
Non, la Moldavie n'a pas passé un accord avec la France pour accueillir des milliers de tonnes de déchets toxiques
- Publié le 25 septembre 2025 à 17:12
- Mis à jour le 26 septembre 2025 à 12:11
- Lecture : 10 min
- Par : Pierre MOUTOT, AFP France
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"Sandu avait les moyens de faire avancer l'intégration à l'UE, mais après la visite de Macron, elle a accepté de transformer la Moldavie en un dépôt pour les déchets toxiques de l'Europe", prétend une publication vue des dizaines de milliers de fois sur X. "Le mercure et l'arsenic qu'elles a ingérés [sic] en Moldavie y resteront longtemps après son départ de la scène politique", ajoute-t-elle. Le texte, copié-collé et traduit de l'anglais, est repris à l'unisson par des comptes sur X et sur Facebook, en français, anglais, roumain et serbe.
La publication s'accompagne d'un photomontage représentant Maia Sandu et Emmanuel Macron posant devant des barils frappés du symbole de radioactivité.

Le texte et le visuel sont repris et déclinés par des comptes habitués à propager de la désinformation et des contenus prorusses, comme cet internaute qui relaie la vidéo en commentant : "Elle [Maia Sandu, NDLR] a échangé la sécurité environnementale de la Moldavie contre des promesses françaises". La publication, vue plus de 90.000 fois, comporte une vidéo et un lien vers la source supposée de l'information, le site GB Reporter.
En réalité, ces affirmations qui visent la présidente moldave et son parti, le Parti action et solidarité (PAS), ne reposent sur rien : aucun accord de cette nature n'a été passé entre la France et la Moldavie, il n'est pas question de déplacer des déchets toxiques du site alsacien où ils sont stockés. Qui plus est, le site sur lequel a été publié la fausse révélation est une coquille vide.
Pas de révélations, mais un document grossièrement falsifié
On retrouve sur le site en question un article, publié le 23 septembre et titré "The toxic deal - Sandu accepts France's chemical waste (traduction: L'accord toxique - Sandu accepte les déchets chimiques de la France)". L'article prétend avoir obtenu "des documents" de la compagnie des Mines de potasse d'Alsace (MDPA) qui révèleraient une "solution" visant à transférer "42.000 tonnes de déchets toxiques incluant de l'arsenic, du mercure et du cyanure" près de la ville de Rezina, en Moldavie, "à moins de deux kilomètres du Dniestr", grand fleuve d'Europe de l'Est, qui parcourt le pays.

Selon l'article, cette "solution" aurait été trouvée à l'issue de la visite d'Emmanuel Macron en Moldavie fin juillet et serait le fruit d'un accord transactionnel entre les deux pays, visant à "renforcer l'intégration de la Moldavie à l'UE" ; en conséquence, "le plan précédent visant à sceller les mines avec du béton" aurait été abandonné.
On ne trouve pas trace des documents mentionnés dans le corps de l'article, mais uniquement une capture d'écran partielle dans une vidéo d'une durée de 2 minutes et 20 secondes mise en ligne sur la même page. Celle-ci reprend des images de plusieurs reportages sur le site de Wittelsheim, dont un de France 24 et un autre de France 3 Grand Est parus en juin 2025 et en janvier 2021, respectivement (liens archivés ici et ici), par dessus laquelle une voix off vraisemblablement générée par IA reprend le texte de l'article. On l'entend notamment buter sur les noms propres d'Emmanuel Macron et de localités moldaves.
Le document mentionné par l'article apparaît au bout de 30 secondes et porte le titre de "Résumé NON TECHNIQUE du projet de relocalisation des déchets MDPA/STOCAMINE" et est daté du 30 août 2025 ; d'après l'article, c'est ce document qui révèlerait le plan visant à transférer les déchets toxiques de Wittelsheim, bien qu'il soit impossible d'en lire le texte au-delà du titre.
Sauf qu'il n'en est rien. Jointe par l'AFP, la directrice de MDPA qui gère le site de Stocamine, Céline Schumpp, a démenti toute modification du plan original visant à sceller les déchets : "Je vous confirme qu'il s'agit d'un faux, ubuesque et truqué : nous avons un arrêté préfectoral du 28 septembre 2023 qui nous prescrit la fermeture du site par la construction de barrages en béton, et dont les travaux ont été remis en cours par décision du Conseil d'État en 2024" (lien archivé ici).
En juin 2025, le tribunal administratif de Strasbourg avait autorisé le confinement définitif des déchets toxiques, rejetant des requêtes à son encontre (lien archivé ici).
Quant au document visible sur la vidéo, il s'agit en réalité d'un photomontage. "Ils ont repris le résumé non-technique du dossier issu de la concertation publique de 2016, disponible sur notre site web, et modifié la date", déclare Céline Schumpp.
Une recherche sur la base de données du site de MDPA permet en effet de retrouver un document similaire, daté de 2016 (lien archivé ici). "Il s'agit du dossier de fermeture pour le confinement des déchets du site", ajoute Mme Schumpp, insistant sur le fait qu'"il n'a jamais été envisagé de déplacer ces déchets en Moldavie".

Outre la manipulation du document et la réutilisation d'images de précédents reportages recyclées pour faire croire à un fait d'actualité, d'autres éléments pointent vers une opération de manipulation.
Un faux site d'actualité usurpant l'identité de vrais journalistes
Car le site internet sur lequel est hébergé l'article semble être une coquille vide créée spécialement pour l'occasion, avec le but d'imiter un site d'actualités crédible. Une méthode récurrente des acteurs de désinformation prorusse, déjà éprouvée au cours d'une campagne de grand ampleur visant les soutiens à l'Ukraine et connue sous le nom de Storm-1516 (lien archivé ici).
On trouve en effet peu d'informations sur le site, et aucune mention légale : à peine figure une mention "© 2025 - All Rights Reserved" au bas des pages, mais on ne retrouve par ailleurs aucune autre information sur le supposé média, qui ne comprend en tout et pour tout que quatre rubriques.
Des vérifications de l'URL de la page sur des sites permettant de connaître la date à laquelle a été enregistrée un nom de domaine indiquent une date de création au 21 septembre 2025, soit deux jours avant la diffusion de la fausse information.

On trouve sur le site une grande variété d'articles sur des sujets aussi divers que le conflit au Soudan, les dernières sorties de jeux vidéox ou des recettes de cuisine de pâtes et des recommandations de sorties au théâtre. Mais à y regarder de plus près, et en effectuant des recherches d'images inversées à partir des images et des photos d'illustration, on constate qu'il s'agit en fait de copies d'articles du quotidien britannique The Guardian, dont le texte a été reformulé, probablement grâce à l'intelligence artificielle. Tous sont signés de noms de journalistes du Guardian (mais pas toujours du bon rédacteur de l'article).

L'article contenant la fausse information, glissé entre des copies de véritables articles reformulés, usurpe la signature d'Amelia Hill, journaliste au Guardian (lien archivé ici). Y figure également la photo de son profil professionnel du Guardian.

Ce n'est pas la première fois qu'une opération de désinformation prorusse utilise l'identité d'un journal et de journalistes reconnus pour asseoir la crédibilité de ses infox. Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux médias sont régulièrement plagiés en ligne à des fins de désinformation sur le conflit. En mars 2025, l'AFP a consacré un article à la publication d'une fausse Une du journal La Croix poussant un narratif favorable à la Russie.
Des opérations similaires ont touché les journaux USA Today, le Hull Daily Mail britannique ou le quotidien Le Monde (lien archivé ici). Dans ce dernier cas, l'opération avait été attribuée par l’organisme français de détection des ingérences numériques Viginum au "mode opératoire informationnel" russe Storm-1516 (lien archivé ici).
Dans le cas de la fausse information autour de Stocamine, une source gouvernementale a confirmé à l'AFP que Storm-1516, très actif en Moldavie, était également à la manoeuvre.

