Les présidents ukrainien Volodymyr Zelensky et américain Donald Trump dans le Bureau ovale de la Maison Blanche à Washington le 28 février 2025 (AFP / SAUL LOEB)

La désinformation visant l'Ukraine s'intensifie après les critiques de Trump

Déjà très abondante sur les réseaux sociaux depuis le début de l'invasion russe il y a trois ans, la désinformation ciblant l'Ukraine s'est intensifiée dans le sillage des vives critiques à l'encontre du président ukrainien Volodymyr Zelensky formulées par Donald Trump, qui a ordonné une pause dans l'aide militaire américaine à Kiev. Entre anciennes allégations recyclées et nouvelles infox, voici un tour d'horizon des narratifs les plus viraux.

Deepfakes, vidéos trompeuses de soldats ukrainiens et fausses informations ciblant Volodymyr Zelensky connaissent un nouvel élan en ligne depuis février 2025. 

Aux infox récurrentes, déjà maintes fois propagées depuis le début de l'invasion russe il y a trois ans, se sont ajoutées de nouvelles allégations depuis que Donald Trump multiplie les attaques contre le président ukrainien, qu'il a qualifié de "dictateur sans élections", avant un échange sous haute tension dans le Bureau Ovale fin février puis la suspension de l'aide militaire à l'Ukraine début mars (archives 1, 2). 

"Nous avons constaté une résurgence notable de narratifs de désinformation anti-ukrainiens sur les réseaux sociaux américains, dont beaucoup semblent être du contenu de précédentes campagnes d'influence de la Russie retravaillé", a souligné fin février McKenzie Sadeghi, analyste de la plateforme spécialisée dans la surveillance de la désinformation NewsGuard, auprès de l'AFP (archive).

Pour Darren Linvill, de l'Université Clemson, en Caroline du Sud, "les fruits de cette campagne constante de pression sont mûrs" (archive).

Campagne Storm-1516

Certaines campagnes d'influence pro-russes lors de la campagne électorale pour la présidentielle américaine de 2024 s'étaient déjà de plus en plus focalisées sur le président ukrainien.

Le fils du président américain, Donald Trump Jr et l'influenceur conservateur Kyle Becker avaient relayé en février 2024 un deepfake montrant prétendument Volodymyr Zelensky faire la danse du ventre. Une vidéo virale qui avait été vérifiée par l'AFP un mois plus tôt.

Un autre allié de Trump, le sénateur républicain Mike Lee, a relayé plus récemment des montages trompeurs montrant soi-disant des soldats ukrainiens mettant le feu à une effigie du président américain, tandis que d'autres comptes sur X partageaient un clip les montrant supposément brûlant des copies du livre "The Art of the Deal" de Donald Trump.

Le Centre ukrainien contre la désinformation, affilié à l'Etat ukrainien, a qualifié ces clips de "faux", indiquant qu'ils avaient été tournés par la propagande russe (archives 1, 23).

Ces vidéos sont issues d'une opération de désinformation russe dénommée Storm-1516, explique Darren Linvill, de l'université Clemson, dont l'équipe a repéré le réseau en 2023 (archive). Elles ont été relayées l'année dernière par des comptes qui blanchissent régulièrement des vidéos de Storm-1516, a-t-il précisé.

Cette campagne avait précédemment ciblé l'élection présidentielle américaine avec des vidéos dont le tournage a été attribué aux Russes par des responsables des services américains, dont certaines qui affirmaient montrer des fraudes électorales.

Comme avec d'autres infox propagées par Storm-1516, les deux clips relayés par des alliés de Donald Trump insistent sur les insignes militaires ukrainiens, mais ne montrent à aucun moment les visages des personnes, "ni même une once d'indication du lieu où cela a été filmé", remarque Darren Linvill.

Il note aussi que "les narratifs de Storm-1516 sont très cohérents. La manière dont ils sont créés, le narratif qu'ils portent, comment ils sont distribués".

Zelensky accusé de "mises en scène"

Les accusations de "mise en scène" de la guerre, qui font leur réapparition ces dernières semaines, étaient très fréquentes au début du conflit, notamment lorsqu'avec l'exemple de Boutcha, des acteurs pro-russes avaient tenté de minimiser les exactions de l'armée russe à coup de désinformation sur les réseaux sociaux. 

La légende d'une publication partagée depuis le 2 mars par plus d'un millier d'internautes assure par exemple que le président Zelensky "filme des mises en scènes macabres pour ensuite inonder les réseaux sociaux (et les médias idiots vont reprendre en masse) afin de quémander encore de l'aide". Deux vidéos sont associées au message, dans lesquelles on voit des personnes ajuster des costumes de militaires et maquiller ce qui ressemble à des acteurs. 

De fait, ces vidéos montrent des tournages, comme on peut s'en rendre compte en les retrouvant sur le compte TikTok dont le nom est visible sur les images. Mais comme l'indique leur légende, elles n'ont rien d'un message officiel ou d'organisé par le président ukrainien puisqu'elles ont été réalisées pour un clip musical.

On peut retrouver ce dernier publié le 24 février 2025 sur YouTube, accompagnant la chanson "Frères", qui a pour objectif de représenter "la véritable fraternité, qui peut naître au combat" (archive). 

On y reconnaît plusieurs scènes et personnes figurant dans les vidéos relayées sur les réseaux sociaux, comme la soldate couchée au sol. 

Image
Comparaison entre des captures d'écran du clip musical (à gauche) et de la publication trompeuse (à droite), prises le 4 mars 2025. Croix orange ajoutée par l'AFP.

Accusations de corruption

L'opération Storm-1516 a par ailleurs relayé des infox sur Volodymyr Zelensky et sa femme ayant supposément acheté voitures de luxe et yachts avec l'aide occidentale, des accusations très virales depuis le début du conflit.

"Ces faux narratifs se classent dans les premières recherches sur Zelensky chaque mois", indique David Linvill : "le nombre de villas que cet homme a achetées jusque-là, d'après Storm-1516, est scandaleux".

Image
Volodymyr Zelensky et son épouse Olena Zelenska lors des commémorations du 80e anniversaire du Débarquement de Normandie, à Omaha Beach, le 6 juin 2024 (POOL / JORDAN PETTITT)

La viralité de ces allégations a rebondi après que Donald Trump a questionné la légitimité de Volodymyr Zelensky le 19 février en l'accusant d'être "un dictateur sans élections".

Entre le 18 et le 24 février, NewsGuard a compté près de 28.000 posts sur les réseaux sociaux et articles mentionnant le président ukrainien et une villa, un yacht, un vignoble ou une maison - soit plus de 26 fois plus que le nombre de mentions au cours des six jours précédents, explique McKenzie Sadeghi.

La plateforme a démontré que des Américains pro-Kremlin qui gèrent des centaines de faux sites ont aidé à relayer 14 narratifs accusant Zelensky de corruption depuis le début de la guerre (archive).

Les efforts de la Russie se concentrent sur les moyens d'"alimenter l'animosité entre les administrations Trump et Zelensky", explique Joseph Bodnar, chercheur à l'Institute for Strategic Dialogue (archive). "La Russie veut convaincre les négociateurs américains que l'Ukraine est leur ennemi, pas leur partenaire. C'est un moyen pour le Kremlin d'obtenir des termes favorables quel que soit l'accord de paix".

La désinformation russe a aussi été relayée par Elon Musk, chargé par Donald Trump de sabrer dans les dépenses des administrations : début février, il a partagé un faux reportage sur des stars envoyées supposément en Ukraine grâce à des fonds de l'agence USAID.

Propos manipulés

Après l'altercation entre Donald Trump, le vice-président américain JD Vance et Voldymyr Zelensky dans le Bureau ovale, des rumeurs visant à prouver que le président ukrainien manquerait de respect envers les Américains ont aussi enflé sur les réseaux sociaux.

Une publication partagée plusieurs centaines de fois depuis le 3 mars avance par exemple que "le dictateur Zelensky" aurait menacé les Américains en assurant que "les Etats-Unis devront envoyer leurs fils et leurs filles au combat, et ils mourront", vidéo à l'appui.

Mais les images sont anciennes et ont été sorties de leur contexte : une recherche d'image inversée permet de retrouver des articles de médias vérifiant ces prétendus propos qui avaient déjà fait l'objet de manipulations en mars 2023 (archive).

En réalité, le président ukrainien, qui s'exprimait lors d'une conférence un an après l'invasion russe de février 2022, faisait référence à une situation hypothétique qui pourrait survenir en cas d'invasion militaire de la Russie dans un pays membre de l'Otan, dans laquelle ses membres pourraient répondre par des envois de militaires. 

