Capture d'écran du site de l'association SOS Donbass, où sont proposés en accès libre des visuels prorusses

"La Russie n'est pas mon ennemi" : d'où viennent ces visuels viraux sur les réseaux sociaux ?

L'image d'une poignée de mains aux couleurs françaises et russes, accompagnée du slogan "La Russie n’est pas mon ennemi", a été abondamment partagée sur les réseaux sociaux fin novembre, dans les jours qui ont suivi des déclarations du chef d'état-major français Fabien Mandon, qualifiées de "va-t-en guerre" par des responsables d'opposition. Ce visuel est celui qu'utilise depuis des mois SOS Donbass, une association soupçonnée de mener des activités d'espionnage et de déstabilisation en France au profit de Moscou. 

Les visuels, repérés notamment sur X, TikTok, VK et Facebook, reprennent tous la même composition : deux mains entrelacées, aux couleurs des drapeaux français et russe. Des vidéos largement relayées en ligne montrent également des affiches identiques placardées sur des murs dans des rues françaises.

Parmi les comptes les plus visibles ayant partagé cette image sur les réseaux sociaux figurent notamment ceux de l'ex-épouse de Nicolas Sarkozy, Cécilia Attias, et du chanteur Francis Lalannequi a appelé le 21 novembre 2025 ses 46.000 abonnés à la diffuser massivement, allant jusqu'à en faire sa photo de profil.

Image
Capture d'écran prise sur X le 27 novembre 2025.

Un T-shirt reprenant exactement le slogan et l'illustration est même vendu sur Amazon pour une quinzaine d’euros.

Selon l'outil d'analyse Quicktrends de la société Visibrain, le slogan "La Russie n'est pas mon ennemi" a commencé à circuler de manière significative sur le réseau social X après le 18 novembre 2025. Ce jour-là, le chef d'état-major des armées, le général Fabien Mandon, avait déclaré devant le Congrès des maires que la France devait se préparer à "accepter de perdre ses enfants" en cas de conflit, provoquant de vives réactions notamment au sein de la classe politique (liens archivés ici et ici).

Image
Capture d'écran réalisée sur Visibrain.

"Cette affiche arrive à point nommé parce qu'elle essaye de rallier non seulement les prorusses, mais toute la population française contre la guerre", observe Carole Grimaud, (lien archivé: ici) chercheuse en sciences de l'information spécialiste de la Russie. Ce visuel "très large cible tous ceux qui ont été un peu contre cette déclaration. Le fait de voir ces affiches à ce moment-là, ça va réveiller les craintes de la guerre, craintes d'un conflit, craintes d'une escalade sur le sol européen", poursuit l'experte.

L'image s'inspire d'un motif classique de la propagande politique du XXᵉ siècle : deux mains qui se serrent, symbole d’alliance ou de rapprochement idéologique, très utilisé durant la Seconde Guerre mondiale (liens archivés iciici et ici).

"Une poignée de mains qui représente des drapeaux, c'est compréhensible par tout le monde, même par des enfants. Il n'y a pas beaucoup d'explications à donner", explique Carole Grimaud, qui y retrouve des codes de la propagande de l'Union soviétique. "C'est cette simplicité d'iconographie qui peut se retrouver durant l'ère soviétique. Parce que on avait besoin d'éduquer les masses", précise la spécialiste. "C'est clair, accessible à toute la population, y compris celle qui ne parle pas français, qui ne pourrait pas lire le titre sous le visuel".

Image
Musée de Moscou/Fourni par la maison d'édition Bombora.

Dans la propagande soviétique, la poignée de mains était fréquemment employée comme métaphore visuelle de l’union entre peuples, partis frères ou Etats alliés (lien archivé ici). La propagande sino-soviétique en est un autre exemple (ci-dessous), véhiculant l'idée d'une amitié entre l'URSS et la République populaire de Chine au début des années 1950.

Image
Image de propagande sino-soviétique symbolisant l'alliance politique conclue après la fondation de la Chine populaire en 1949, trouvée sur le site chineseposters.net.

Une initiative de SOS Donbass

Si l'affiche de la poignée de mains aux couleurs de la France et de la Russie a été très partagée en ligne après le 18 novembre, elle n'est pas nouvelle: grâce à des recherches d'images inversées et à des recherches par mots-clés en plusieurs langues, nous avons retrouvé des occurrences de visuels identiques dès 2024 sur les réseaux sociaux, y compris en Italie, au Canada et aux Etats-Unis.

On retrouve le fichier original de l'affiche "La Russie n'est pas mon ennemi", ainsi que ses déclinaisons en plusieurs langues, mises à disposition en libre téléchargement sur le site de l'association SOS Donbass (Sud-Ouest Solidarité Donbass), où d'autres affiches prêtes à être imprimées sont également proposées (ci-dessous). La page dédiée explique également la réglementation française sur l'affichage public : zones interdites, sanctions et obligations légales.

SOS Donbass se présente comme une organisation humanitaire voulant "aider les victimes civiles de la guerre dans le Donbass", à travers de l'aide matérielle et des actions d'information

Image
Capture d'écran prise le 27 novembre 2025 sur le site SOS Donbass.

Elle avait organisé une campagne en août 2024 appelant explicitement ses sympathisants à coller des affiches prorusses dans l'espace public. Certains collages de l'époque montraient clairement le logo de l’association.

L'association, enregistrée en septembre 2022 à Pau par Anna Novikova, est au cœur d’une enquête judiciaire en France: trois personnes liées à elle ont été mises en examen et écrouées le 25 novembre 2025 dans une affaire d’espionnage économique et d’ingérence étrangère (lien archivé ici).

Elle avait attiré l’attention des services de renseignement français pour des soupçons de détournement de fonds au profit de la Russie, révélés par un article de l’agence de presse russe TASS (liens archivés ici et ici). Selon la DGSI, elle pourrait servir de couverture à des activités d'espionnage et de déstabilisation.

L’Union des Ukrainiens de France (lien archivé: ici) avait fait un signalement au procureur de Pau en 2023, où elle accusait SOS Donbass de relayer la "propagande de guerre russe" en France et dans les pays frontaliers, se référant notamment à leurs publications sur les réseaux sociaux. L’association ukrainienne estimait aussi que l'argent et les marchandises collectées par SOS Donbass et convoyées vers le Donbass, sous couvert d’aide humanitaire, servaient en réalité à des militaires ou paramilitaires russes combattant en Ukraine.

Pour Volodymyr Kogutyak, vice-président de l’Union des Ukrainiens de France, SOS Donbass est "en Europe de l’Ouest, l’association faisant de la propagande russe la plus visible".

L'un des mis en examen, Vyacheslav P., un Russe de 40 ans, a été identifié par vidéosurveillance en train de coller des affiches prorusses, dont celle portant le slogan viral "La Russie n’est pas mon ennemi" sur des monuments parisiens, notamment près de l’Arc de triomphe début septembre 2025 (lien archivé ici). Selon le parquet, il aurait ensuite rendu compte de son action par téléphone à la fondatrice de l'association SOS Donbass, Anna Novikova, soupçonnée d’avoir approché des cadres d’entreprises françaises pour obtenir des renseignements économiques. 

Un homme de 63 ans, Vincent P., a été écroué tandis qu'une quatrième personne, Bernard F., 58 ans, été mis en examen et placé sous strict contrôle judiciaire.

Pour Volodymyr Kogutyak, la "France a fait un pas très important" en procédant à ces arrestations. "Je pense que la France est en train d'envoyer un message très clair à la Russie, qu’elle ne permet plus à la Russie de faire de la propagande sur son sol".

L'affaire s'inscrit dans une série d’opérations en France attribuées à des acteurs liés à la Russie depuis 2024, comme les "mains rouges" sur le Mur des Justes au Mémorial de la Shoah, des cercueils installés au pied de la tour Eiffel ou plus récemment le dépôt de têtes de porc devant des mosquées en région parisienne (liens archivés ici, ici et ici).

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter