( AFP / OLIVER BUNIC)

Plus de décès liés au froid qu'à la chaleur : attention à ces publications qui minimisent le réchauffement climatique

Malgré des records de chaleur récurrents, des internautes minimisent les dangers du réchauffement climatique et des canicules en se référant à une étude de la revue scientifique The Lancet. Mais ils l'interprètent de façon trompeuse. En effet, si celle-ci montre que des températures très froides causent davantage de morts que des températures chaudes, elle montre aussi une diminution de la part des décès liés au froid depuis 20 ans et une hausse de ceux liés à la chaleur. Les quelque 70 scientifiques auteurs de l'étude espèrent d'ailleurs que leurs travaux seront utiles pour s'adapter au dérèglement climatique qui selon eux va bel et bien "augmenter la mortalité" à long terme.

Il existe un consensus scientifique sur le réchauffement climatique et son origine humaine, c’est-à-dire un avis partagé par l’immense majorité des scientifiques sur la base des résultats de milliers d’études. 

Des internautes dénoncent toutefois sur X et Facebook "la supercherie du réchauffement climatique qui tue", un tableau issu d'une étude scientifique de la prestigieuse revue médicale The Lancet à l'appui. 

"Ainsi on apprend que notre vieille Europe du nord, il y a 72 morts de froid par 100.000 habitants contre 15 qui sont morts de chaud [...] l'Afrique du Nord : 57 morts de froid toujours pour 100.000 habitants contre 3 morts de chaud. L'Afrique sub-saharienne ? 132 morts de froid contre 2 de chaud. L'Asie du Sud ??? 54 morts de froid contre 7 morts de chaud", énumèrent ces publications reproduisant toutes mot pour mot le même message accompagné du même tableau.

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Capture d'écran, réalisée le 21 juillet 2024, d'une publication sur X
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Capture d'écran, réalisée le 21 juillet 2024, d'une publication sur Facebook

Des publications circulent également en anglais, citant la même étude pour affirmer que "chaque année le réchauffement sauve 166.000 vies" dans le monde.

Des internautes avaient déjà fait une mauvaise interprétation de ces travaux scientifiques à l'été 2023, comme l'AFP l'avait alors montré dans un article de vérification en anglais.

Le tableau et les chiffres cités dans les publications en français cet été 2024 sont bien authentiques, issus d'une étude parue en juillet 2021 dans The Lancet (archive). Mais ils interprètent mal ses conclusions et occultent certains de ses passages qui évoquent les enjeux du réchauffement climatique pour les sociétés humaines. 

Se focaliser uniquement sur les morts prématurées liées à l'exposition au froid ou à la chaleur, c'est ignorer les effets à long terme du dérèglement climatiques sur les événements extrêmes qu'il amplifie et les décès qui en découlent, ont en outre expliqué des scientifiques interrogés par l'AFP.

"Le changement climatique affecte non seulement la mortalité liée aux températures mais il a aussi d'autres impacts directs et indirects", a souligné auprès de l'AFP le 25 juillet 2024 Yuming Guo, chercheur en santé environnementale et biostatisticien au Monash Data Futures Institute, en Australie, qui a travaillé dans le cadre de cette étude internationale avec près de 70 autres scientifiques (archive).

"Evidemment, le changement climatique a de graves impacts sur la santé humaine", a-t-il ajouté, rappelant que les inondations, les sécheresses et la pollution de l'air, des facteurs très sensibles au réchauffement du climat, accroissent les risques de mortalité pour certaines populations.

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Des pompiers évacuent des habitants de Bouzonville, en Moselle, frappée par des inondations le 17 mai 2024 (AFP / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN)

Tendance à la hausse des décès liés à la chaleur

L'étude publiée dans The Lancet recense dans 750 lieux situés dans 43 pays les morts dues à des températures "non optimales" entre 2000 et 2019 et conclut que la majeure partie de la surmortalité était liée davantage au froid qu'au chaud.

Sur cette période, un total de 5.083.173 décès par an ont été associés à des températures trop froides ou trop chaudes, dont 4.594.098 liés au froid et 489.075 liés à la chaleur.

Cette mortalité varie selon les régions du monde, la moitié des décès étant recensée en Asie (2.617.322) tandis que l'Europe de l'Est enregistre le taux de décès liés à la chaleur le plus élevé et l'Afrique subsaharienne le taux le plus élevé lié au froid.

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Capture d'écran, réalisée le 31 juillet 2024, du tableau de l'étude parue dans The Lancet

L'étude souligne cependant que même si la surmortalité liée au froid reste supérieure à celle liée à la chaleur, en 20 ans, sa part a reculé de 0,51 point de pourcentage tandis que celle liée à la chaleur augmentait de 0,21 point.