Image
Le logo de l'Organisation du Traité atlantique-Nord (Otan) et le drapeau américain au sige de l'Otan à Bruxelles le 17 février 2025 (POOL / NICOLAS TUCAT)

La rencontre entre le président ukrainien et son homologue américain a aussi mené à de nombreux détournements à coups de deepfakes sur les réseaux sociaux, allant d'une vidéo très virale dans laquelle Volodymyr Zelensky donnerait une gifle à Donald Trump à des prétendus propos outranciers tenus "en amont" de la rencontre officielle - et qui sont en réalité une vidéo altérée de cette dernière.

Financement

En parallèle de chaque nouvelle actualité sur la guerre en Ukraine, de nouvelles affirmations trompeuses émergent. Par exemple des publications affirmant à tort que le président ukrainien aurait interdit en Ukraine le réseau social de Donald Trump, Truth Social.

Alors que Donald Trump ordonnait le 3 mars une "pause" dans l'aide militaire des Etats-Unis à l'Ukraine, des publications virales en plusieurs langues, dont l'anglais et le français, assuraient que Volodymyr Zelensky aurait "exigé de l'argent à l'Europe" pour remplacer l'aide américaine (archive). Dans la courte vidéo, on entend le président ukrainien dire : "Donnez-nous 250 milliards, qui sont ici en Europe, les avoir gelés russes". 

Mais la vidéo a été tronquée et les propos sortis de leur contexte. Une recherche d'image inversée permet de retrouver la séquence originale : une conférence de presse de plusieurs heures datant de mi-février 2025, en pleine conférence de Munich sur la sécurité. 

Dans la scène partagée en mars sur les réseaux sociaux, le président ukrainien répondait à une journaliste du média allemand Die Zeit (à partir de 3:48:27) sur de possibles négociations à venir avec d'autres dirigeants, dont les Etats-Unis. Il expliquait ainsi que si son pays ne pouvait faire partie de l'Otan car le président américain a exprimé ses réticences à ce sujet, l'Ukraine devrait trouver d'autres moyens de financer la guerre, sous forme d'aide internationale. 

Les propos du président ukrainien ne relevaient donc pas d'une menace ou d'une exigence, mais plutôt d'une explication de son point de vue sur la nécessité pour son pays d'obtenir des financements pour continuer à faire face à l'armée russe.

Relations diplomatiques

Dans l'incertitude qui règne, et alors que la propagande pro-russe est très active sur le continent africain, des publications relaient également de fausses affirmations sur les relations diplomatiques de l'Ukraine.

"Le #Mali, Rompt ses relations avec l’Ukraine", affirmait le 3 mars un internaute sur X. Des propos illustrés par une vidéo dans laquelle on voit un homme en tenue militaire, appelé "A. MAIGA" selon sa plaque patronymique. Ces allégations circulent aussi sur Facebook, ici, ici ou encore ici.

Image
Captures d'écran sur X (à gauche) et sur Instagram (à droite), prises le 4 mars 2025. Croix orange et encadré vert ajoutés par l'AFP.

Mais l'affirmation manque de contexte : le Mali a déjà rompu ses relations diplomatiques avec l'Ukraine depuis plusieurs mois, comme le montre une recherche par mot-clé. Cette décision a été prise le 4 août 2024, après que le Mali a accusé l'Ukraine d'être impliquée dans une lourde défaite de l'armée malienne et du groupe Wagner fin juillet dans des combats contre des séparatistes et des jihadistes dans le nord du pays (archive).

Une recherche d'image inversée a permis à l'AFP de retrouver l'origine de la vidéo, publiée initialement sur le compte Instagram d'"Afrique résurrection", un média panafricaniste, le 5 août 2024, et où l'on voit le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement malien s'exprimer.

D'autres rumeurs anciennes liées à des inquiétudes sur les conséquences économiques du conflit pour les Français ont aussi ressurgi récemment, dont des propos assurant que le gouvernement français aurait décidé de piocher arbitrairement dans l'épargne des particuliers pour alimenter l'aide à l'Ukraine, allant jusqu'à encourager les internautes à retirer leur argent des banques françaises. Des allégations trompeuses déjà vérifiées en mars et en décembre 2024.

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter