Non, le vaccin contre la dermatose ne propage pas la maladie

  • Publié le 23 décembre 2025 à 17:28
  • Mis à jour le 23 décembre 2025 à 18:00
  • Lecture : 9 min
  • Par : AFP France

Depuis début décembre 2025, les agriculteurs mènent manifestations et blocages en France pour exprimer leur colère contre l'abattage de foyers entiers au moindre cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une maladie non transmissible à l'humain mais potentiellement mortelle pour les animaux. Pour l'endiguer, le gouvernement a annoncé l'extension de la vaccination sur le territoire. Mais des internautes déconseillent aux éleveurs de vacciner leurs bêtes, affirmant que c'est justement le vaccin qui rend les vaches malades car il affaiblirait leur système immunitaire, serait à l’origine de cancers ou provoquerait des nécroses. Mais c'est faux : les vaccins sont jugés sûrs et permettent au contraire d'empêcher que d'autres bovins tombent malades, ont expliqué les autorités sanitaires et les experts interrogés par l'AFP. 

"Le vaccin n’est pas sécuritaire",  "Avec leurs piquouses, ils vont propager la maladie DNC en France", "Ils vont nous empoisonner dans nos assiettes !!!" : sur les réseaux sociaux de nombreuses publications (1,2,3) affirment que le vaccin contre la dermatose est inefficace voire dangereux, reprenant une rhétorique anti-vaccinale récurrente.

Comme pendant la pandémie de Covid-19, les vaccins sont la source de fausses informations et de méfiance : de nombreux internautes établir un parallèle entre la gestion gouvernementale de la pandémie et celle de la dermatose. 

"Il faut bien que vous compreniez, chers amis agriculteurs, que si vous vaccinez vos bestiaux, ils vont tomber malades, ils vont faire des maladies inflammatoires, des problèmes cardiaques ou rhumatismales et peut-être demain des cancers", alerte ainsi Denis Agret - ancien médecin, dont les affirmations sur le Covid-19 ont plusieurs fois fait l'objet d'articles de vérification de l'AFP (1,2,3) - dans une vidéo visionnée près de 100.000 fois sur X. Radié par le Conseil de l'ordre en septembre 2024, M. Agret s’est pourvu en cassation contre cette décision devant le Conseil d’Etat.

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Capture d'écran d'un compte sur X prise le 23/12/2025. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

"La vaccination généralisée ne sera efficace que pour une seule chose : enrichir l’industrie ! Elle n’empêche pas les abattages (de nombreux cas le prouvent) Elle ne stoppe pas la propagation d’une maladie transmise par des vecteurs incontrôlables (mouches, moustiques) Elle affaiblit les défenses immunitaires des animaux", a déclaré dans un post sur X  Ananda Guillet, le président de Kokopelli, une association qui vend des semences paysannes.

Une éleveuse de bisons en Creuse, Florence Verheyen, s'est filmée pour appeler les éleveurs à garder des fioles de leur sang pour le faire analyser. Dans cette vidéo visionnée au moins 150.000 fois, elle affirme que les animaux vaccinés "se retrouvent avec des zones de nécrose au point d'injection qui vont de deux à dix-neuf kilos".

Mais le vaccin utilisé contre la dermatose n'est pas dangereux pour les animaux, rappellent les autorités de santé et les experts. Il a été testé, fait ses preuve dans d'autres pays, mais également en France, en Savoie, première région à avoir été touchée et à avoir mis en place une campagne de vaccination.

"Le vaccin contre la DNC est un vaccin vivant atténué reconnu pour sa qualité, son innocuité et son efficacité. Il a été utilisé avec succès dans plusieurs pays, en Europe du Sud ou dans les Balkans, où il a contribué à l'éradication de la maladie. Le vaccin utilisé en France est identique à celui utilisé actuellement en Suisse et en Sardaigne", précise le ministère de l'Agriculture sur son site.

"La DNC est fortement préjudiciable à la santé des bovins et conduit à des pertes de production importantes, jusqu’à la mort d’une partie des animaux du cheptel infecté. Elle est classée en droit européen comme maladie de catégorie A, soit une maladie habituellement absente de l’Union européenne et contre laquelle des mesures doivent être prises pour un objectif d’éradication immédiate", indique le ministère de l'Agriculture indique sur son site internet (lien archivé ici).

La DNC étant une maladie virale "il n'existe pas de médicament pour éliminer ce virus", précise le ministère de l'Agriculture. Le gouvernement et les autorités sanitaires préconisent donc d'abattre les bovins malades et de vacciner afin de protéger les troupeaux indemnes. 

Campagne de vaccination 

Les éleveurs français se débattent depuis le mois de juin avec une épizootie de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), maladie bovine transmise par le biais d'insectes piqueurs mais qui n'affecte pas l'homme. 

Sa gestion par l’État, avec abattage de tous les foyers affectés, passe mal parmi les agriculteurs - plus de 3.300 bêtes ayant été abattues depuis le mois de juin. 

Le gouvernement a annoncé mi-décembre un objectif de 750.000 bovins à vacciner dans dix départements du quart Sud-Ouest du pays pour ces prochaines semaines, sonnant la mobilisation des vétérinaires retraités, étudiants et militaires.

"L’objectif de la vaccination est de protéger les élevages, dans des zones géographiques dans lesquelles le virus circule ou a circulé. A l’échelle collective, l’immunité produite crée un cordon sanitaire permettant de bloquer la diffusion du virus sur des zones du territoire indemnes", a expliqué à l'AFP Kristel Gache, vétérinaire et directrice de GDS France, fédération des Groupements de défense sanitaire, qui rappelle que "la DNC fait partie des maladies les plus graves en santé animale, car elle affecte la santé et le bien-être des animaux".

"Il y a des variations sur les symptômes, sur la gravité, selon les cas, selon les zones, selon les races... c'est une maladie qui fait de la fièvre, des œdèmes, de l'hypertrophie, des ganglions, et puis bien sûr, ces fameux nodules de la peau (...) tout cela induit de la souffrance", rappelle Thierry Lefrançois, vétérinaire, directeur de département au Cirad et membre du Conseil scientifique français sur le Covid-19,  pour souligner la nécessité de vacciner.

"La mortalité peut aller jusqu'à 10% ce qui est pas négligeable si on remet ça sur l'ensemble du cheptel français [près de 16 millions de bovins, NDLR]. Imaginez la catastrophe si ça se diffuse sur l'ensemble de la population", ajoute-t-il.

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Vaccination de bovin le 17 décembre 2005 en France (AFP / Philippe LOPEZ)

Aucun risque pour la santé des animaux 

"Le vaccin utilisé est le Lumpyvax (laboratoire MSD). il s’agit d’un vaccin vivant atténué, qui a montré son efficacité dans la lutte contre la Dermatose Nodulaire Contagieuse, associé aux autres mesures de lutte [comme l'abattage, NDLR], notamment dans les Balkans et en Europe du Sud (2015-2017), et plus récemment dans les départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes autour des foyers de DNC", explique la directrice de GDS  France, Kristel Gache. 

Le type de vaccin utilisé, dit "vivant atténué" signifie, selon Thierry Lefrançois qu'on injecte "du virus qui a été passé plusieurs fois in vitro qui va perdre sa virulence, donc il garde ses capacités d'induire l'immunité, par contre il ne crée pas d'infection."

Les vaccins vétérinaires sont autorisés par l’Agence nationale du médicament vétérinaire. Leur autorisation "est soumise à des exigences aussi strictes que pour les vaccins humains. Elle tient compte de critères de qualité, d’efficacité et de sécurité, tant pour les animaux que pour les utilisateurs et les consommateurs de denrées animales", explique l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur son site (lien archivé ici). 

Contactée par l'AFP, l’Agence nationale du médicament vétérinaire ANMV/Anses a aussi précisé le 23 décembre que ce vaccin bénéficiait d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU), et non d'une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Cela est du à l'urgence sanitaire, explique-t-elle : "Dans le cas d’apparition de maladies réglementées pour lesquelles il n’existe pas de vaccin autorisé disponible, la réglementation prévoit de pouvoir donner des autorisations d’urgence. Ces autorisations d’urgence [...] permettent, tout en évaluant l’innocuité et l’efficacité du produit, d’aller plus vite et de ne pas être soumis aux délais réglementaires européens d’évaluation pouvant s’étendre de 90 à 210 jours. La durée d’une ATU est d’un an, elle peut être néanmoins prolongée, sous réserve du dépôt d’une demande d’AMM."

Quant aux affirmations autour des effets secondaires, comme des maladies inflammatoires ou d'apparition de zones nécrosées, elles sont trompeuses et très exagérées.

La vétérinaire Kristel Gache explique que "les effets secondaires observés avec ce vaccin restent plutôt réduits. Parmi ces effets, on note principalement : réactions locales bénignes au point d’injection, hyperthermie et abattement, chute de production laitière. Un syndrome vaccinal, avec apparition de nodules n’excédant pas 2 cm de diamètre et qui rétrocèdent spontanément en une à deux semaines, est possible. Un test permet de différencier cet effet secondaire de la maladie."

"0,1% des animaux vaccinés vont avoir des nodules ou des effets secondaires minimes", souligne Thierry Lefrançois.

Un vaccin efficace au bout d'une vingtaine de jours 

Le temps nécessaire à l'immunisation a pu être source d'incompréhensions car une vache ne sera pas immunisée juste après avoir reçu une dose de vaccin, mais après trois semaines. 

Toujours sur sa page "Foire aux questions" sur la DNC (lien archivé ici), le ministère de l'Agriculture répond aux nombreuses accusations qui circulent sur les réseaux sociaux de la supposée inefficacité du vaccin comme ici, ici ou "Il est possible qu’un bovin soit en incubation au moment de sa vaccination. Dans ce cas le bovin sera malade de DNC, car la protection vaccinale n’est pas immédiate. Il est également possible qu’un bovin récemment vacciné soit infecté par un insecte piqueur peu de temps après la vaccination : le bovin sera malade, car la protection vaccinale n’est pas immédiate."

