
Les lucioles continuent à illuminer les nuits d'été, malgré une diminution de leur diversité
- Publié le 13 août 2025 à 17:24
- Lecture : 8 min
- Par : Manon JACOB, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Claire-Line NASS , AFP France
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"Nous sommes peut-être la dernière génération qui aura vu des lucioles", assure un message ayant récolté plus de 27.800 mentions "j'aime" sur Instagram depuis le 12 juin 2025.

En anglais, des messages sont encore plus affirmatifs : "Nous sommes la dernière génération à voir des lucioles", clame par exemple une vidéo TikTok enchaînant des images d'illustration, dont certaines semblent générées artificiellement, qui a récolté plus de 340.000 partages depuis le 14 juillet.

Des publications similaires exprimant des inquiétudes sur l'extinction des lucioles d'ici la prochaine génération ont été partagées sur les réseaux sociaux dont TikTok ou Facebook ces dernières semaines, alors que l'été constitue la période pendant laquelle ces insectes sont principalement observés.
Mais ces messages manquent de contexte. Bien que certaines espèces de lucioles soient affectées par les conséquences du réchauffement climatique, d'autres se sont adaptées aux changements des habitats urbains, ce qui rend peu probable leur disparition d'ici la fin du siècle, selon les scientifiques interrogés par l'AFP.
"En résumé, non, nous ne serons pas la dernière génération à voir des lucioles", a assuré Clyde Sorenson, professeur au département d'entomologie et de pathologie végétale de l'Université d'État de Caroline du Nord, à l'AFP le 16 juillet 2025 (lien archivé ici).
Des anciens articles mal interprétés
La publication virale en français cite comme source pour ses affirmations le magazine "National Geographic". Des recherches avancées sur Google avec les mots-clés "lucioles" et "fireflies" sur les sites en anglais et en français du magazine nous ont d'abord renvoyés vers un article, publié en anglais et en français, intitulé "Pourra-t-on encore voir des lucioles cet été ?" publié le 22 avril 2025 (liens archivés ici et ici).
Si ce dernier précise dès son introduction que des "scientifiques soupçonnent de nombreuses espèces d'être en déclin", il ajoute que "de nombreuses questions restent en suspens et tout espoir n'est pas perdu".

Cet article n'indique nulle part que la génération actuelle pourrait être la dernière à voir des lucioles ; il indique plutôt que certaines espèces sont en déclin, en raison des activités humaines, selon des scientifiques du Groupe de spécialistes des lucioles de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui suivent l'évolution des populations (lien archivé ici).
Mais les spécialistes interrogés disent "poursuivre leurs efforts de conservation" et être "sur la bonne voie".
D'autres recherches avec les mots "18 species" ("18 espèces") nous ont menés vers un article en anglais de juin 2023, intitulé "Les lucioles disparaissent, mais vous pouvez les protéger". Il mentionne une étude publiée en novembre 2021 dans la revue Plos One par des scientifiques qui tentaient d'évaluer les risques d'extinction des lucioles en Amérique du Nord, et qui évoquaient "au moins 18 espèces" menacées d'extinction (liens archivés ici et ici).
Contrairement à ce qui est évoqué dans les publications sur les réseaux sociaux, l'article du magazine n'indique pas non plus que les lucioles seraient sur le point de disparaître d'ici la fin de cette génération, mais propose des conseils pour faire en sorte de réduire l'impact des activités humaines sur la destruction des habitats de ces coléoptères.
Des capacités d'adaptation variables
Il existe plus de 2.000 espèces de lucioles, présentes sur tous les continents, sauf l'Antarctique (lien archivé ici).
Les lucioles crépusculaires, comme la luciole commune de l'est (ou photinus pyralis), continuent de proliférer dans de grandes villes de l'est des États-Unis, car elles s'adaptent à la lumière ambiante et peuvent ainsi être plus résistantes à la pollution lumineuse (lien archivé ici).
"Ce sont ce que nous appelons des espèces généralistes", c'est-à-dire qu'elles peuvent survivre dans différents types d'habitats, et elles ont donc "naturellement des capacités d'adaptation élevées", explique Clyde Sorenson (liens archivés ici et ici).
Cependant, ce qui est bel et bien en danger actuellement selon les scientifiques, c'est la diversité des espèces de lucioles : celles qui sont moins capables de s'adapter à une modification des écosystèmes sont particulièrement menacées (lien archivé ici).
De nombreuses espèces spécialistes (qui, à l'inverse des généralistes, ne survivent que dans des habitats particuliers) vivent dans des écosystèmes qui ont été soumis à des changements significatifs et rapides causés par des activités humaines.
Parmi les facteurs qui modifient rapidement les écosystèmes figurent l'utilisation de pesticides, la pollution lumineuse, plus largement le changement climatique et ses conséquences, ou les catastrophes naturelles.
"Les espèces qui vivent dans des marais côtiers ou des mangroves pourraient être déplacées à mesure que la montée du niveau de la mer élimine leurs habitats", illustre Clyde Sorenson.
C'est le cas de la rare luciole de Bethany Beach, endémique des zones marécageuses de la baie de l'État américain du Delaware (liens archivés ici et ici).
La luciole de Bethany Beach est la première espèce de luciole à avoir été proposée pour être officiellement reconnue comme une espèce menacée, en vertu de la loi fédérale américaine sur les espèces en danger d'extinction ("US Endangered Species Act") adoptée en 1973 pour protéger les espèces de poissons, de faune sauvage et de plantes, ainsi que leurs habitats, contre l'extinction (lien archivé ici).

La montée du niveau de la mer causant des inondations de marées hautes et des tempêtes plus fréquentes et plus graves menacent de dégrader voire détruire entièrement leurs habitats, et la plupart des lucioles de Bethany Beach pourraient avoir disparu d'ici 2100, selon des estimations réalisées par des scientifiques (liens archivés ici et ici).
Quatre autres espèces de lucioles ont également été proposées pour figurer sur la liste de la loi américaine sur les espèces en danger d'extinction (lien archivé ici).
L'AFP a contacté Candace Fallon, biologiste spécialisée dans la conservation des espèces en danger au sein de l'organisation à but non lucratif Xerces Society for Invertebrate Conservation (lien archivé ici et ici). Elle est aussi l'autrice principale de l'étude de 2021 sur l'évaluation des risques liés à l'extinction des lucioles en Amérique du Nord mentionnée par le National Geographic.
Selon elle, au 17 juillet 2025, au moins 18 espèces de lucioles aux États-Unis étaient menacées d'extinction, mais le chiffrage reste difficile, faute de données précises liées à certaines espèces.
"Jusqu'à un tiers des espèces de lucioles pourraient être menacées une fois que nous aurons recueilli suffisamment d'informations pour mener une évaluation approfondie des espèces pour lesquelles nous manquons de données", a-t-elle ajouté.
Des menaces liées aux activités humaines
Sarah Lower, biologiste à l'université Bucknell, en Pennsylvanie, a indiqué à l'AFP qu'il était essentiel de considérer le fait qu'il existe "une probabilité accrue de perdre" des populations locales de lucioles en raison des activités humaines et des changements dans les écosystèmes (lien archivé ici).
"Si un champ devient un parking goudronné avec des lampadaires allumés toute la nuit", et si cette zone abrite "la dernière population restante d'une espèce particulière, alors cette espèce pourrait s'éteindre", illustre-t-elle le 16 juillet.

Lynn Faust, consultante en études sur les lucioles auprès des parcs nationaux américains, ajoute que "les lucioles font face à de très nombreux défis dans le monde d'aujourd'hui. La destruction de leurs habitats due au développement des activités des humains est l'un des plus grands", estime le 17 juillet Mme Faust, qui les étudie depuis 35 ans (lien archivé ici).
Les deux autres menaces principales, selon elle, sont la pollution lumineuse artificielle pour les espèces particulièrement sensibles à celle-ci, et l'utilisation des pesticides.
Elle ajoute cependant que "les lucioles se portent très bien tant que les trois éléments mentionnés plus haut ne surviennent pas dans leur habitat".
Les spécialistes rappellent que tout un chacun peut par ailleurs contribuer à la protection et la conservation des lucioles en veillant à préserver la végétation originale présente sur des terrains, en limitant l'usage d'insecticides et en réduisant autant que possible l'éclairage nocturne (lien archivé ici).
La désinformation sur l'impact des changements climatiques et de la pollution humaine sur les espèces et les écosystèmes est récurrente sur les réseaux sociaux, et l'AFP se penche régulièrement sur des affirmations trompeuses à ce sujet dans des articles consultables ici.