Cette vidéo sur "l'arnaque mondiale" du réchauffement climatique accumule raccourcis et propos trompeurs
- Publié le 12 septembre 2024 à 17:23
- Lecture : 26 min
- Par : Théo MARIE-COURTOIS, Claire-Line NASS, AFP France
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"Réchauffement climatique : décryptage d'une arnaque mondiale", affirme le titre d'une vidéo YouTube ayant récolté plus de 500.000 vues depuis le 8 septembre 2024. Pendant plus d'une heure, un homme filmé assis à un bureau dans un décor aux lumières tamisées, entend remettre en question le consensus scientifique autour du dérèglement climatique et son origine humaine.
Il enchaîne les propos trompeurs pour sous-entendre que les modèles climatiques sont peu fiables, que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) serait partial, et pour remettre en cause la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique et les effets néfastes de ce dernier.
Cette vidéo a été largement partagée sur X, notamment par des internautes habitués à relayer des propos faux ou trompeurs sur le climat comme "l'Association des climato-réalistes" ou l'économiste Philippe Herlin.
On retrouve des publications la relayant sur différents réseaux sociaux comme Facebook, Telegram ou TikTok.
L'auteur de la vidéo, "Le Raptor" selon son pseudo, a lui-même publié plusieurs messages viraux sur les réseaux sociaux pour la promouvoir, expliquant qu'il serait "temps de mettre un terme à cette manipulation funeste qui n'a que trop duré".
"Le Raptor", Ismaïl Ouslimani de son vrai nom, est un influenceur qui s'est fait connaître en publiant sur YouTube des vidéos. Il fait partie d'une galaxie d'influenceurs promouvant un discours viriliste, antirépublicain et d'extrême droite, comme détaillé dans cette dépêche de l'AFP (lien archivé ici).
Disposant de plus de 700.000 abonnés sur YouTube, il avait depuis plusieurs années délaissé la plateforme pour se concentrer sur le coaching en ligne, la réalisation d'un podcast et la vente de compléments alimentaires à destination des adeptes de la musculation.
Pour Roman Bornstein, co-directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, "'Raptor' prend surtout prétexte du climat pour attaquer les ennemis habituels de l'extrême droite complotiste : le 'système', les 'médias corrompus et fanatisés idéologiquement', les élites mondialisées qui veulent 'prendre notre argent' et nous mettre 'en chemin vers la tiers-mondisation', les scientifiques rhabillés en 'geeks de merde', les transgenres, les féministes 'aux profils psychiatriques calamiteux', le 'lgbtisme'" (lien archivé ici).
Cette stratégie s'inscrit dans "un agenda politique plus global cherchant à opposer le 'peuple' contre les 'élites'" et nécessitant "une conflictualisation permanente qui ne laisse aucune place au consensus", note le producteur du podcast "Mécaniques du complotisme" de France Culture auprès de l'AFP le 11 septembre (lien archivé ici). "C'était le même moteur qu'on avait vu à l'œuvre dans le complotisme autour du Covid-19", ajoute-t-il.
Le réchauffement climatique, qui "s'annonce comme le grand bouleversement de notre ère" est un sujet qui suscite des inquiétudes et est, en ce sens, un vivier potentiel pour les désinformateurs, selon le chercheur, car "historiquement, les grands mythes complotistes ont toujours pu prospérer en période de crise, à des moments où le public cherchait une explication simple et rassurante à un bouleversement du monde à la fois incompréhensible et inquiétant".
"En 2023, la Fondation Jean-Jaurès a mesuré que 37% des Français pouvaient être classés parmi les climatosceptiques, soit parce qu'ils nient la réalité du réchauffement soit parce qu'ils nient le rôle de l'Homme dedans (lien archivé ici). Il y a une part de marché climatosceptique à occuper, une demande à satisfaire, et le succès de cette vidéo le montre", conclut Roman Bornstein.
Des "sources" orientées
La vidéo repose en grande partie sur le livre "Unsettled: What Climate Science Tells Us, What It Doesn't, and Why it Matters", "Climat, la part d'incertitude" dans sa version traduite en français dont elle reprend largement la trame.
