Attention, ces vidéos d'agriculteurs français en larmes suite à l'abattage de leurs bêtes ont été générées par IA
- Publié le 22 décembre 2025 à 18:01
- Lecture : 5 min
- Par : Magdalini GKOGKOU, AFP Grèce
- Traduction et adaptation : AFP France , Pierre MOUTOT
Les agriculteurs en France et dans d'autres pays d'Europe manifestent depuis début décembre contre l'abattage massif de cheptels de bovins, exposés à la la dermatose nodulaire, maladie animale très contagieuse. Dans ce contexte social tendu, des vidéos créées par intelligence artificielle (IA) prétendent montrer des agriculteurs français en larmes, dévastés et en colère après la destruction de leurs troupeaux. Mais ces images-là ont été générées par IA, comme l'indiquent des incohérences visuelles et les résultats d'analyses audio et vidéo, même si des agriculteurs ont bel et point réellement pu témoigner de leur désarroi et de leur colère dans les médias ou les réseaux sociaux.
"Ariège : un agriculteur en larmes suite à l'abattage de ses vaches", peut-on lire en description d'un clip de dix secondes publié sur TikTok le 16 décembre, comptant des milliers de "J'aime" et des centaines de partages. "C'est tout ce que j'avais, on a travaillé toute une vie pour ça", sanglote l'homme au premier plan de la vidéo, partagée depuis sur Facebook ou YouTube, totalisant des milliers de partages, accompagnées de commentaires rageurs ou compatissants. Derrière lui, des gendarmes en tenue anti-émeute et des vaches passent, dans un champ.
D'autres vidéos virales semblent montrer des situations similaires : à chaque fois, un personnage présenté comme un "agriculteur à bout" ou "un agriculteur en colère", dit sa souffrance et déclare avoir "tout perdu". On retrouve ces vidéos, d'une durée de 10 secondes à chaque fois, diffusées sur YouTube, Facebook, ou TikTok, en français mais aussi en grec, en anglais, en slovaque ou en polonais.
Les politiques de gestion de la dermatose nodulaire suscitent de vives tensions, en France comme ailleurs en Europe, où elles se superposent parfois à l'opposition au traité de libre-échange entre l'Union européenne et des pays latino-américains du Mercosur (lien archivé ici).
En France, celles-ci ont débouché sur l'évacuation musclée d'une ferme de l'Ariège, où 300 agriculteurs et éleveurs étaient rassemblés pour s'opposer à l'abattage de 200 bovins (lien archivé ici). L'épisode a largement rendu visibles les revendications de certains agriculteurs, largement représentés par les syndicats de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne, ainsi leur opposition à la politique de contrôle par l'abattage.
Pour autant, les vidéos qui essaiment sur les réseaux et prétendent montrer des agriculteurs crier leur désespoir ne sont pas authentiques : des analyses plus poussées indiquent qu'elles ont été générées par IA .
Des signes de création par IA
Des incohérences visuelles révèlent sur les vidéos des anomalies qui suggèrent une génération par intelligence artificielle : ainsi, l'un des personnages sur l'une des vidéos les plus vues pleure ce qui ressemble à des larmes de sang qui ne s'écoulent pas. On peut aussi observer un nombre et des emplacements incohérents pour les boutons du col de sa veste. On note aussi un flou sur le micro qui persiste même une fois le micro hors cadre.
Sur une autre vidéo, on aperçoit là encore des traits typiques des vidéos générées par IA : à l'arrière-plan, parmi les vaches qui se déplacent, on distingue des têtes de bovins déformées qui apparaissent puis disparaissent ou flottent dans l'air. On note aussi que pour l'un des bovins, on voit d'abord l'arrière-train qui se transforme ensuite en tête lorsque l'animal pénètre davantage dans le champ.
Sur une autre, enfin, un flou suspect entoure le personnage -là aussi un défaut fréquent des images IA- brouillant le mât du drapeau français planté dans le champ derrière lui ; celui-ci est agité par un vent puissant, alors que la chevelure de l'homme et les branches des arbres dans le fond du décor restent immobiles.
Autre indice, chaque vidéo dure exactement 10 secondes, le temps pour l'agriculteur de livrer son message... mais aussi la durée par défaut auxquelles sont limitées les vidéos générées par Sora, le service de création de vidéos par IA de la société OpenAI (lien archivé ici).
D'autres visuels circulent, à l'image de ce document partagé près d'un millier de fois sur X, qui serait prétendument une photo laquelle on aperçoit un agriculteur en larmes... ainsi qu'en bas à droite le logo de Gemini, le service de création par IA de Google.
Des analyses de fichier pointent vers des audios générés par IA
L'AFP a fait analyser chaque vidéo par des outils de détection des deepfakes audio et vidéo, comme Hiya et Deepfake Total. Les résultats ont montré une probabilité de 95 à 99% que les audios qui accompagnent les vidéos virales aient générés par intelligence artificielle.
Ce n'est pas la première fois que l'AFP vérifie des vidéos générées par IA massivement diffusées sur les réseaux pour tromper les internautes. Celles-ci surfent le plus souvent sur des questions d'actualité, particulièrement sur les plus anxiogènes et polarisantes, pour gagner en visibilité, en engagement et donc, en rémunération.
En novembre, des vidéos prétendaient ainsi montrer des soldats ukrainiens en larmes ou des mercenaires colombiens en larmes, implorant d'être secourus du front.
Ces vidéos en ont commun d'être relayées par des comptes qui se présentent ou laissent croire qu'il s'agit de comptes d'actualité. Ces comptes -qui pulullent sur TikTok en particulier- mêlent reprises de vraies infos et rumeurs fantaisistes afin de créer de l'engagement et donc, de la monétisation. L'AFP a consacré un article de vérification à ce type de créateurs de contenu, à retrouver ici
Au bout de deux semaines de contestation virulente, qui s'est traduit par des blocages, des actions contre des bâtiments et des manifestations, la mobilisation des agriculteurs diminue à l'approche de Noël, mais des points de blocage persistent (lien archivé ici ). L'annonce du report de l'accord UE-Mercosur a été reçue avec prudence par les centrales syndicales agricoles, qui demeurent aussi partagées sur la suite à donner aux mobilisations contre la gestion par le gouvernement de la dermatose bovine (lien archivé ici).
Retrouvez d'autres articles de l'AFP sur les infox générées par IA, ici.
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