Attention à ce faux entretien avec un militaire proposant de "pucer" les soldats ukrainiens

Comme l'armée russe, l'armée ukrainienne a été confrontée à des désertions de soldats lors du conflit en cours entre les deux pays. Dans ce contexte, des internautes ont largement relayé sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle un prétendu militaire ukrainien propose d'implanter des micro-puces aux soldats pour les dissuader de fuit les combats. Mais il s'agit d'une manipulation : la séquence a été altérée à l'aide de l'intelligence artificielle (IA). La chaîne de télévision dont des images ont été utilisées dans cette séquence a confirmé que l'extrait en question n'était pas authentique.

"À la télévision ukrainienne, un ukronazi d'azov [NDLR : terme utilisé par des acteurs pro-Kremlin pour désigner les soldats ukrainiens] a expliqué comment lutter contre les désertions massives dans l'armée", peut-on lire dans la description d'une vidéo d'une dizaine de secondes publiée sur Facebook le 18 novembre 2025, partagée près de 40 fois et cumulant des milliers de vues. 

La séquence montre ce qui semble être un militaire ukrainien déclarant à l'animatrice de la chaîne de télévision Kyiv24 News, Anna Valevska, qu'"au 21e siècle, même les chiens sont pucés pour éviter qu'ils ne s'enfuient. Je ne comprends pas pourquoi nous ne le ferions pas pour pouvoir localiser les soldats par GPS et les ramener" (lien archivé ici).

Des affirmations similaires concernant des soldats équipés de micro-puces ont circulé dans d'autres langues, telles que l'anglais, le polonais, l'espagnol, l'allemand, le slovaque et le finnois. La vidéo est apparue en russe ici et le 17 novembre 2025, ainsi que sur le site web du quotidien russe Pravda. Selon le service français spécialisé dans la traque des ingérences numériques étrangères Viginum, "Pravda.fr" appartient à un réseau "structuré et coordonné" (lien archivé ici) de 193 sites diffusant de la propagande russe visant les pays européens et les Etats-Unis."

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Capture d'écran prise le 03/12/2025 sur Facebook. Croix rouge ajoutée par l'AFP

Mais attention : cette vidéo a en réalité été manipulée à l'aide de l'intelligence artificielle (IA)

Une séquence falsifiée

Comme la vidéo virale ne mentionne ni le nom du soldat présumé, ni son unité militaire, l'AFP a effectué une recherche d'image inversée à partir de captures d'écran de la vidéo pour tenter de l'identifier. Divers outils de reconnaissance faciale, dont PimEyes et FaceCheck, ont été testés, sans résultat probant. 

Par ailleurs, une analyse audio de la vidéo virale, réalisée à l'aide du détecteur de deepfakes Hiya.com sur l'outil (cocréé par l'AFP) de vérification InVID-WeVerify, estime que la voix du jeune homme a été très probablement générée par IA, avec un score de 99%.

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Capture d'écran de l'analyse de l'AFP du 20 novembre 2025, faite avec Hiya et qui indique la probabilité de génération grâce à l'IA

Une seconde analyse, menée avec l'outil Deepfake Total aboutit à la même conclusion. (lien archivé ici).

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Capture d'écran de l'analyse de l'AFP du 20 novembre 2025, faite avec deepfake-total.com et qui indique la probabilité de génération grâce à l'IA

La vidéo originale

Si la chaîne télévisée Kyiv24 News et la présentatrice Anna Valevska existent bel et bien, la vidéo virale est, quant à elle, altérée. En effectuant des recherches d'images inversées et par mots-clés, l'AFP a trouvé le reportage original, publié dès le 11 novembre 2025 sur YouTube (lien archivé ici).

Dans le reportage télévisé d’origine, la présentatrice porte la même tenue que dans la version falsifiée, et le logo de la chaîne apparaît au même endroit. 

La présentatrice discute avec Dmytro Kuharchuk, un commandant d'un bataillon ukrainien, qui participe à l'interview en direct depuis "le front" pour parler des désertions dans les Forces armées ukrainiennes. A aucun moment ce dernier ne parle de puçage des soldats. 

Dans le clip falsifié, le visage de Dmytro Kuharchuk semble avoir été remplacé par un deepfake représentant un prétendu soldat ukrainien. La peau anormalement lisse et l’éclairage uniforme du visage constituent d’ailleurs des signaux caractéristiques d’une image générée artificiellement.

La création de visages anonymes grâce à l'IA ou l'utilisation de visages puisés dans des banques d'images est une technique désormais privilégiée par les acteurs de la désinformation, qui affinent leurs méthodes pour compliquer l'authentification des contenus vidéos. 

Kyiv24 a confirmé à l'AFP le 20 novembre que l'interview telle que partagée par les publications trompeuses n'a jamais eu lieu à l'antenne.

"Je tiens à vous informer que la vidéo qui a suscité des remous, dans laquelle un certain soldat parle de micropuçage, est entièrement un deepfake", a écrit Natalia Lyashchenko, productrice exécutive chez Kyiv24, dans un courriel adressé à l'AFP.

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Comparaison d'une image tirée d'un film généré par l'IA (à gauche) avec l'enregistrement officiel de la télévision ukrainienne, marquages colorés ajoutés par l'AFP : 20.11.2025.

D'autres organisations de vérification des faits, telles que StopFake et Delfi, ont également vérifié la vidéo et ont conclu que le reportage de Kyiv24 avait été altéré avec une vidéo deepfake (liens archivés ici et ici). Un article publié le 22 novembre par l'agence de presse ukrainienne Ukrinform a également conclu que le contenu de la vidéo était "faux" (lien archivé ici).

Nombre élevé de désertions

Les désertions au sein de l'armée ukrainienne ont déclenché un débat dans le pays, épuisé par les combats et où des dizaines de milliers de soldats combattent depuis le début de l'invasion de la Russie, en février 2022.

Selon le bureau du procureur général d'Ukraine, cité dans cet article, "235 646 cas d'abandon non autorisé d'unité" (AWOL) et "53.954 cas de désertion" ont été enregistrés entre janvier 2022 et septembre 2025. Ces chiffres ne tiennent pas compte des cas où les soldats seraient finalement revenus dans leur unité (lien archivé ici).

Les AWOL ("absent without leave" en anglais, ou absence sans permission officielle en français) font généralement référence aux cas où des soldats abandonnent leurs postes sans autorisation pour une courte période, tandis que les soldats qui désertent vraiment leurs unités partent avec l'intention d'échapper définitivement au service militaire. 

Lors de son interview avec Kyiv24, le vrai militaire Dmytro Kuharchuk a noté que, bien qu'il existe des unités où les soldats désertent, il existe également des unités au sein desquelles des soldats reviennent après une absence sans permission. "En parlant du 3e corps d'armée, jusqu'à présent, nous avons environ 1.500 soldats déserteurs qui sont revenus" a-t-il déclaré.

Les désertions ne concernent pas uniquement l'armée ukrainienne: divers reportages de médias d'investigation indépendants russes et un rapport de l'ONU datant d'octobre 2025 estiment que plus de 50.000 soldats russes avaient déserté l'armée à la fin décembre 2024 (liens archivés ici et ici).

L'AFP a déjà vérifié une série de deepfakes et de contenus générés par l'IA visant l'armée ukrainienne, comme ici, ici et .

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