Attention à ces comptes TikTok "d'actualités" qui véhiculent de la désinformation

Plus de la moitié des Français disent s'informer sur les réseaux sociaux, selon des études d'opinion menées ces dernières années. Sur TikTok, des comptes se présentant comme des médias d'actualités amassent des dizaines de milliers d'abonnés. Attention : s'ils imitent parfois l'identité graphique de médias classiques, nombre d'entre eux véhiculent régulièrement de la désinformation et visent avant tout à récolter un maximum de partages. Ces comptes s'appuient sur le phénomène ancien des rumeurs qui piochent à la fois dans du vrai et du faux pour accroître leur audience grâce aux algorithmes des réseaux sociaux comme TikTok, qui permettent au brouillard informationnel de perdurer, estiment plusieurs spécialistes auprès de l'AFP.

"franceactu.tv", "actunews7", "flashactualité" ou encore "actu_france": depuis plusieurs années, les comptes assurant relayer des actualités françaises sur TikTok se multiplient, rassemblant des dizaines de milliers d'abonnés.

Parfois, ils reprennent des codes visuels de médias existants : "actufrance6" s'habille de la même charte graphique que les sites "actu.fr", "flash.nouvelle" reprend quant à lui la police des émissions de Franceinfo, tandis que "actu_fast24" utilise une image semblable au logo de France 24.

Mais certains dispersent, entre des faits avérés d'actualité ou des "conseils", des affirmations trompeuses, dont plusieurs ont déjà été vérifiées par l'AFP. 

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Captures d'écran prises sur divers comptes TikTok, le 05/12/2024

Alors qu'une partie grandissante de la population affirme s'informer principalement sur les réseaux sociaux, la présence de ces comptes qui reprennent des mécanismes de circulation des rumeurs, mêlant vrai et faux et dont la diffusion rapide et virale est amplifiée par les caractéristiques des réseaux sociaux comme TikTok, interroge, notent des spécialistes auprès de l'AFP.

Des relais "d'actualités" qui mêlent vrai et faux

L'un des points communs entre ces comptes est d'employer des formulations et mises en page alarmistes visant à attirer l'attention. On y retrouve de nombreux émojis de points rouges, de gyrophares, de panneaux "danger", des textes inscrits sur des fonds de couleurs vives, la mention des mots "alerte", "dernier nouvelles (sic)", "urgent", ou encore "écouter bien (sic)".

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Capture d'écran du compte "newsfr_2", prise le 05/12/2024

Ils multiplient la diffusion de faits présentés comme des actualités qui auraient un impact direct sur la vie des Français : nouvelles réglementations en vigueur à une certaine date, fermetures imminentes de magasins à l'échelle nationale, suppressions d'aides sociales, astuces pour poser ses congés et avoir un maximum de vacances... Les vidéos agrémentées de voix off, souvent générées par l'intelligence artificielle (IA), utilisent des photos d'illustration vraisemblablement piochées dans des banques d'images en ligne. 

Mais si parmi les "actus" mises en avant, certaines sont vraies, d'autres sont sont complètement fausses ou d'autres encore extrapolent des mesures locales à l'échelle nationale.

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Capture d'écran prise sur le compte "actu_fast24" le 05/12/2024

L'AFP a par exemple récemment vérifié des assertions prétendant que le RSA serait supprimé dans l'Hexagone à compter de janvier 2025, ce que les Caisses d'allocation familiales (Caf) ont infirmé. De même, des publications ont assuré que les véhicules Crit'Air 3 seraient bannis dans des dizaines de grandes villes françaises dès la nouvelle année, alors que seules les agglomérations de Paris et Lyon seront en réalité tenues de restreindre la circulation de ce type de véhicules dès 2025 et que Montpellier et Grenoble ont choisi de le faire sans y être obligées.

Des allégations plus anciennes du même type avaient aussi déjà fait l'objet d'articles de vérification de l'AFP ces dernières années. En janvier 2024, des comptes soutenaient par exemple que donner de l'argent à une personne mendiant dans la rue serait devenu "illégal" en France. Des propos trompeurs contredits par des avocats.

Puis à l'été 2024, des vidéos assuraient à tort qu'il serait "désormais possible" de conduire "légalement" sans permis en France, ce que des spécialistes avaient démenti. A la même époque, d'autres publications prétendaient qu'il aurait été interdit d'écouter de la musique au volant, ou encore qu'un couvre-feu national aurait été déclaré pour les mineurs. Des assertions encore une fois infondées et réfutées par des experts.

