Le président américain Donald Trump le 20 février 2025 à Washington. (AFP / Samuel Corum)

Zelensky "dictateur sans élections"? La vérification des principales critiques de Trump

Donald Trump a multiplié à la mi-février 2025 les attaques contre Volodymyr Zelensky, accusant le président ukrainien d'être un "dictateur sans élections", mettant en doute l'emploi de l'aide américaine à l'Ukraine, ou l'accusant d'avoir "commencé" la guerre. Retour sur ces déclarations, fausses, trompeuses ou non étayées selon les vérifications de l'AFP, révélatrices de tensions inédites entre Washington et Kiev.
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(COMBO) Le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 19 décembre 2024 à Bruxelles et le président américain Donald Trump le 10 février 2025 à Washington. (AFP / JOHN THYS, ANDREW CABALLERO-REYNOLDS)

Zelensky, "dictateur sans élections" avec "4% d'opinions favorables" ?

Donald Trump a qualifié le 19 février 2025 M. Zelensky de "dictateur sans élections", après avoir affirmé la veille que son homologue ukrainien ne bénéficiait que de "4% d'opinions favorables" en Ukraine (lien archivé). 

Le président américain n'a pas précisé d'où il tenait ce chiffre. Dans une déclaration aux médias, Volodymyr Zelensky a estimé que l'information provenait de représentants de Moscou. "Nous avons des preuves que ces chiffres sont discutés entre l'Amérique et la Russie," a-t-il déclaré.

Ce chiffre de 4% a été cité par certains médias russes, renvoyant vers un "sondage" informel réalisé via Telegram par le député ukrainien prorusse Oleksandre Doubinsky. Celui-ci a été sanctionné par Washington en 2021 pour son appartenance présumée à "un réseau d'influence étrangère lié à la Russie".

Selon un sondage réalisé ce mois-ci par téléphone par l'Institut international de la sociologie de Kiev (KIIS), reconnu comme indépendant, 57% des Ukrainiens interrogés disaient faire "complètement ou plutôt confiance" au président ukrainien.

Même si sa popularité a décliné - elle atteignait les 90% juste après l'invasion russe - ce résultat montre que le président ukrainien "garde sa légitimité", a estimé l'Institut KIIS (archive).

En le qualifiant de "dictateur sans élections", M. Trump renvoie aussi au fait que M. Zelensky, élu en mai 2019 pour cinq ans, a plusieurs fois exclu la tenue de nouvelles élections en temps de guerre. Celles-ci ne peuvent légalement se tenir tant que la loi martiale, votée le premier jour de l'invasion russe, est en vigueur.

Donald Trump reprend ainsi un argument du Kremlin, pour qui Volodymyr Zelensky a perdu sa légitimité faute de nouveau scrutin.

L'AFP a déjà vérifié en 2023 des publications trompeuses qui accusait le président ukrainien d'avoir usurpé le pouvoir. Celui-ci avait expliqué à la BBC que les élections ne pouvaient avoir lieu qu'en temps de paix. 

La guerre, "vous n'auriez jamais dû la commencer"

Lors d'un point presse en Floride le 18 février 2025, le président américain a aussi blâmé son homologue ukrainien pour l'invasion de son pays par les troupes russes le 24 février 2022. La Russie a depuis unilatéralement annexé quatre régions de l'est et du sud de l'Ukraine, et occupe environ 20% de son territoire.

"Vous n'auriez jamais dû la commencer", a fustigé M. Trump, en réponse aux protestations de Kiev après les premières discussions russo-américaines en Arabie Saoudite organisées sans représentant de Kiev.

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(COMBO) Le président américain Donald Trump le 12 février 2025 et le président russe Vladimir Poutine à Moscou le 17 janvier 2025. (AFP / SAUL LOEB, Evgenia Novozhenina)

Donald Trump se fait là encore l'écho du Kremlin. Le président russe Vladimir Poutine a déclaré en février 2024, dans une interview avec l'animateur conservateur Tucker Carlson: "Ce sont eux qui ont commencé la guerre en 2014".

La rupture entre l'Ukraine et la Russie remonte à février 2014, lorsque le président prorusse Viktor Ianoukovitch fuit en Russie dans la foulée de la révolte proeuropéenne du Maïdan. Des forces spéciales russes opérant incognito prennent le contrôle de la Crimée ukrainienne quelques jours plus tard, avant une annexion formelle non reconnue par la majorité de la communauté internationale.