Les propos d'un géologue sortis de leur contexte
Les journalistes du Guardian ne sont pas les seuls dont l'image a été utilisée pour crédibiliser cette infox.
A 1:24, la vidéo qui accompagne l'article présente Marcos Buser, géologue dont le nom est étroitement associé à celui du site Stocamine de Wittelsheim depuis plus d'une vingtaine d'années : le scientifique a en effet piloté au début des années 2000 une étude de faisabilité sur l'extraction des déchets toxiques du site alsacien, à la demande d'une association. Il intervient depuis régulièrement dans les médias à ce sujet (liens archivés ici et ici).
"Le scientifique affirme que la décision de la Moldavie d'accepter les déchets toxiques est archaïque et dangereuse", prétend la voix off de la vidéo publiée sur GB Reporter. Dans la séquence suivante, des images d'une interview de Marcos Buser sont surimprimées à différents plans issus du reportage de France 24 International paru le 12 juillet 2025 (soit deux semaines avant la visite d'Emmanuel Macron en Moldavie).

Mais là encore, il s'agit d'un détournement de contenu authentique visant à donner un vernis de vraisemblance à une opération de manipulation. "Je n'ai jamais été contacté au sujet d'un transfert supposé de déchets issus de Stocamine en Moldavie et je n'ai jamais fait aucune déclaration en relation avec un tel projet - il s'agit d'un canular et d'un artifice", a écrit Marcos Buser à l'AFP le 24 septembre.
Le géologue a également confirmé que les séquences de la vidéo publiée sur GB Reporter proviennent d'autres sources : "la première séquence lors d'un congrès de Sortir du nucléaire sur le démantèlement de centrales nucléaires à Berne [...] le deuxième extrait est plus récent et est issu d'une interview de France 24, le journal du matin de 8:00 heures en direct".
Désinformation intensive visant la Moldavie

Depuis des semaines, la présidente Maia Sandu et son parti pro-européen, le PSA, dénoncent l'"ingérence sans précédent" de la Russie visant à influencer le scrutin législatif du 28 septembre, considéré par les analystes comme "crucial" pour l'avenir de la Moldavie (lien archivé ici).
Le journal moldave Ziarul de Garda a révélé au début du mois qu'un groupe lié au politicien prorusse fugitif Ilan Shor coordonnait des centaines d'activités via des groupes Telegram secrets pour inonder TikTok et Facebook avec de la propagande anti-UE (lien archivé ici).
On retrouve dans le faux article de GB Reporter plusieurs éléments caractéristiques des méthodes de Storm-1516 : imitation d'un site d'actualité réputé, contenu vidéo prenant l'apparence d'un journal télévisé, usurpation de l'identité de véritables journalistes pour crédibiliser un récit.
On retrouve également dans le corps de l'article et ses reprises des références explicites au contexte électoral dans lequel sont diffusées ces fausses informations, comme la mention d'une "décision" d'accueillir des déchets toxiques qui "risque d'empoisonner les relations entre le parti PSA de Sandu et les électeurs à la veille de l'élection".
D’après Viginum, l’organisme français chargé de surveiller les manipulations étrangères en ligne, le mode opératoire Storm-1516, attribué à des acteurs russes, est apparu en marge de la guerre en Ukraine. Entre août 2023 et mars 2025, plusieurs dizaines d'opérations ont été détectées par les autorités françaises, ciblant principalement l’Ukraine et les pays qui la soutiennent, dont la France. Le dispositif est "particulièrement complexe, adaptable et redoutablement efficace" pour propager ses récits, selon Viginum.
Parmi les caractéristiques récurrentes de Storm-1516, il y a notamment le recours à l’intelligence artificielle pour générer des visages et discours, l'utilisation d’acteurs rémunérés, la diffusion via des influenceurs pro-russes (comme l’ex-militaire français Adrien Bocquet ou le YouTubeur Eric Archambault), puis le "blanchiment" des contenus par des médias relais.
Selon les experts, les campagnes dirigées vers la Moldavie visent à la fois à rapprocher le pays de la Russie et à déstabiliser l'UE. Ainsi, une série de campagnes de désinformation menées par des acteurs prorusses ont également visé la France et des personnalités françaises, dans la foulée de l'annonce par Emmanuel Macron d'une volonté d'envoyer des troupes européennes en Ukraine pour maintenir la paix dans le cadre d'un accord de cessez-le-feu entre l'Ukraine et la Russie.
L'AFP y a consacré plusieurs articles, à retrouver ici, ici et là.
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