Publié en 2021, l'ouvrage avait été critiqué à sa sortie par des scientifiques et des journalistes spécialisés dans les questions environnementales et climatiques pour son "cherry-picking" - le fait de ne sélectionner que les données favorables aux allégations du livre - et sa remise en question du consensus scientifique mondial (liens archivés ici, ici et là).
Son auteur Steven Koonin est un physicien et ancien conseiller scientifique de l'ancien président américain Barack Obama. Comme le relevait CheckNews en 2023, cet ancien employé de la compagnie pétrolière britannique BP tient un discours oscillant "entre climatoscepticisme et climato-rassurisme", c'est-à-dire entre déni du dérèglement climatique et assurance que les progrès de la technologie permettront de s'adapter à ces évolutions (lien archivé ici).
Steven Koonin figure dans la base de données sur la désinformation climatique du média anglophone spécialisé DeSmog, qui a répertorié plusieurs de ses prises de positions climatosceptiques (lien archivé ici).
La description de la vidéo contient, outre diverses publicités pour les activités de l'influenceur, un lien vers un document baptisé "Sources". En préambule de ce texte de deux pages, l'influenceur écrit : "si vous êtes là, votre taux d'hostilité envers ma personne est d'au moins 30%. Vous êtes là parce que vous cherchez désespérément la faille dans mon argumentaire implacable".
Plutôt que de citer réellement ses références (il renvoie à la vidéo en expliquant qu'elles apparaissent à l'écran), "Le Raptor" déroule un discours appelant à sortir du "narratif promu par la matrice" empreint de nombreuses références au Covid-19 et aux mesures instaurées pour endiguer la pandémie. La seule source véritablement citée est "Climat, la part d'incertitude" de Steven Koonin.
Dans ce texte mais aussi dans la description de sa vidéo YouTube, l'influenceur multiplie les "trolls", c'est-à-dire des liens présentés comme des références clés pour son travail mais renvoyant en réalité à des éléments sans rapport, comme une musique parodique sur le Covid-19 ou le site "ViteMaDose", qui permet de trouver facilement des rendez-vous de vaccination anti-Covid.
Le dérèglement climatique est bien d'origine humaine
"Le Raptor" commence son argumentaire par tenter de distiller des doutes quant à l'origine humaine du réchauffement climatique. Il affirme que les données "montrent bel et bien que de très puissantes forces naturelles impactent également le climat", et assure ironiquement que cela "devrait rassurer tous les critiques qui pensent que la planète va mourir dans quelques années à cause de la température".
Pour appuyer ses dires, il met en avant un graphique tiré du livre de Steven Koonin qui montre les différents paramètres influant sur la température de la Terre. Il le commente en disant qu'il montre "une incertitude totale de ces estimations", de "50%".
Mais ces déductions sont trompeuses. Il existe en effet des incertitudes dans les données sur la température, en particulier sur le "forçage radiatif" des aérosols, c'est-à-dire le déséquilibre énergétique causé par ces particules fines dans le système climatique (lien archivé ici).
Mais cela ne suffit pas à conclure qu'il reste des incertitudes sur l'origine humaine du réchauffement : "le forçage radiatif des facteurs naturels (volcans, variations de l'activité solaire) est dans tous les cas très nettement inférieur" à celui causé par les activités humaines depuis la période pré-industrielle, comme cela est d'ailleurs observable sur le graphique, souligne auprès de l'AFP le 11 septembre 2024 le climatologue Gerhard Krinner, directeur de recherches au CNRS et chercheur à l'Institut des Géosciences de l'Environnement (IGE) de Grenoble.
"Donc ça ne remet en aucun cas en doute la conclusion que c'est l'activité humaine qui cause l'essentiel du changement climatique", conclut le chercheur.
Le Giec a par ailleurs publié, dans la synthèse de son dernier rapport, un autre graphique illustrant les différents facteurs ayant un impact sur la température de la Terre (lien archivé ici).
L'argument selon lequel les variations naturelles du climat remettraient en cause l'origine humaine du réchauffement est par ailleurs régulièrement brandi, mais il est fallacieux, comme l'ont déjà de nombreuses fois expliqué des experts auprès de l'AFP.
Le Giec, la référence mondiale des connaissances sur le climat
"Le Raptor" critique aussi le Giec et son mode de fonctionnement, et aborde par exemple le fait que les experts du Giec puissent prendre en compte, pour réaliser leurs synthèses, des documents qui ne sont pas des études scientifiques : "travailler pour une entreprise de combustible fossile ou au contraire pour une 'ONG climatiste' et servir de base à la rédaction de ce rapport : ceci constitue déjà un premier problème d'objectivité".
Mais il s'agit d'une extrapolation : la majeure partie des sources utilisées par le Giec sont des études scientifiques.
Le Giec explique en toute transparence son fonctionnement sur son site : notamment comment il sélectionne ses auteurs, sur quels documents il se fonde, comment fonctionne son processus d'examen, comment il approuve les rapports (liens archivés ici, ici, ici, ici, là).
Le Giec est aujourd'hui considéré comme la référence mondiale de connaissances sur le climat. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), ce groupe d'experts réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, océanographes, glaciologues, économistes ; et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007 (lien archivé ici).
Il est divisé en trois groupes d'experts, nommés par les différents gouvernements et organisations internationales : le premier étudie les preuves scientifiques du réchauffement, le deuxième ses impacts et le troisième présente les solutions envisageables pour l'atténuer.
Chaque groupe analyse les publications et données disponibles sur son sujet, qui sont principalement issues d'études scientifiques révisées par des pairs, pour en présenter une synthèse équilibrée accessible à des personnes n'ayant pas forcément une formation scientifique poussée.
Il peut arriver dans les groupes II et III que des sources dites "grises", qui ne sont pas des études scientifiques, soient utilisées, explique Gerhard Krinner, qui a participé aux travaux du cinquième rapport du Giec, car "il y a des choses où la littérature scientifique proprement dite est parfois trop maigre, où il n'y a pas assez de détails sur certains impacts du réchauffement" (lien archivé ici).
"Il peut s'agir de rapports comme ceux de l'Organisation météorologique mondiale, de la FAO, des agences des Nations unies qui ont fait des travaux sur certains sujets spécifiques, qui ne sont pas vraiment des articles scientifiques révisés par des pairs mais qui ont quand même des origines crédibles. Quand, pour le groupe III, on fait une liste détaillé des émissions de CO2, on peut aussi regarder combien les groupes pétroliers ont vendu de pétrole, donc leurs chiffres peuvent figurer dans les sources", détaille le climatologue à l'AFP.
Mais toutes ces références ne sont pas considérées comme ayant le même degré de fiabilité, à l'inverse de ce que suggère le youtubeur. Et pour être le plus précis possible sur le degré de consensus de chaque conclusion, le Giec utilise d'ailleurs une liste de qualificatifs en fonction du niveau de confiance, indiqués en italique dans ses rapports, qui sont notamment détaillés dans ce document (lien archivé ici).
Dans le premier volet de son dernier rapport d'évaluation, publié le 9 août 2021, le Giec conclut que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres" (lien archivé ici).
"Le Raptor" assure aussi que "des scientifiques du monde entier comme Steven Koonin [l'auteur du livre sur lequel il fonde sa vidéo, NDLR] ont proposé la mise en place d'une 'red team', une équipe de scientifiques sans pitié qui serait chargée de confronter l'étude en la reproduisant de manière indépendante", puis ajoute : "toutes les propositions de 'red team' ont été rejetées... Bizarre".
Mais il emploie là un terme qui n'a pas de lien avec le mode de fonctionnement habituel des scientifiques travaillant sur le climat, selon Roland Séférian, climatologue et chercheur au CNRM et à Météo France, interrogé par l'AFP le 11 septembre 2024 (lien archivé ici).
"C'est une approche qui est souvent utilisée en cybersécurité pour tester des scénarios, il y a une confusion sur la manière dont le Giec fonctionne (...) en fait typiquement le 'red teaming' serait de voir la réalité des scénarios qu'on aurait posé, mais c'est pas du tout ce qu'on fait, la manière dont les scénarios sont approchés, c'est un ensemble d'opportunités qui sont là pour guider l'action publique", détaille le spécialiste.
Il ajoute que "s'il y avait une considération type 'red teaming' pour évaluer la robustesse de tel ou tel scénario futur, ça voudrait dire qu'on sortirait du mandat non prescriptif du Giec" (le Giec n'a pas pour mission de prescrire des mesures) (lien archivé ici).
Par ailleurs, les méthodes utilisées par le Giec sont transparentes, rappelle Gerhard Krinner : "les différentes versions du manuscrit sont relues, et peuvent recevoir des commentaires, les auteurs sont obligés d'y répondre publiquement".
L'influenceur assure aussi que les "résumés pour les décideurs" du Giec sont réalisés par ces derniers, ce qui met en doute leur intégrité : "le résumé n'est pas seulement à l'intention des décideurs, il est carrément sous l'influence des décideurs eux-mêmes, c'est un peu comme si tu te faisais ton propre cadeau de Noël quoi, c'est un peu la loose mais au moins t'es pas déçu".
Là encore, il s'agit d'une interprétation trompeuse du fonctionnement du Giec, selon les experts interrogés par l'AFP.
Il est vrai que si certains de ces "décideurs" (des membres de cabinets ou de gouvernements) participent à l'écriture de ces résumés, leur rôle n'est pas de juger le fond des rapports mais plutôt leur mise en forme.
"Les scientifiques auteurs du rapport sont présents, et c'est eux qui fournissent le deuxième draft et le draft final [...] Les scientifiques ont toujours le dernier mot, ce n'est pas les décideurs qui vont changer les chiffres", résume Roland Séférian.
"Il y a un travail de négociation et de consensus [...] Imaginons qu'il y ait un point clé qui soit remis en cause par une agence d'état au moment de l'élaboration du résumé pour décideurs, dans ce cas-là on retourne vers l'équipe d'auteurs au complet et tout le travail repart du matériel même, du rapport complet. Le résumé pour décideurs n'est pas un rapport indépendant en tant que tel, c'est un rapport qui s'appuie sur l'évaluation complète, sur lequel les scientifiques ont le premier et le dernier mot", abonde-t-il.
"Le fait de faire signer les décideurs, ça donne un poids supplémentaire, on appelle ça de la co-construction", abonde aussi Gerhard Krinner.
Les projections des modèles climatiques vérifiées jusqu'ici
Dans une autre partie d'une dizaine de minutes consacrée à la modélisation climatique, "Le Raptor" assure que "décrire le climat de manière utile reste l'un des plus grands défis de la simulation scientifique" alors que les modèles seraient présentés comme des "théorèmes implacables".
"Même si on bidouillait correctement les réglages [des modèles] pour retracer exactement le passé, ça resterait du bricolage, on ne connaîtrait toujours pas avec exactitude les lois physiques qui vont s'appliquer à l'avenir", poursuit l'influenceur.
Ces propos sont à nuancer.
"Que les modèles de climat soient complexes, c'est une réalité", explique Marie-Alice Foujols, responsable technique du pôle de modélisation du climat de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), à l'AFP le 10 septembre 2024 (lien archivé ici). "Mais là où c'est faux, c'est qu'on ne peut pas leur faire confiance. On peut leur poser un certain nombre de questions et on a des résultats extrêmement robustes qui sont absolument inattaquables", ajoute l'ingénieure.
Comme l'AFP l'écrivait déjà dans cette fiche dédiée publiée en décembre 2023, les projections issues des modélisations utilisées dans les différents rapports du Giec se sont avérées fiables jusqu'ici.
Selon le climatologue Zeke Hausfather, "les modèles climatiques publiés depuis 1973 ont généralement été assez bons dans la prévision du réchauffement futur" (lien archivé ici). "Si certains étaient trop faibles et d'autres trop élevés, ils présentent tous des résultats raisonnablement proches de ce qui s'est réellement produit", indiquait-il en 2017 au site web consacré au changement climatique CarbonBrief (lien archivé ici).
Par ailleurs, "par essence, un modèle n'est pas censé être parfait. On ne parle pas d'une émulation du réel, on parle d'une approximation qui nous permet d'étudier la réponse à un phénomène", relève Roland Séférian.
Comme l'explique un article du média Bon Pote écrit en collaboration avec Marie-Alice Foujols, un modèle climatique "ne peut pas calculer" l'évolution du climat pour chaque mètre cube de la planète (lien archivé ici). "Au lieu de cela, [il] divise la terre en une série de boîtes ou 'cellules de grille'".
Aussi appelées mailles, ces zones "mesurent [en général, NDLR] environ 100km", précise le laboratoire de météorologie dynamique de l'Institut Pierre-Simon Laplace (lien archivé ici). Pour les processus inférieurs à la taille de la maille, notamment ceux liés aux nuages, à la pluie ou au rayonnement, les scientifiques calculent une moyenne par zone grâce à des mesures.
Il y a donc une "forme d'empirisme" dans la réalisation des modèles qui est "inhérent à la manière dont on approche la représentation des phénomènes", explique Roland Séférian. Mais, souligne le spécialiste, "cela ne veut pas dire que c'est imparfait, c'est juste qu'en l'absence de mesures physiques exactes et de constantes universelles, on est obligé d'approcher ces éléments de cette manière-là".
Cette méthode n'est pas spécifique à l'étude du climat puisqu'on la retrouve "dans toutes les sciences", ajoute le chercheur.
L'une des critiques faites par "Le Raptor" à l'encontre de la communauté scientifique, et principalement du Giec, réside dans les difficultés pour les modèles à reproduire les événements climatiques passés.
Pour Roland Séférian, ces reproches passent à côté de l'essentiel. "Le but est de nous donner une réponse sur le forçage anthropique", c'est-à-dire le déséquilibre énergétique causé par les activités d'origine humaine dans le système climatique, explique le chercheur.
"Nos modèles, peu importe qu'ils attrapent ou pas la chronologie des événements passés, sont capables de simuler les grandes lois qui gouvernent la relation entre nos émissions et le réchauffement global, typiquement ce qu'on appelle réponse climatique aux émissions cumulées de CO2", pointe le climatologue.
La vidéo virale s’attarde aussi sur les réglages de ces modèles, revenant notamment sur l’exemple de l'institut allemand Max Planck qui aurait "multiplié par 10" certaines de leurs données "parce que leur modèle ultra précis affichait un réchauffement deux fois supérieur aux données observées dans le passé".
Ces allégations ont pour origine un débat scientifique sur la nécessité d'intégrer ou non la sensibilité climatique - le lien entre émissions de gaz à effet de serre et réchauffement climatique - dans les paramètres des modèles de simulation, explique Roland Séférian.
Selon lui, la plupart des modèles (au contraire de l'institut Max Planck) ont fait le choix de ne pas l'inclure comme une variable d'entrée du système mais de continuer de la catégoriser comme une "propriété émergente", c'est-à-dire la résultante de l'interaction de plusieurs éléments du modèle.
De son côté, le Giec rappelle d'ailleurs analyser "toujours les résultats de nombreux modèles climatiques afin de comprendre quels sont les résultats associés à notre plus grand degré de certitude" puisque "les simulations climatiques peuvent varier d'un modèle à l'autre" (lien archivé ici).
Trop de CO2 est néfaste pour la planète
"Le Raptor" explique aussi que "des périodes de plusieurs millions d'années à plus de vingt fois la concentration en CO2 actuelle ont existé, avec des variations naturelles positives ou négatives brutales". Par conséquent assure-t-il, "la planète survivra très bien à une hausse du CO2 puisque c'est la routine pour elle".
Cette démonstration est fallacieuse.
"Une telle comparaison nécessite de contextualiser le système climatique à chaque époque donnée vu qu'il ne fonctionnait pas de la même manière", expliquait déjà en janvier 2023 à l'AFP au sujet de fausses assertions semblables Jean-François Deconinck, professeur à l'université de Bourgogne et spécialiste de la sédimentologie (lien archivé ici).
Chloé Maréchal, géochimiste, maîtresse de conférences au Laboratoire de Géologie de Lyon, et co-autrice du livre "Climats - Passé, présent, futur" (éd. Belin, avec Marie-Antoinette Mélières) indiquait à la même date que la problématique du réchauffement climatique tient avant tout à la rapidité à laquelle le niveau de CO2 augmente depuis deux siècles (lien archivé ici).
"L'augmentation du CO2 dans l'atmosphère à l'heure actuelle est d'environ 50% par rapport à l'époque préindustrielle [...] : ce n'est pas une 'bagatelle' puisque nous atteignons en seulement un siècle environ une concentration qui n'a pas été atteinte depuis plus de trois millions d'années", soulignait l'experte.
Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte l'évolution de l'irradiance solaire qui était plus faible il y a plusieurs millions d'années.
"Aujourd'hui, si le soleil avait une irradiance de 1% de moins, la planète serait gelée, même avec le réchauffement climatique", selon Jean-François Deconinck.
"Le Raptor" affirme aussi qu'"en réalité, le CO2 n'est pas un polluant mais bien un fertilisant naturel pour la végétation" ce qui serait "logique puisque la végétation repose sur la photosynthèse, c'est-à-dire la transformation de l'eau et du CO2 en oxygène et en glucose grâce à la lumière du Soleil".
Encore une fois, ces propos manquent de contexte. Comme les experts le soulignent régulièrement (ici, ici ou encore là), la végétation bénéficie à court terme d'une concentration plus élevée du CO2 dans l'atmosphère.
Mais cet effet fertilisant diminue avec le temps - le CO2 n'étant par ailleurs qu'un facteur de croissance parmi d'autres - et n'est pas suffisant pour compenser les émissions dues à l'activité humaine et le rythme d'augmentation du CO2 dans l'atmosphère terrestre. Or, la végétation souffre aussi du dérèglement climatique comme avec les sécheresses ou les feux de forêts.
L'élévation du niveau des mers accélérée par le réchauffement
Dans sa vidéo, l'influenceur prétend aussi remettre en cause des données liées aux conséquences déjà observables du réchauffement climatique.
Il assure par exemple que les scientifiques se seraient trompés au sujet de l'élévation du niveau des mers : "une de leurs prévisions extrêmement réalistes et précises était bien sûr l'élévation catastrophique du niveau des eaux jusqu'à six mètres [entre 2006 et, NDLR] 2016 en couvrant totalement la statue de la Liberté et plongeant l'humanité dans l'âge d'or de la piraterie", assure-t-il.
Puis il conclut : "la vitesse de montée des eaux semble être cyclique au moins depuis qu'on a des mesures officielles, depuis 1900 oscillant entre moins d'un millimètre par an et trois millimètres par an, soit je le rappelle quatre fois moins que les douze millimètres par an d'il y a 12.000 ans", sous-entendant qu'elle consisterait en un phénomène naturel.
Mais ces affirmations sont trompeuses, et font partie des arguments fallacieux récurrents sur le niveau des mers. Comme détaillé dans cette fiche réalisée par l'AFP, le niveau des mers varie sur de grandes échelles de temps depuis des centaines de millions d'années, mais cela ne remet pas en cause le fait que l'élévation - très rapide - enclenchée depuis le début du siècle dernier soit clairement attribuée par les scientifiques aux activités humaines, et que certaines de ses conséquences soient d'ores et déjà observables.
Avec la hausse de la température moyenne à la surface de la Terre, le niveau des océans augmente, sous l'effet de deux phénomènes : l'eau de mer, plus chaude, se dilate, et la fonte des glaciers et calottes polaires accroît les apports d'eau douce vers la mer.
C'est pourquoi la hausse récente du niveau des océans se fait à des "taux sans précédents depuis au moins 2.500 ans", comme indiqué sur le site de l'agence spatiale américaine, la Nasa, dédié au climat (lien archivé ici).
Ainsi, le niveau moyen des mers a augmenté de 20 centimètres entre 1901 et 2018, avec une accélération à partir de la fin des années 1960, la hausse moyenne passant alors de 2,3 millimètres par an entre 1971 et 2018 à 3,7 mm par an entre 2006 et 2018, comme indiqué dans le sixième rapport du Giec paru en août 2021 (lien archivé ici).
Par ailleurs, l'AFP n'a pas pu retrouver mention d'une prévision de "six mètres" de hausse du niveau des mers dans le quatrième rapport du Giec, publié en 2007. Dans une vidéo visant à vérifier des allégations trompeuses diffusées par "Le Raptor", le média spécialisé sur le climat Bon Pote a aussi indiqué ne pas avoir pu retrouver de tels chiffres (lien archivé ici).
Gerhard Krinner a aussi dit à l'AFP n'avoir "aucune connaissance de cette prédiction", rappelant que dès ses premiers rapports dans les années 1990, le Giec mentionnait une augmentation de l'ordre de "dizaines de centimètres" jusqu'à aujourd'hui, "ce qui s'est vérifié".
Le premier rapport de 1990 mentionne en effet une augmentation du niveau des mers "d'environ 0,3 à 0,5 m d'ici 2050, et jusqu'à 1 mètre d'ici 2100" (p. 229, lien archivé ici).
En mars 2023, l'AFP s'était penchée sur des fausses informations sur la montée du niveau des mers à New York et autour de la statue de la Liberté. A l'époque, les données montraient que le niveau moyen de la mer à l'échelle mondiale avait augmenté dans les mêmes ordres de grandeur qu'à New York.
Et cette hausse tend à s'accélérer. Le long de la côte américaine, le niveau des océans pourraient augmenter en moyenne de 25 à 30 cm entre 2020 et 2050, ce qui équivaut à l'augmentation observée sur un siècle entre 1920 et 2020, selon un rapport de l'agence américaine d'étude de l'atmosphère et des océans publié en 2022 (lien archivé ici).
Quant à l'idée selon laquelle le niveau des mers a augmenté plus rapidement il y a des dizaines de milliers d'années qu'avec le réchauffement climatique d'origine humaine, elle est aussi trompeuse, selon Gerhard Krinner, car ces périodes ne sont pas comparables.
"Il y a 14.000 ans à peu près, c'était la déglaciation, la sortie du dernier maximum glaciaire [période où la Terre connaissait des conditions climatiques les plus froides, NDLR], qui a eu lieu à peu près il y a 20.000 ans", détaille-t-il. A l'époque, "le niveau des mers était 100 mètres plus bas, il y avait trois kilomètres de glace sur le Canada, et à peu près deux kilomètres de glace sur la Scandinavie. La température moyenne de la Terre était à peu près cinq degrés inférieure à celle d'aujourd'hui", explique-t-il.
Mais à la fin de ce maximum glaciaire causé par un changement de paramètres naturels influant sur le climat, une grande partie de ces calottes glaciaires ont fondu, ce qui a fait augmenter le niveau des mers et en parallèle, la température de la Terre. Mais, "la disparition de la glace sur le Canada et sur la Scandinavie, ça a duré 10.000 ans", selon Gerhard Krinner.
Or, avec le réchauffement actuel d'origine anthropique, la Terre pourrait se réchauffer de 2 à 3 degrés en deux cent ans seulement, rappelle-t-il. C'est pourquoi "la comparaison avec la période de la dernière déglaciation n'est pas pertinente".
Le changement climatique intensifie certains feux de forêts
Parmi les sources que "Le Raptor" utilise pour parler des conséquences du réchauffement, figurent par ailleurs pêle-mêle le cinquième rapport du Giec (c'est-à-dire l'avant-dernier, dans lequel n'apparaissent donc pas les données les plus récentes), mais aussi des articles de médias, et des images du livre de Steven Koonin.
Il assure par exemple que "l'écrasante majorité des feux de forêt sont le fait de pyromanes, de feux de camps ou de brûlages de débris", sous-entendant ainsi qu'ils n'auraient pas de lien direct avec le changement du climat mais seraient plutôt le fait d'actions individuelles.