Le conflit s'étend ensuite dans le Donbass où Moscou fomente un conflit armé contre Kiev à l'aide des forces séparatistes prorusses. La Russie masse ses forces à la frontière et les premiers chars entrent en Ukraine le 24 février 2022, début de l'invasion russe à grande échelle.

L'ex-vice-président américain républicain Mike Pence n'a pas hésité à contredire son ancien patron sur ce point. 

"Monsieur le président,l'Ukraine n'a pas 'commencé' cette guerre. La Russie a lancé une invasion non provoquée et brutale, faisant des centaines de milliers de morts. La route vers la paix doit être construite sur la vérité," a-t-il écrit sur X (archive).

"350 milliards de dollars" d'aide américaine ?

Les Etats-Unis ont dépensé "350 milliards de dollars pour s'engager dans une guerre qui ne pouvait pas être gagnée", a répété le président américain sur son réseau TruthSocial (lien archivé) le 19 février 2025.

Il avait déjà cité ce chiffre la veille, en affirmant que Volodymyr Zelensky lui avait déclaré "ne pas savoir où est la moitié de l'argent que nous lui avons donné".

Cette affirmation semble venir d'une interprétation trompeuse de déclarations de M. Zelensky à l'agence américaine Associated Press le 1er février: le président ukrainien avait alors affirmé que l'Ukraine n'avait reçu que 75 des 177 milliards de dollars d'aide votée par le Congrès américain, précisant que l'aide était arrivée sous forme d'armement, "pas d'argent".

Selon des informations publiées sur le site du Département d'Etat américain le 20 janvier, jour de l'investiture de Donald Trump, les Etats-Unis ont fourni, depuis le 24 février 2022, "65,9 milliards de dollars en assistance militaire" à l'Ukraine (lien archivé). 

L'institut économique IfW Kiel chiffre l'aide américaine globale à l'Ukraine - financière, humanitaire et militaire - à 114,2 milliards d'euros (près de 120 milliards de dollars au cours actuel), de début 2022 à fin 2024, dont 64 milliards d'euros en assistance militaire (lien archivé).

Les Etats-Unis plus généreux que l'Europe ?

Donald Trump a également affirmé que l'Europe n'avait donné à l'Ukraine que "100 milliards", "un pourcentage bien inférieur" à celui des Etats-Unis.

Selon les données de l'Institut Kiel, "les donateurs européens ont été la principale source d'aide à l'Ukraine depuis 2022, notamment en aide financière et humanitaire".

Si l'Europe a été plus lente à fournir des armements, elle a alloué jusqu'à fin 2024 au total "70 milliards d'euros en aide financière et humanitaire, ainsi que 62 milliards d'euros en aide militaire," chiffre l'Institut.

Une guerre qui a fait des "millions de morts" ?

Il n'y a aucun bilan précis du conflit car aucun des belligérants ne donne de chiffres vérifiables. 

Les dernières estimations rassemblées par l'AFP restent très en-deçà des "millions de personnes tuées, y compris des soldats", cités par Donald Trump.  

Volodymyr Zelensky a affirmé mi-février à la chaîne américaine NBC que plus de 46.000 de soldats ukrainiens avaient été tués. Le correspondant de guerre ukrainien Iourii Boutoussov, citant des sources militaires, a parlé en décembre 2024 de 70.000 morts. 

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Des soldats ukrainiens de la 24e brigade mécanisée dans la région de Donetsk le 16 février 2025. (AFP / Genya SAVILOV)

De son côté, la Russie n'a pas communiqué sur ses pertes depuis l'automne 2022, lorsqu'elle avait reconnu moins de 6.000 soldats tués.

Le site indépendant Mediazona et la BBC, examinant de multiples sources publiques dont des faire-parts de décès, ont indiqué avoir identifié plus de 90.000 soldats russes tués (lien archivé). 

En décembre 2024, Lloyd Austin, alors secrétaire américain à la Défense, avait parlé de 700.000 militaires russes morts ou blessés depuis février 2022. S'ajouteraient à cela des soldats nord-coréens: 1.100 selon Séoul, 3.000 selon Kiev.

La mission de surveillance des droits humains de l'ONU en Ukraine (HRMMU) comptabilisait en janvier 2025 12.600 civils tués et quelque 29.000 autres blessés côté ukrainien (lien archivé). En soulignant que le bilan réel est "probablement bien, bien plus élevé". 

Le seul siège de Marioupol en 2022 a fait entre 20.000 à 80.000 tués dans cette ville aujourd'hui sous contrôle russe, selon plusieurs responsables ukrainiens.

Tous nos fact-checks sur la guerre en Ukraine sont à retrouver ici.

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