Ces comptes tablent sur des contenus qui "doivent être cohérents, plausibles", résume Gabriel Turinici, professeur de mathématiques à l'université Paris Dauphine, le 4 décembre à l'AFP (lien archivé ici)

"Parfois, ils remplissent les trous d'informations, là où pourrait effectivement se trouver une information vraie", ajoute-t-il, comparant la diffusion massive de ces affirmations à une "sorte d'IA générative, de Chat GPT de l'information", pas toujours vérifiée.

Le fait de relayer ces affirmation peut parfois reposer sur "un manque de compréhension" et des extrapolations de faits réels, particulièrement si l'actualité mentionnée est "sensationnelle", ajoute le chercheur.

Les sujets qui suscitent des "émotions négatives" plus relayés

Ces publications mêlant vrai et faux reposent sur le principe du "phénomène des rumeurs, connu depuis longtemps. La différence avec les réseaux sociaux, c'est qu'on peut les tracer", souligne Romy Sauvayre, sociologue spécialiste des sciences et des croyances, à l'AFP le 3 décembre (lien archivé ici).

Avec ce phénomène, "peu importe que l'information soit vraie ou fausse, les gens propagent l'information qui les marque, qu'ils trouvent choquante, surprenante, intéressante, marrante... et indépendamment de la source. Si le contenu du message est émotionnellement fort, qu'il repose sur une émotion négative, qu'il s'insurge sur quelque chose, il a plus de chances d'être plus relayé. On propage sur les réseaux sociaux plus d'informations négatives que positives", ajoute-t-elle.

Jouer sur les émotions pour obtenir un maximum de partages est une technique courante, pour laquelle l'usage de l'intelligence artificielle permet de gagner du temps, comme déjà mentionné dans cet article et cette vidéo de l'AFP. 

C'est aussi pourquoi "les sujets qui peuvent susciter une opposition aux autorités" sont très partagés, ajoute Gabriel Turinici, relevant qu'à l'inverse, des "sujets très techniques", par exemple liés à des points législatifs complexes, seront moins relayés.

En résumé, "c'est une question de demande" (c'est-à-dire ce que les internautes vont plus avoir tendance à partager) : "l'offre" (c'est-à-dire les comptes qui publient ces vidéos) s'adapte en reproduisant et adaptant "les sujets qui génèrent le plus de clics", analyse le chercheur.

Ces comptes semblent avoir pour objectif principal "d'attraper des clics, d'avoir une audience, et donc de faire du trafic", à des fins possiblement mercantiles (les comptes les plus suivis peuvent profiter de monétisation et donc gagner des revenus), ou renvoyer vers d'autres sites ou d'autres produits, développe-t-il encore.

On est avec la plupart de ces comptes "loin de la 'fake news' manipulatrice" : mélanger le vrai et le faux constitue plutôt "une tactique pour attirer de l'audience", ajoute Arnaud Mercier, professeur en communication à l'université Paris-II Panthéon-Assas (lien archivé ici).

"Les commentaires sont complètement mixtes, certains vont y croire et d'autres pas du tout : ça veut bien dire qu'il y a un brouillage des codes", souligne aussi le spécialiste.

"Je relirais ça à une tradition de ce que j'appelle la 'mauvaise presse tabloïd', prête à inventer des choses pour embellir, ou à exagérer pour attirer l'attention, quitte à faire peur ou créer des doutes là où il n'y en a pas", abonde-t-il.

Mais Gabriel Turinici note que certains autres profils peuvent tout de même présenter un "désir de manipulation ou militant, voire de manipulation d'opinion". C'est par exemple le cas de ceux qui emploient des deepfake (des contenus audio ou vidéo modifiés grâce à l'IA, pour faire dire à quelqu'un quelque chose qu'il n'a pas dit).

Dans ces cas, "il y a une approche malveillante, c'est une manipulation assumée", car si la "fabrication de deepfake est de plus en plus facile, elle nécessite néanmoins un peu plus de temps que juste faire suivre une affirmation", précise le chercheur.

Certains comptes présentent aussi les actualités de façon orientée : "dernieres_minutes_infos" ajoute par exemple à la fin d'une vidéo déplorant l'état des hôpitaux français une mention à l'envoi d'aide en Ukraine, sous-entendant que l'argent public français serait mal utilisé.

Ce genre de manipulations de l'information visant à copier des médias réels pour diffuser des propos négatifs liés à l'Ukraine n'est pas sans rappeler celui de l'opération "Doppelganger", consistant à imiter des médias occidentaux pour mettre en avant un narratif pro-russe autour de l'Ukraine - comme l'avait détaillé l'AFP dans un article de juin 2023 - comme celui de la campagne Matriochka.

"Aujourd'hui, nous sommes dans un monde traversé de conflits et de guerres de l'information. Il y a souvent, derrière la désinformation, des enjeux de manipulation à l'échelle géopolitique", résume Serge Barbet, directeur du Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (Clemi), le 5 décembre auprès de l'AFP (lien archivé ici).

La désinformation persiste, poussée par les algorithmes

Les mécanismes qui permettent à la désinformation de rester présente et d'être largement véhiculée dans l'espace public ne sont pas nouveaux : "humainement, on a cette tendance à se dire 'je fais confiance' à la personne qui partage une 'information'. Ce qui fait que des informations fausses vont continuer à circuler", rappelle Romy Sauvayre.

Les réseaux sociaux et TikTok en particulier peuvent, de par leur moyen de fonctionnement, permettre à des fausses informations de devenir très rapidement très relayées. 

"TikTok, c'est un réseau utilisé principalement par des jeunes au sens large, qui ont des habitudes de voir et traiter des contenus très vite. C'est aussi des algorithmes très rapides où l'ascension des vidéos peut donc être très rapide quand elle est peu modérée. Ce qui fait qu'il y a un public qui réagit plus rapidement, donc les clics s'accumulent plus, et l'algorithme privilégie cela en faisant parfois des approximations de modération", note Gabriel Turinici, soulignant néanmoins que TikTok a annoncé plusieurs projets récents visant à limiter la désinformation.

La plateforme souligne par exemple auprès de l'AFP le 6 décembre que ses "règles communautaires interdisent la désinformation liée à la santé, aux élections et au changement climatique, entre autres sujets", précisant que "lorsqu'un contenu va à l'encontre de ces règles, nous le supprimons ou le rendons inéligible au fil d'actualité 'Pour toi'" (lien archivé ici) et que ses "politiques s'appliquent à la fois à la désinformation intentionnelle et à la diffusion de fausses informations qui ne vise pas nécessairement à tromper les gens".

La plateforme n'a néanmoins pas commenté directement la présence des comptes "d'actualités" diffusant des affirmations parfois trompeuses, mais après avoir signalé plusieurs comptes de prétendues actualités à TikTok le 5 décembre, l'AFP a pu constater qu'ils n'étaient plus actifs au 9 décembre. D'autres restaient néanmoins présents.

Dans le cadre des élections européennes de 2024, TikTok avait indiqué avoir supprimé "plus de 43.000 contenus pour violation de [ses] politiques de désinformation au cours des quatre semaines précédant et durant l'élection" (lien archivé ici).

La plateforme rappelle aussi travailler "avec des partenaires de vérification des faits qui évaluent si les informations sont vraies, fausses ou non vérifiées", dont l'AFP en France, et met régulièrement à jour un "guide sur les dangers de la désinformation" rappelant quelques indices pour détecter des contenus trompeurs (liens archivés ici et ).

"Entre avril et juin 2024, parmi les vidéos que nous avons supprimées pour violation de nos règles communautaires en matière de désinformation, 97,8 % ont été supprimées de manière proactive, 77,4% de ces vidéos n'ayant pas été visionnées. En outre, 81,7 % d'entre elles ont été supprimées dans les 24 heures", ajoute la plateforme, renvoyant vers les derniers chiffres publics sur la mise en place des règles communautaires (lien archivé ici).

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This photograph taken on April 19, 2024 shows a man holding a smartphone displaying the logo of Chinese social media platform Tiktok in an office in Paris (AFP / Antonin UTZ)

Ces dernières années, plusieurs études avaient néanmoins montré que de nombreux contenus trompeurs ou faux circulaient en lien avec le traitement des événements d'actualité sur TikTok. L'entreprise de lutte contre la désinformation NewsGuard relevait par exemple en novembre 2022 que "pour un échantillon de recherches sur les principaux sujets d'actualité, près de 20% des vidéos qui apparaissent dans les résultats de recherches contiennent de la mésinformation" (lien archivé ici).