"La température mondiale moyenne a augmenté de 0,26°C par décennie sur cette période, avec en parallèle une importante diminution des morts liées au froid et une augmentation modérée des décès liés à la chaleur", écrivent les auteurs. A court terme, "les résultats indiquent que le réchauffement mondial pourrait réduire légèrement le [solde] net des décès liés aux températures, bien que, à long terme, le changement climatique devrait augmenter le fardeau de la mortalité", ajoutent-ils.

"De 2000 à 2019, la mortalité liée au froid a baissé tandis que la mortalité liée à la chaleur a augmenté, provoquant une nette baisse dans les décès totaux", a confirmé Yuming Guo le 25 juillet 2024.

Un point qui n'est pas mentionné par les auteurs des publications virales que nous étudions.

Or, les quelque 70 chercheurs qui ont travaillé à cette étude ont montré qu'"il y aura une nette hausse des décès liés aux températures dans la majeure partie des régions du monde" en raison du réchauffement climatique, avait souligné Yuming Guo auprès de l'AFP à l'été 2023, alors que circulaient déjà des publications trompeuses en anglais. 

Les auteurs de l'étude indiquent d'ailleurs espérer que leurs conclusions pourront "bénéficier aux communautés internationales, nationales et locales pour développer leur préparation et des stratégies de prévention afin de réduire immédiatement les impacts de la météo ainsi que dans le cadre des scénarios de changement climatique".

D'autres études ont montré que des vagues de chaleur pouvaient provoquer une augmentation des décès et de la propagation de maladies (archive).

L'Organisation mondiale pour la santé (OMS) rappelle que "la mortalité liée à la chaleur chez les personnes de plus de 65 ans a augmenté d'environ 85% entre 2000-2004 et 2017-2021" et que l'été 2022 a été marqué en Europe par plus de 61.000 décès excédentaires liés à la chaleur (archive). 

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Un patient souffrant de la chaleur hospitalisé dans un hôpital public de Varanasi, dans le nord-est de l'Inde, le 30 mai 2024, alors que le pays était frappé par une canicule aux qui propulsé les températures à des niveaux record (AFP / NIHARIKA KULKARNI)

Nombreux facteurs

Pour Yumoing Guo, les publications trompeuses "utilisent uniquement la température et la mortalité pour remettre en cause les impacts du changement climatique", mais cela n'a "pas de sens" car il faut "considérer ces impacts dans leur ensemble".

Si le réchauffement climatique peut permettre d'éviter des décès à court terme, "la chose est bien plus compliquée qu'il n'y paraît dans une étude", abonde Lisa Alexander, professeur de climatologie à l'Université New South Wales en Australie (archive). "La chaleur elle-même est souvent confondue avec d'autres facteurs - l'état de santé [général], la statut socio-économique, l'âge, etc...", a-t-elle relevé le 24 juillet 2024.

"Les risques liés au climat et aux températures extrêmes varient significativement" selon les régions et dépendent de nombreux facteurs socio-économiques, confirme Elfatih Eltahir, professeur au Centre sur le changement climatique du MIT (archive). "Des communautés différentes rencontrent des aléas climatiques différents et montrent des niveaux différents de vulnérabilité", a-t-il expliqué le 23 juillet 2024.

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Une cabane occupée par des sans-abri à Berlin le 8 février 2021 (AFP / DAVID GANNON)

"Il faut être extrêmement prudent face aux comparaisons simples des morts liées à la chaleur et de celles liées au froid en raison de la manière dont nos corps réagissent à un stress provoqué par le froid et le chaud", avait déjà souligné Nishad Jayasundara, professeur assistant en toxicologie environnementale au Duke Global Health Institute de Durham, en Caroline du Nord, à l'été 2023 (archive). "On doit regarder le contexte dans lequel cette mortalité intervient et prendre en compte les comorbidités, l'âge et les facteurs socio-économiques".

Données fiables difficiles à récolter

Obtenir des données de santé liée à la chaleur fiables est en outre très difficile. "Les décès liés à la chaleur sont généralement sous-recensés partout", souligne Caradee Wright, du South African Medical Research Council, et en particulier dans beaucoup de pays pauvres ou au revenu moyen peu élevé "où la chaleur est un problème" (archive).

Un accident vasculaire cérébral provoqué par la chaleur peut par exemple être diagnostiqué comme lié à des facteurs sous-jacents tels que le diabète ou des problèmes respiratoires, expliquait-elle à l'AFP en 2023.

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Un berger près du village d'Ouled Essi Masseoud, au sud de Casablanca, au Maroc, le 6 mars 2024 (AFP / Fadel SENNA)

L'AFP a déjà vérifié de nombreuses allégations trompeuses ou fausses sur le changement climatique (1, 2, 34).

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