Attention à ce faux reportage sur le décès d'un chirurgien prétendument lié à Brigitte Macron

Depuis le début de l'année 2025, des internautes français se passionnent sur les réseaux sociaux pour de prétendues "révélations" de l'influenceuse américaine Candace Owens au sujet de Brigitte Macron. Et en particulier pour la rumeur sans fondement selon laquelle l'épouse du chef de l'Etat aurait subi une opération de changement de sexe pratiquée par un spécialiste de la chirurgie transgenre. Un article, apparu en ligne début juillet et largement relayé, affirme qu'un collègue de ce chirurgien a été retrouvé mort alors qu'il s'apprêtait à témoigner auprès de journalistes. Mais il ne repose sur aucun élément concret ou vérifié, et fait référence à un chirurgien qui semble inventé de toutes pièces. Le site internet qui le publie usurpe en outre l'identité de plusieurs journalistes, notamment pour la signature de l'article vérifié.

"Un chirurgien lié aux rumeurs sur la transidentité de Brigitte Macron, retrouvé mort à Paris. [...] Le bureau du médecin légiste a déclaré que François Faivre, âgé de 58 ans, s'est suicidé. Il était chirurgien et travaillait dans une clinique parisienne", peut-on lire dans la description d'une vidéo publiée sur X le 1er juillet 2025, partagée plus de 4.000 fois et cumulant près d'un million de vues.

Sur les images, des voitures de pompiers et des policiers stationnés au pied d'un immeuble parisien, présenté comme le lieu du décès du prétendu chirurgien. Selon la vidéo, ce dernier aurait fait "une horrible chute depuis sa fenêtre dans le 12ème arrondissement de Paris", le 29 juin.

Une voix off masculine affirme : "La sœur de François Faivre, Anne Dupont, affirme qu'il n'était pas suicidaire et que sa mort est probablement liée à l'entretien qu'il devait donner. Selon Mme Dupont, son frère est un collègue du célèbre docteur, monsieur Patrick Bui. François Faivre avait promis aux journalistes de faire la lumière sur les opérations chirurgicales controversées de Mme Brigitte Macron".

Des publications similaires circulent également sur Facebook (1, 2, 3), X (1, 2), TikTok et Telegram, et dans plusieurs langues, notamment en anglais, catalan, espagnol, italiennéerlandais, polonais, portugais et russe.

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Captures d'écran prises sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 03/07/2025. Croix rouges ajoutées par l'AFP.

La plupart de ces publications renvoient vers cet article publié le 1er juillet 2025 par le site Enquête du jour, qui se présente comme "un média indépendant dédié à l'actualité en France". Selon sa propre description, sa mission serait d'"offrir une information fiable, accessible et sans détour, pour mieux comprendre le monde qui nous entoure".

Mais l'article en question, tout comme la vidéo qu'il contient au sujet du décès d'un chirurgien qui serait lié aux rumeurs autour de la prétendue transidentité de Brigitte Macron, est entièrement infondé. Il n'existe aucune trace de l'existence de "François Faivre", et l'article a été attribué à une journaliste dont l'identité a été usurpée.

Depuis la diffusion en janvier de la série "Becoming Brigitte" sur YouTube, lancée par la blogueuse conservatrice américaine Candace Owens, les "révélations" de cette dernière, ainsi que celles de Xavier Poussard, ancien rédacteur de "Faits et Documents", alimentent une vague de désinformation persistante sur les réseaux sociaux.

Dans le reportage, on retrouve d'ailleurs de nombreuses références à cette série, comme cette Une du magazine Closer, ou encore cette image en noir et blanc de Patrick Bui, le chirurgien censé avoir opéré Brigitte Macron, qui y étaient mentionnées.

Un reportage truffé d'incohérences

Une recherche d'image inversée a permis à l'AFP d'identifier l'origine réelle de certaines séquences utilisées dans ce prétendu reportage.

Ainsi, les images montrant des véhicules de pompiers et des policiers proviennent d'une vidéo tournée par l'AFP le 14 octobre 2022 à Porte de Vincennes, dans le 12ème arrondissement de Paris. Ces images, filmées plus de deux ans avant les faits allégués, ne font à aucun moment mention du suicide ou du décès d'un quelconque chirurgien (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises le 07/07/2025 sur X (à gauche) et AFP Forum (à droite). Croix rouge et encadrés verts ajoutés par l'AFP.

Les voix entendues dans le reportage présentent des accents difficilement identifiables. Une analyse de l'audio de la vidéo par l'AFP, à l'aide du détecteur de deepfakes Hiya.com sur l'outil de vérification InVID-WeVerify, indique que celui-ci a été "très probablement généré par l'IA".

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Capture d'écran prise sur InVID-WeVerify le 03/07/2025.

Par ailleurs, le reportage alterne séquences authentiques et images falsifiées, certaines portant clairement les marques des techniques du deepfake.

C'est notamment le cas du témoignage attribué à "Anne Dupont", présentée comme la sœur du prétendu chirurgien décédé. Dans une séquence filmée sur un fond noir, une voix off masculine résume ses propos. Bien qu'aucune recherche d'image inversée n'ait permis de retrouver la véritable identité de cette femme, son image présente des anomalies : la taille de ses yeux change régulièrement et leurs clignements sont irréguliers et peu fluides, caractéristiques de certaines vidéos générées par IA.

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Capture d'écran prise le 07/07/2025 de la séquence de la prétendue soeur de "François Faivre" sur le reportage publié par le média douteux Enquête du jour.

"François Faivre" : une identité fabriquée pour plus de crédibilité

Quant au prétendu chirurgien "François Faivre", il affirme dans le reportage avoir "travaillé à l'hôpital américain de Paris pendant six ans" aux côtés du Dr. Patrick Bui, qui lui aurait "parlé des transformations physiques subies par Madame Brigitte Macron lors d'une opération de chirurgie transgenre réalisée dans cet établissement". Si M. Bui existe, et figure bien sur la liste des médecins de cet établissement, l'hôpital américain de Paris a confirmé à l'AFP, le 8 juillet, ne pas avoir de "trace d'un chirurgien esthétique François FAIVRE ayant pu [y] exercer" (lien archivé ici).

Une recherche par mots-clés effectuée par l'AFP dans l'annuaire santé de l'Assurance maladie n'a permis de retrouver aucun médecin ou chirurgien portant le nom de "François Faivre".

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Capture d'écran prise le 03/07/2025 sur l'annuaire santé du site de l'Assurance maladie.

D'autres éléments renforcent les soupçons de manipulation.

D'abord, dans les 43 secondes d'un extrait présenté comme une interview vidéo du "Dr. Faivre" accordée au magazine Closer, le chirurgien ne cligne pas une seule fois des yeux, comme l'ont également relevé nos collègues de 20 minutes (lien archivé ici).

Par ailleurs, alors que la voix off parle d'une interview avec "la journaliste de Closer", le bandeau visible à l'écran mentionne "le journaliste", au masculin.

À l'image, plusieurs incohérences apparaissent, comme des discontinuités sur le mur et des anomalies sur les prétendus diplômes accrochés au mur : "World Association of..." ("Association mondiale de..." en français), peut-on lire sur le tableau de droite, sans que la suite ne soit lisible.

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Capture d'écran prise le 07/07/2025 sur le reportage de l'"Enquête du jour". Encadrés rouges ajoutés par l'AFP.

Pour tenter d'identifier "François Faivre" à partir de la séquence vidéo et de son portrait, l'AFP a utilisé l'outil de reconnaissance faciale PimEyes. Résultat : un individu aux traits similaires figure sur le site de la banque d'images iStock de l'agence Getty Images. Selon les informations associées à ce cliché, il y a été publié le 28 mai 2017 (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises le 07/07/2025 sur le portrait de la vidéo diffusée par "Enquête du jour" (à gauche) et celle du photographe "Juanmonino" (à droite).

Par ailleurs, ce même visage apparaît dans différents contenus commerciaux, sans lien apparent (12345).

Ceci peut suggérer qu'il s'agit d'un acteur ou d'un modèle dont l'image a été utilisée via une intelligence artificielle (IA) dans un contexte trompeur - une méthode déjà documentée par l'AFP dans d'autres cas similaires. Il se peut aussi qu'il s'agisse d'une image tout simplement générée par IA, sans base réelle.

L'usurpation d'identité de six journalistes par un faux site d'actualité

Quant au site "Enquête du jour", sur lequel a été publié l'article, il ne contient aucune information sur ses fondateurs et ne comporte ni mentions légales ni coordonnées de contact.

Une recherche effectuée sur Whois, qui permet d'obtenir des informations sur les noms de domaine de sites internet, montre que ce site a été créé le 25 juin 2025, soit une semaine seulement avant la publication de l'article intitulé "Un chirurgien lié aux rumeurs sur la transidentité de Brigitte Macron, retrouvé mort à Paris". La dernière mise à jour du site date du 30 juin (lien archivé ici).

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Capture d'écran prise le 07/07/2025 sur whois.com des résultats de recherche sur le site enquetedujour.fr

Enregistré au nom d'"Ano Nymous" ("anonyme" en anglais), le site a été créé depuis Wilmington, dans l'État du Delaware. Il se trouve qu'il s'agit de la ville natale de John Mark Dougan, un ancien policier américain installé en Russie, accusé d'être un propagandiste du Kremlin et soupçonné d'avoir fondé plusieurs sites d'influence russe (lien archivé ici).

Le point le plus flagrant, concernant ce site et plusieurs articles qu'il contient, reste l'usurpation d'identité de six journalistes français : Audrey Parmentier, Aurélien Defer, Clara Monnoyeur, Lina Rhrissi, Pauline Gauer et Sophie Boutboul. Contactée par le Vrai ou Faux de Franceinfo, la journaliste pigiste Audrey Parmentier - dont l'identité a été usurpée pour signer l'article vérifié - a confirmé ne pas avoir écrit cet article, ni d'ailleurs aucun de tous les articles qui lui sont attribués sur le site (lien archivé ici).

C'est également ce qu'ont confirmé ses pairs auprès du même média.

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Capture d'écran prise le 03/07/2025 sur l'article publié le 1er juillet par Enquête du jour.

Contacté par l'AFP le 3 juillet, le journaliste indépendant Aurélien Defer a confié avoir été "complètement décontenancé" en apprenant que son identité avait été usurpée : "Voir sa photo et son nom en signature d'articles servant une vaste campagne de désinformation n'a rien de plaisant. Heureusement, la rédaction de StreetPress a rapidement réagi et nous accompagne sur le plan juridique".

"De ce que je comprends, la quasi-totalité des articles publiés servent à donner à ce site les apparences d'une source d'information fiable et généraliste afin de pouvoir y diffuser une fausse information sur Brigitte Macron. Une méthode qui ressemble à celles utilisées lors de précédentes campagnes de désinformation prorusses, bien qu'il me soit impossible d'affirmer avec certitude une quelconque corrélation", a expliqué le journaliste à l'AFP.

Ce mode opératoire rappelle en effet celui de Storm-1516, une campagne d'influence prorusse créant et diffusant de fausses informations à grande échelle (lien archivé ici).

"Actif depuis au moins août 2023, Storm-1516 a pu, par son ampleur, avoir des impacts sur le débat public européen, voire influencer plusieurs scrutins électoraux. Objectifs : remettre en cause l'intégrité d'un scrutin, dénigrer ou soutenir un candidat en fonction des intérêts russes", explique le ministère des Armées sur son site.

 "L'IA est mise à profit pour élaborer des deepfakes, c'est-à-dire des vidéos usurpant l'identité de personnalités publiques ou même d'internautes anonymes afin de rendre les messages diffusés plus crédibles", peut-on lire sur le site.

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Schéma de diffusion de Storm-1516 © SGDN du site du Ministère des armées

Dans un article publié le 4 juillet 2025, StreetPress annonce son intention de saisir la justice "pour usurpation d'identité afin de défendre la réputation des journalistes, mais aussi au civil, afin d'obtenir la fermeture pure et simple du site" (lien archivé ici).

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