Non, Emmanuel Macron n'a pas commandé un bunker de luxe pour se préparer à la Troisième Guerre mondiale

Plus de trois ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a déclaré, le 24 septembre, que les pays de l’Otan devaient "monter d’un cran" leur riposte en cas de "nouvelles provocations" de la Russie. Une semaine plus tard, plusieurs publications sur Facebook et X ont relayé un prétendu reportage affirmant que le chef de l’État avait commandé la construction d’un bunker souterrain de luxe évalué à 148 millions d’euros. Ces affirmations s'appuient sur un faux reportage, des documents falsifiés et des sources inexistantes. Aucune preuve ne vient étayer ces allégations, dont la diffusion porte les marques typiques d’une campagne de désinformation pro-russe.

Depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, en février 2022, la propagande pro-russe inonde les réseaux sociaux et viser les pays européens, cherchant notamment à fragiliser le soutien occidental à l'Ukraine.

Les récentes déclarations d'Emmanuel Macron, qui a estimé le 24 septembre que les pays de l’Otan devaient"monter d’un cran" leur riposte face à d’éventuelles "provocations" russes et qui a appelé une semaine plus tard les Européens à s’organiser, en "étroite coordination" avec l’Otan, pour "accroître la pression" sur la flotte de navires clandestins utilisée par la Russie pour contourner les sanctions occidentales sur le pétrole (liens archivés: ici et ici), ont été suivies d'une nouvelle vague d'infox.

Une vidéo est ainsi devenue virale sur les réseaux sociaux: une séquence, d’un peu plus de deux minutes, affirme que "le président français se prépare à la Troisième Guerre mondiale" en construisant un bunker "de luxe" d’une superficie de "plus de 1.500 m²", pour un montant de "148 millions d’euros". Elle cite comme source un prétendu rapport de Tracfin, l'organisme de lutte contre la criminalité financière.

"Tracfin, un service de renseignement créé pour suivre les transactions financières suspectes, a publié un rapport faisant état d'un paiement important versé à la société Oppidum Bunkers GmbH par Alexis Kohler, l'homme de confiance de Macron. La société a confirmé que les fonds seraient utilisés pour construire un bunker présidentiel en France", affirme un internaute connu de l’AFP pour relayer des fausses informations favorables à la Russie. Son message, partagé plus de 2.000 fois, a été vu par plus d’un million de personnes. 

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Capture d'écran réalisée sur X le 06/10/2025. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

La vidéo montre des images d’illustration d’un bunker ainsi qu’un prétendu ordre de virement de la Société Générale, daté du 4 septembre 2025, d’un montant de 50 millions d’euros, au nom d’Alexis Kohler, ancien secrétaire général de l’Élysée, à destination de la société Oppidum, spécialisée dans la construction de bunkers haut de gamme.

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Capture d'écran réalisée sur la vidéo virale le 06/10/2025. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

La publication a été relayée sur X, Facebook et InstagramMais la vidéo et ses affirmations sont entièrement fausses.

Une société qui n'existe plus 

Depuis la pandémie de Covid-19, les bunkers de luxe ont gagné en popularité parmi les ultra-riches. Des personnalités comme Mark Zuckerberg investissent désormais des sommes considérables dans des résidences autonomes et ultra-sécurisées (liens archivés: ici et ici).

C’est dans ce contexte qu’Oppidum, entreprise fondée en 2020 par l’entrepreneur tchèque Jakub Zamrazil, s’est imposée sur ce marché de niche. Promettant des refuges haut de gamme pouvant atteindre 100 millions de dollars, la société a bâti sa notoriété sur des visuels sophistiqués et des rendus numériques.

Pourtant, aucune image réelle d’un tel complexe n’a jamais été publiée. Les seules illustrations diffusées sont des images de synthèse, parmi lesquelles figurent celles reprises dans les fausses vidéos virales : 

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Captures d'écran d'une archive du site Oppidum à gauche et celle d'une fausse publication sur X à droite. Croix rouge ajoutée par l'AFP.
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Captures d'écran d'une archive du site Oppidum à gauche et celle d'une fausse publication sur X à droite. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

L’entreprise suisse, aujourd’hui dissoute, a été placée en liquidation au printemps 2025, bien avant la prétendue transaction évoquée dans les publications. Cette information est confirmée par plusieurs registres officiels, dont le registre du commerce suisse (lien archivé: ici),  comme le relève Vrai ou Faux, le service de Fact-checking de franceinfo. 

Le site internet et le compte X de la société ont également été désactivés (lien archivé: ici).  Néanmoins, le site Wayback Machine, qui permet d'avoir accès à des versions antérieures de pages web, montre en effet un message de la compagnie datant du 22 avril 2025 sur lequel on peut lire : "Notre entreprise est fermée". 

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Capture d'écran réalisée sur Wayback Machine le 06/09/2025.

On ne retrouve pas non plus la trace de cette transaction dans les nombreux rapports de Tracfin , disponibles en ligne.

Les voix entendues dans le reportage présentent des accents difficilement identifiables. Une analyse de l'audio de la vidéo par l'AFP, à l'aide du détecteur de deepfakes Hiya.com sur l'outil de vérification InVID-WeVerify, indique que celui-ci a été "très probablement généré par l'IA".

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Identités usurpées 

À la fin de la vidéo virale, un homme se présentant comme un ancien ingénieur d’Oppidum, répondant au nom de José Meier, intervient pour appuyer le récit. Mais aucune preuve ne vient étayer l’existence de cet individu, ni son lien avec l’entreprise suisse. Son fort accent slave et son apparence bizarrement familière soulèvent des interrogations.

Selon les membres du collectif Gnida, spécialisé dans la détection des opérations d’ingérences numériques, cet homme serait déjà apparu dans une précédente campagne de désinformation visant la présidence française, où il se faisait passer pour un certain "François Faivre", un prétendu médecin de 58 ans (lien archivé: ici).

En juillet 2025, Éric Archambault — le même internaute ayant relayé la fausse vidéo du bunker — avait affirmé que ce prétendu chirurgien avait été retrouvé mort à Paris, en lien avec des rumeurs visant Brigitte Macron. L’AFP avait alors consacré un article à cette infox, entièrement inventée.

Pour tenter d'identifier "François Faivre" ou encore "José Meier" à partir de la séquence vidéo et de son portrait,  l'AFP a utilisé l'outil de reconnaissance faciale PimEyes. Résultat : un individu aux traits similaires figure sur le site de la banque d'images iStock de l'agence Getty Images. Selon les informations associées à ce cliché, il y a été publié le 28 mai 2017 (lien archivé ici).

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Comparaison du visage du faux ingénieur (à gauche), du faux médecin (au milieu) avec une image libre de droit (à droite).

Par ailleurs, ce même visage apparaît dans différents contenus commerciaux, sans lien apparent (12345)

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Capture d'écran réalisée sur PimEyes le 06/10/2025.

Ceci peut suggérer qu'il s'agit d'un acteur ou d'un modèle dont l'image a été utilisée via une intelligence artificielle (IA) dans un contexte trompeur - une méthode déjà documentée par l'AFP dans d'autres cas similaires. Il se peut aussi qu'il s'agisse d'une image tout simplement générée par IA, sans base réelle.

Faux sites d'information 

Les publications virales concernant l'histoire du bunker renvoient vers un faux site, intitulé "brutinfo.fr", qui usurpe le nom du média reconnu Brut. Cette plateforme frauduleuse prétend que ses articles sont signés par des journalistes de renom, dont elle détourne en réalité l’identité. La prétendue enquête sur le "bunker de luxe" d’Emmanuel Macron y est, par exemple, attribuée à Benoît Vitkine, journaliste au Monde.

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Capture d'écran du faux site "Brut info". Croix rouge ajoutée par l'AFP.

Le quotidien a publié un article pour dénoncer cette usurpation d’identité et indiquer que le site brutinfo.fr avait été enregistré le 28 septembre auprès de l’hébergeur lituanien Hostinger, aujourd’hui hors ligne (lien archivé: ici).

Selon plusieurs sources spécialisées contacté par Le Monde, tous les indices convergent vers Storm-1516, un réseau déjà connu des experts pour ses opérations de désinformation pro-russes. Lié à des acteurs du Kremlin, il diffuse massivement de faux contenus à destination des pays occidentaux, notamment la France et les Etats-Unis. 

Plusieurs sites d’information falsifiés lui ont déjà été attribués : ils contiennent quelques articles copiés de vrais médias ou générés par intelligence artificielle afin de paraître crédibles, avant de publier des infox visant à discréditer l’Ukraine et ses alliés. 

L'AFP en a déjà parlé ici, ici et ici

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