scientifique sur l'origine anthropique du changement climatique, basé sur les observations de nombreux experts depuis plusieurs décennies.

Sur Facebook, Twitter ou encore Telegram, des internautes affirment que "personne n'a jamais démontré que les émissions humaines de CO2 sont à l'origine du réchauffement climatique", s'appuyant sur une vidéo du géologue australien Ian Plimer.

Dans cette vidéo d'environ une minute sous-titrée en français et relayée en novembre 2022, Ian Plimer déclare: "je n'ai pas d'opinions, j'ai des faits démontrables (...) Fait numéro un: personne n'a jamais démontré que les émissions humaines de dioxyde de carbone sont à l'origine du réchauffement climatique".

Il ajoute: "Et si on pouvait le démontrer, il faudrait alors démontrer que les 97% d'émissions, qui sont naturelles, ne sont pas à l'origine du réchauffement climatique (...) Nous avons affaire à une fraude, c'est une fraude scientifique depuis le premier jour".

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Capture d'écran réalisée le 07/12/2022 sur Facebook

Cette vidéo a également été partagée en anglais et vérifiée par l'AFP dans cette langue. Elle a été tournée lors d'une conférence réunissant des conservateurs australiens à Sydney début octobre.

Le géologue Ian Plimer, professeur émérite de l'Université de Melbourne, rejette le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique. Il a travaillé pour des entreprises minières, comme relevé par le média spécialisé dans les sujets sur le climat et l'environnement DeSmog. En 2020, il a été épinglé par le Conseil australien de la presse, chargé de promouvoir les normes de pratique des médias, pour ses propos trompeurs sur le changement climatique.

Ses affirmations ont été vérifiées plusieurs fois par des sites de fact-checking, comme Climate Feedback et Skeptical Science. Ian Plimer a également fait partie des 1200 signataires (davantage aujourd'hui) d'une "déclaration mondiale sur le climat" qui véhiculait des informations trompeuses et a été vérifiée par l'AFP en septembre 2022.

Un "corpus de connaissances" sur le changement climatique

Dans la vidéo partagée sur les réseaux sociaux, Ian Plimer affirme que l'origine humaine du dérèglement climatique "n'a jamais été démontrée".

"Il joue sur l'ambivalence de la signification de 'preuve' en science par rapport à l'utilisation de ce mot dans la vie quotidienne", a commenté le 7 décembre 2022 Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement de Grenoble.

La preuve, ou la démonstration, au sens strict, "n'existent pas en science, à part en mathématiques", explique Gerhard Krinner. "Il y a des faisceaux d'indices qui peuvent être cohérents avec une théorie et qui construisent un corpus de connaissances", poursuit-il.

"En géoscience, à chaque fois qu'on observe quelque chose, on établit une hypothèse, une théorie - qui est un concept extrêmement fort dans ce cas-là. C'est un corpus d'idées qui va permettre d'expliquer ce qu'on observe et de faire des prévisions non triviales". La théorie - qui est l'aboutissement d'une enquête scientifique - du changement climatique est "un corpus de connaissances, cohérent avec toutes les observations qui ont été testées, vérifiées et revérifiées sur les cinquante dernières années", relève Gerhard Krinner.

Le glossaire du GIEC ne contient d'ailleurs pas le mot "preuve", mais utilise plutôt le terme "éléments probants", définis comme les "données et informations utilisées lors d’une analyse scientifique pour établir les résultats. Dans le présent rapport, la force des éléments probants traduit la quantité, la qualité et la concordance des informations scientifiques et techniques sur lesquelles les auteurs principaux fondent leurs conclusions".

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Capture d'écran réalisée le 7/12/2022 sur le site du GIEC

C'est également ce qu'expliquent plusieurs experts dans un article de vérification du média Australian associated press.

Consensus scientifique sur l'origine humaine du changement climatique

Dans le premier volet de leur sixième rapport d'évaluation, publié le 9 août 2021, les experts du GIEC - considéré par la communauté scientifique internationale comme une source fiable et reconnue sur le réchauffement climatique - écrivaient qu'il est désormais "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".

Le rapport montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines sont responsables d'un réchauffement d'environ 1,1 degré Celsius depuis l'époque préindustrielle. Il prévoit également qu'au cours des 20 prochaines années, les températures mondiales moyennes atteindront ou dépasseront un réchauffement de 1,5 °C.

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Graphiques sur l'évolution des températures depuis 1850 et les simulations incluant et excluant l'influence humaine, et sur la concentration de CO2 dans l'atmosphère au cours des 400 000 dernières années ( AFP / Eléonore HUGHES, Jean-Michel CORNU, Simon MALFATTO, Jonathan WALTER)

"Aujourd'hui, il n'y a plus de débat : il y a un consensus scientifique à 100% sur le fait que l'Homme influence le climat", commentait Xavier Fettweis, climatologue à l'Université de Liège, dans un précédent article de vérification de l'AFP.

En 2021, une étude réalisée auprès de 153 experts climatiques confirmés a établi que 98,7% d'entre eux reconnaissaient l'origine anthropique du changement climatique. Cette analyse a été réalisée -entre autres - par John Cook, chercheur au sein du Centre de recherche sur la communication sur le changement climatique de l'université Monash en Australie, et créateur du site Skeptical Science.