La protection vaccinale est effective au bout de 21 jours. "Il est donc possible d’observer des bovins malades de DNC dans des troupeaux récemment vaccinés. Cela ne signifie pas que le vaccin est inefficace, ni que le vaccin est responsable de la maladie", souligne le ministère.

"Ce n'est pas parce qu'on a vacciné que le lendemain l'animal est protégé, donc en fait si on vaccine et que la maladie se transmet à élevage voisin ou d'un animal qui est arrivé, on risque d'avoir des animaux qui ne sont pas encore protégés, qui vont s'infecter, on va avoir un mélange d'animaux infectés et vaccinés", résume Thierry Lefrançois, qui rappelle que le vaccin ne guérit pas de la maladie mais empêche que les animaux tombent malades. 

Des antivax sur internet, moins sur le terrain 

Thierry Lefrançois, qui a été membre du Conseil scientifique pendant le Covid-19, retrouve actuellement "les mêmes mécanismes" que ceux qu'il a observés pendant la pandémie, "avec des effets secondaires qu'on nous cacherait"  et  "la méfiance envers une politique de santé publique".

Le standard téléphonique de l'Ordre des vétérinaires est "submergé d'appels de personnes complotistes, antivax, anti-tout, qui déversent des tombereaux de bêtises à l'encontre de la profession. Cela finit par impacter fortement le moral des vétérinaires", déplorait son président Jacques Guérin mi-décembre auprès de l'AFP.

Sur les réseaux sociaux, l'épizootie de dermatose a entraîné une explosion de tweets sur X. Selon l'outil d'analyse Quicktrends de la société Visibrain, "dermatose" a été mentionné plus de 50.000 fois le 12 décembre.

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Capture d'écran prise le 22/12/2025.

Si ce sont bien les éleveurs qui sont concernés par la dermatose, ce ne sont pourtant pas eux les plus actifs sur les réseaux sociaux à s'exprimer sur le sujet. 

C'est ce que montre une étude menée par Visibrain et Agoratlas (liens archivés ici et ici) après avoir analysé près de 500.000 tweets et plus de 60.000 comptes sur X et Telegram entre le 14 et le 16 décembre 2025 (lien de l'étude résumée sur X archivé ici) qui évoquent la dermatose nodulaire.

"Les comptes d’agriculteurs et la gauche apparaissent en périphérie du débat, dont la visibilité est désormais dominée par les sphères souverainistes, complotistes et les soutiens de Reconquête. Les narratifs anti-gouvernement, anti-UE et anti-Mercosur y sont majoritaires et artificiellement gonflés", analysent ces deux entreprises spécialisées dans la veille et l'analyse d'influences sur les réseaux sociaux.

Il apparaît que "la majorité du débat est portée par les souverainistes, et les comptes complotistes antivax ayant émergé lors du Covid", comme Denis Agret ou Alexandra Henrion-Caude, une généticienne ayant fait plusieurs déclarations trompeuses par le passé, dont certaines ont été vérifiées par l'AFP, notamment au sujet de la pandémie de Covid ou de la vaccination anti-Covid. Cette dernière s'est exprimée sur X le 17 décembre et a déclaré "on a vraiment l'impression qu'on nous sort une maladie du chapeau, pour nous sortir à chaque fois le vaccin du chapeau. Soyez bien vigilants, vous savez ce que je pense sur ces sujets-là". 

Une réalité numérique qui semble déconnectée de celle sur le terrain et éloignée des revendications des agriculteurs et éleveurs.

Les syndicats agricoles Confédération paysanne et Coordination rurale demandent en effet l'élargissement de la vaccination, jusqu'à l'ensemble des bovins de France pour la Coordination rurale.

Le premier syndicat agricole grâce à son alliance avec les Jeunes agriculteurs (JA), la FNSEA, est lui aussi en faveur de la campagne vaccinale mais il s'est jusqu'ici opposés à la vaccination de l'ensemble du territoire qui perdrait alors le statut indemne qui permet aux zones non touchées d'exporter des animaux vivants dans des pays tiers, principalement en Espagne et en Italie. Ce statut ne peut être retrouvé qu'au bout de plusieurs mois et des accords doivent encore être conclus avec les pays importateurs pour exporter des animaux vaccinés.

"Contrairement au Covid, il n’y a pas de débat, pas de discours antivax. Il y a un consensus sur le vaccin", a déclaré l'ancien leader de la Confédération paysanne José Bové au journal le Parisien dans un entretien publié le 19 décembre. (lien archivé ici)

La mobilisation des agriculteurs contre la gestion de l'épizootie de dermatose par le gouvernement alimente aussi sur les réseaux sociaux, en plusieurs langues, le partage de vidéos générées par IA, montrant des agriculteurs en larmes. L'AFP en a vérifié plusieurs dans cet article.

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