Mais c'est trompeur, car ce raisonnement omet de rappeler que si les feux débutent par des actions individuelles parfois criminelles, leur intensité et gravité sont quant à elles aggravées par des sécheresses dans certaines régions, elles-mêmes résultant du réchauffement climatique causé par les activités humaines, comme l'avaient d'ailleurs rappelé des scientifiques auprès de l'AFP en juin 2024 (lien archivé ici).
"Ce qui compte pour les feux, c'est leur taille et leur intensité", et non pas leur cause, rappelle Gerhard Krinner. Or, "ce qu'on observe, c'est que la taille qu'atteignent les feux, surtout dans des régions où les forêts ne sont pas gérées comme en Sibérie ou au Canada, a un lien avec le changement climatique".
Dans son sixième rapport (lien archivé ici), le Giec explique que "les augmentations globales de températures dues au changement climatique anthropique ont accru l'aridité et la sécheresse, allongeant la saison des incendies sur un quart de la surface végétalisée mondiale et augmentant la durée moyenne de la saison des incendies d'un cinquième entre 1979 et 2013".
Le Giec précise aussi que "le changement climatique provoqué par l'Homme [influe] sur les feux de forêt en intensifiant son principal facteur de déclenchement, la chaleur. [Celle-ci] assèche la végétation et accélère le brûlage", tout en rappelant que d'autres facteurs sans rapport avec le climat peuvent causer des feux de forêt, tels que la déforestation ou le brûlage agricole.
L'AFP avait déjà consacré plusieurs articles au sujet d'affirmations récurrentes visant à questionner les liens entre le réchauffement climatique et des récents incendies d'ampleur, au Canada ou en Grèce, ici et là.
La responsabilité historique des pays développés
A la fin de sa vidéo, l'influenceur prétend aussi que comme les émissions de gaz à effet de serre des pays en voie de développement sont plus importantes et vouées à augmenter dans les années à venir par rapport à celles des pays développés, toute action de ces derniers pour tenter de limiter les émissions serait ainsi inutile.
Il assure par exemple que la France ne représente que "1%" des émissions mondiales, ce qui laisse penser que toute action des Français serait vaine.
Il s'agit là encore d'un raisonnement trompeur déjà maintes fois vérifié, qui omet aussi de prendre en compte la responsabilité historique des pays développés dont la France dans les émissions de gaz à effet de serre.
Comme le détaillait l'AFP dans cette fiche publiée en décembre 2023, si l'on ne compte que le CO2 émis sur le territoire national, la part de la France dans les émissions mondiales était de 0,82% en 2021, soit 305,96 millions de tonnes.
Pour prendre en compte les autres gaz à effet de serre (le méthane et le protoxyde d'azote), les scientifiques utilisent un indicateur appelé "équivalent CO2", abrégé éqCO2.
Tous gaz à effet de serre confondus, les émissions de la France issues du seul territoire national étaient en 2022 de 403,8 millions de t éqCO2, selon le Haut conseil pour le climat (lien archivé ici).
Mais lorsque l'on inclut les émissions liées aux échanges internationaux de la France, le chiffre monte à 604 millions de t éqCO2 en 2021, dernière année pour laquelle le Haut conseil pour le climat dispose d'une estimation de l'empreinte carbone française.
Si l'on s'en tient à ces 604 millions de t éqCO2 d'émissions de GES, la France représentait en 2021, selon les calculs de l'AFP, environ 1,1% des 52,8 gigatonnes (un milliard de tonnes) éqCO2 émises au niveau mondial, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (lien archivé ici).
Et comme les gaz à effet de serre restent dans l'atmosphère et le réchauffent pendant plusieurs décennies voire plusieurs siècles, il faut aussi considérer les émissions cumulées.
Avec ces chiffres, la France figure parmi les pays plus gros émetteurs historiques : le 12e en 2021, avec 38,5 milliards de tonnes de CO2 émises sur la période, selon des données du site spécialisé Carbon Brief (lien archivé ici).
Selon ce même classement, les plus gros émetteurs historiques sont les Etats-Unis (420 gigatonnes), la Chine (241,8 gigatonnes) et la Russie (117,3 gigatonnes).