"Le caractère toxique de TikTok est devenu une menace d'autant plus importante qu'une étude de Google suggère que les jeunes utilisent de plus en plus TikTok comme moteur de recherche et se tournent vers cette plateforme de partage de vidéo, plutôt que Google, pour trouver des informations", estimait déjà Newsguard en mars 2022 (lien archivé ici).

L'année précédente, l'entreprise avait aussi relevé la présence importante de désinformation liée à la pandémie de Covid-19 et la vaccination sur la plateforme (lien archivé ici). 

"Aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'un scientifique dit que qu'une rumeur est fausse que ça va remettre en question la croyance des personnes sur les réseaux sociaux", résume aussi Romy Sauvayre.

De façon générale, les plateformes comme TikTok (ou Facebook, X et Instagram) "ont des logiques d'algorithmes et de recommandations aux utilisateurs qui ne permettent pas aujourd'hui à ces derniers d'avoir un accès pluraliste aux moyens d'information, mais au contraire, les enferment dans des 'bulles de certitude'", qui peuvent rapidement mener à des expositions prolongées à des "contre-vérités, des discours mensongers voire complotistes", déplore Serge Barbet.

"Ces réseaux sociaux sont d'abord des entreprises privées. Ce ne sont pas des groupes publics soumis à une régulation, à une législation en particulier. Nous voyons les difficultés que nous avons à imposer des législations, notamment en termes de régulation de l'information et d'encadrement de la liberté d'expression, et de les impliquer à ces plateformes", ajoute le directeur du Clemi.

"Derrière cette entreprise de manipulation de l'information, il y a une économie qui est basée sur un système algorithmique et qui rapporte également aux plateformes", résume-t-il, estimant qu'il y a "un grand enjeu à contre-carrer ces manipulations de l'information", en particulier alors qu'une partie croissante de la population affirme aujourd'hui s'informer sur les réseaux sociaux.

Plus de la moitié des Français disent s'informer sur les réseaux sociaux

Dès 2022, une étude menée par la fondation Jean Jaurès sur un échantillon représentatif de 1000 personnes mettait en avant le fait que plus de la moitié (52%) des Français disaient s'informer quotidiennement sur les réseaux sociaux, alors que 53% des Français interrogés disaient souffrir d'une "fatigue informationnelle" face à la multiplicité des médias (lien archivé ici).

Et d'après une étude publiée le 2 décembre par l'Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) menée au printemps 2024 auprès d'un échantillon représentatif de plus de 4.500 personnes âgées de 15 à 30 ans, les réseaux sociaux, dont TikTok et Instagram, constituent la principale source d'information pour plus de la moitié (53%) de ces jeunes (lien archivé ici).

"Il y en a des gens qui regardent que TikTok comme une source d'information : ils ne regardent pas les journaux, la télé, la radio... Ils viennent sur TikTok pour d'autres raisons au départ, et se disent que tant qu'à faire, ils peuvent aussi y trouver des informations. Ce qui fait qu'il y a des comptes qui sont créés parce qu'ils répondent à ce besoin", analyse Gabriel Turinici.

Mais le problème réside dans le fait que "l'objectif de ceux qui alimentent ces comptes n'est pas de faire l'information, ils n'ont pas la rigueur journalistique, ils ne sont pas vraiment formés ou le sont vraiment sur le tas", ajoute-t-il.

Pourtant, pour pouvoir se créer une audience et "pouvoir convaincre, ils vont utiliser des marqueurs qui donnent confiance", comme par exemple la reprise de codes ou chartes graphiques de médias classiques, note Romy Sauvayre. 

Néanmoins, "une autre partie de la population, qui est grandissante, considère que tout ce qui est diffusé par les médias 'mainstream' [classiques, NDLR] est faux. Donc, consommer de l'information sur TikTok, sur Telegram, sur d'autres réseaux alternatifs car c'est là, pour eux, qu'ils vont trouver la vraie information", ajoute Romy Sauvayre.

"Ça veut dire que la confiance qu'ils vont accorder à ces comptes TikTok va être supérieure à celle d'un média mainstream, pourtant de bonne facture", conclut-elle.

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