"Parmi ceux qui ont le plus haut niveau d'expertise (experts climatiques confirmés de manière indépendante qui ont chacun publié plus de 20 articles évalués par des pairs sur le changement climatique entre 2015 et 2019), 100 % étaient d'accord pour dire que la Terre se réchauffe principalement à cause de l'activité humaine", écrivent les auteurs de cette étude.

Interrogé sur la vidéo du discours du géologue australien, John Cook a déclaré à l'AFP le 30 novembre 2022 que Ian Plimer utilisait "de faux arguments conçus pour induire en erreur et semer la confusion dans l'esprit du public sur la réalité du changement climatique causé par l'Homme".

Une autre étude, publiée le 19 octobre 2021 dans les Environmental Research Letters, évalue même ce consensus scientifique à 99%. A partir des 88.125 études sur le climat publiées depuis 2012, les auteurs en ont sélectionné 3.000 par "randomisation", c'est-à-dire qu'elles ont été tirées au sort conformément à la méthode scientifique afin de garantir l'absence de tout biais de sélection. Parmi elles, seules quatre ont été classées comme implicitement ou explicitement sceptiques sur l'origine humaine du réchauffement climatique.

"Nous concluons, avec une confiance statistique élevée, que le consensus scientifique sur l'origine humaine du changement climatique contemporain, exprimé en proportion totale de publications, dépasse les 99% dans la littérature scientifique évaluée par les pairs", écrivent les auteurs.

Ce consensus avait déjà été décrit dans ce précédent article de vérification de l'AFP, ainsi que dans cet article du site BonPote en partenariat avec l'Institut national des sciences de l'univers du CNRS.

Les observations scientifiques permettent d'établir l'origine anthropique des émissions de CO2

"Il faudrait alors démontrer que les 97 % d'émissions, qui sont naturelles, ne sont pas à l'origine du réchauffement climatique", déclare Ian Plimer dans la vidéo.

Comme l'expliquaient des experts à l'AFP dans ce précédent article de vérification, plusieurs observations permettent aux scientifiques de différencier les émissions naturelles des émissions de CO2 issues de l'activité humaine.

Si ces émissions d'origine humaine sont minimes par rapport aux émissions naturelles, ce sont bien elles qui dérèglent le climat.

Il s'agit "d'une confusion entre les flux naturels de respiration de la biosphère (terrestre et océanique) et les émissions d'origine humaine", expliquait déjà en avril 2022 Gerhard Krinner, s'appuyant sur ce graphique élaboré par les experts GIEC, dont la légende peut être trouvée dans ce rapport du GIEC.

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Budget mondiale de carbone (2010-2019). Les mesures sont indiquées en gigatonnes CO2/an

Dans ce schéma, les flux naturels de CO2 sont représentés par les quatre flèches épaisses oranges et les flux de CO2 d'origine humaine sont représentés en rouge/rose.

Les échanges naturels de CO2, en orange, sont "des flux importants, mais ils se compensent", expliquait Gerhard Krinner. Entre d'autres termes, ils s'équilibrent naturellement. "C'est pour ça que pendant 10 000 ans avant la période industrielle, la concentration de CO2 dans l'atmosphère était stable, proche de 280 ppmv (parties par millions en volume), sans bouger d'un poil ou presque", ajoutait le scientifique.

En regardant ce graphique, "on a l'impression que les émissions naturelles sont beaucoup plus importantes que les émissions humaines", commentait Gerhard Krinner. Le problème, c'est que les émissions anthropiques de CO2 ajoutées à ce cycle le perturbe en rajoutant des gaz à effet de serre.

"Il y a bien sûr une partie du cycle du carbone qui est naturelle", expliquait également Sonia Seneviratne, professeure en sciences climatiques à l’école polytechnique fédérale de Zurich, interrogée par l'AFP en juin 2022.

"Le problème est qu'on a désormais un apport additionnel de CO2 dans l'atmosphère qui vient de la combustion d'anciens déchets végétaux: le pétrole, le gaz ou le charbon étaient à l'origine des plantes qui ont capturé du CO2, sous forme organique, qui est resté stocké sur la planète. Lorsqu'on les brûle, on relâche un apport additionnel de CO2 dans l'atmosphère qui va y rester des centaines à des milliers d'années, et comme c'est un gaz à effet de serre, il induit un déséquilibre dans notre système climatique".

"Au cours des derniers millénaires, nous observons que la nature était en équilibre et le CO2 atmosphérique était stable, jusqu'à ce que les humains commencent à émettre de grandes quantité de CO2 dans l'air", a ajouté John Cook en novembre.

Ce principe est également décrit sur le blog scientifique Skeptical Science: "Le CO2 d'origine humaine dans l'atmosphère a augmenté d'un tiers depuis l'ère préindustrielle, créant un forçage (une modification) artificiel des températures mondiales qui réchauffe la planète. Bien que le CO2 dérivé des combustibles fossiles ne représente qu'une infime partie du cycle mondial du carbone, le CO2 supplémentaire est cumulatif car l'échange naturel de carbone ne peut absorber tout le CO2 supplémentaire".

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