Des records de températures dans différentes régions du monde ne remettent pas en cause l'existence du réchauffement climatique

Le fait que la planète se réchauffe à un rythme sans précédent à cause des émissions de CO2 causées par les activités humaines fait l'objet d'un consensus scientifique. Cependant, des messages sur les réseaux sociaux depuis fin juin prétendant que le réchauffement climatique est une invention, diffusant en guise de preuves montages associant des titres d'articles, qui indiquent chacun qu'une zone spécifique du monde se réchauffe "plus rapidement" que le reste du monde. Mais ces titres ne se contredisent pas : les données qu'ils citent comparent les températures régionales à la moyenne mondiale. Or, il est possible que plusieurs zones du monde se réchauffent plus vite qu'une moyenne. Et comme l'ont expliqué des experts à l'AFP, les zones terrestres se réchauffent plus rapidement que les océans, ce qui signifie que l'augmentation de la température dans de nombreuses régions terrestres se situe au-dessus la moyenne mondiale, qui prend en compte à la fois les terres et les océans.

"C'est officiel chaque pays a maintenant ses propres degrés de mesure de température...", raille une publication Facebook partagée fin juin, qui diffuse une capture d'écran montrant des titres de divers médias qui mentionnent que diverses régions du monde - le Canada, l'Europe, la Russie, l'Australie - se réchauffent "plus vite" que le reste du monde, sous-entendant que le réchauffement climatique serait une invention. 

"Qui va gagner la course ?", ironise aussi une publication X qui a collecté plus de 1.200 partages depuis le 27 juin, dans les commentaires de laquelle figurent de nombreuses remises en question de l'existence du réchauffement climatique.

D'autres posts diffusant la même image, avec des légendes prétendant que "le même record" aurait été "battu par tout le monde", voire parlent d'"arnaque" ou de "propagande" climatique, ont été diffusés sur X et Threads depuis fin juin.

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Capture d'écran prise le 22/07/2024 sur X
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Capture d'écran prise le 22/07/2024 sur Facebook

Le même type d'argumentation assurant que les principaux médias et les scientifiques se contredisent a été utilisé pour nier la réalité du changement climatique par des internautes d'autres pays, partageant des articles en différentes langues.

L'organisation allemande de vérification Correctiv avait par exemple fait état d'un cas similaire en Allemagne au début du mois de juillet, et l'équipe de l'AFP s'est penchée sur des publications en suédois suivant le même raisonnement, pourtant trompeur, et diffusant un montage fabriqué à partir de titres de médias en anglais.

En effet, si le fait que plusieurs régions se réchauffent "plus rapidement" peut sembler contradictoire à première vue, il convient néanmoins de considérer par rapport à quoi cette vitesse de réchauffement est comparée.

Or, dans le cas des articles partagés dans la capture d'écran en français, tous comparent des températures régionales à la moyenne mondiale, et non des températures d'une zone à l'autre.

Et il faut noter que la moyenne mondiale prend en compte à la fois l'augmentation de la température à la surface de la terre et des océans ; or les températures terrestres sont généralement plus élevées, ce qui explique que les régions terrestres soient généralement plus chaudes que la moyenne, comme l'ont rappelé plusieurs experts auprès de l'AFP.

Le sixième rapport (archivé ici) du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC), dont la synthèse a été publiée en 2023, constitue l'évaluation la plus complète des connaissances scientifiques sur le changement climatique à ce jour. Il conclut qu'il existe des preuves "sans équivoque" que l'action humaine est responsable du réchauffement du climat, en brûlant des combustibles fossiles (lien archivé ici).

Des titres comparant des températures régionales à des moyennes globales 

L'AFP a passé en revue les quatre articles visibles sur la capture d'écran, facilement retrouvables puisque les noms des titres et médias sont visibles. 

Dans les quatre cas, il est clairement précisé dans les articles - et pour certains même directement dans les titres qui figurent sur la capture d'écran - qu'ils font référence à des études qui comparent l'augmentation des températures dans certaines régions par rapport à la moyenne mondiale des températures : ils n'indiquent ainsi pas que ces régions se réchaufferaient plus rapidement les unes que les autres.

Plusieurs régions peuvent en toute logique se réchauffer plus vite qu'une valeur moyenne - aussi bien que plusieurs endroits peuvent se réchauffer plus lentement que ladite valeur moyenne.

Par ailleurs, les articles mis en avant ont été publiés à plusieurs années d'intervalle (le plus ancien en 2007 et le plus récent en 2023), rendant leur comparaison de toute façon peu pertinente.

Le premier est un article (lien archivé ici) publié en avril 2019 dans le média canadien L'actualité. Il indique que "le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste de la planète et ce réchauffement est 'irréversible'", citant un "rapport scientifique d'Environnement et Changement climatique Canada" (un ministère du gouvernement du Canada). Le communiqué de presse accompagnant ce dernier précise que "le climat du Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale".

Le deuxième (lien archivé ici), intitulé "L'Europe se réchauffe plus vite que le reste du monde", a été publié fin mai 2023 par le média L'ADN, qui cite comme source un rapport (archivé ici) du service européen sur le changement climatique Copernicus sur l'état du climat en 2022. L'article mentionne aussi que "les températures en Europe montent deux fois plus vite que la moyenne mondiale".

Le troisième (lien archivé ici) est un article publié par le journal canadien La Presse en décembre 2015, qui mentionne aussi que la Russie se "réchauffe 2,5 fois plus vite que la moyenne mondiale" citant des données du "ministère russe de l'Environnement".

Le quatrième article (lien archivé ici) est encore plus ancien : il a été publié en 2007 par le média suisse 20 Minutes. Son titre indique que "l'Australie se réchauffe plus vite que le reste du monde". Il cite des données du service australien de météorologie, dont l'un des représentants indique que : "les températures augmentent un peu plus vite en Australie que la moyenne mondiale".

Les terres se réchauffent plus vite que les océans 

Gustav Strandberg, climatologue et responsable de la recherche à l'Institut météorologique et hydrologique suédois (SMHI), a expliqué dans le 18 juillet 2024 à l'AFP que les données étudiées par les scientifiques montrent clairement que les zones terrestres se réchauffent plus rapidement que les océans, et l'Arctique est la région qui se réchauffe le plus rapidement.

"Puisque les zones terrestres se réchauffent plus rapidement que les océans, tous les pays peuvent affirmer que le réchauffement y est plus rapide que la moyenne générale - ou, le 'reste du monde' si l'on entend par là le monde entier et non une autre zone limitée", détaille-t-il.

"Les titres des articles sont donc corrects, même s'il peut effectivement paraître un peu étrange que tous indiquent que le réchauffement est plus rapide dans une région différente", développe le spécialiste.

Ces tendances sont par ailleurs illustrées par des cartes (archivées ici) tirées du rapport annuel 2023 sur le climat mondial de l'Administration nationale américaine des océans et de l'atmosphère (NOAA).

Cette dernière a souligné le 15 juillet auprès de l'AFP que "les tendances à long terme (depuis 1901) montrent que les terres, en général, se réchauffent à un rythme plus rapide que les océans et que les latitudes moyennes et élevées de l'hémisphère nord se réchauffent le plus rapidement".

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Capture d'écran d'une carte de la NOAA montrant les températures des terres et océans pour la période 1901–2023

Les tendances sur les 30 dernières années montrent en effet que le réchauffement le plus important se produit dans les hautes latitudes de l'hémisphère nord, a ajouté la NOAA, comme le montre le graphique ci-dessous.

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Capture d'écran d'une carte de la NOAA montrant les températures des terres et océans pour la période 1901–2023

Le sixième rapport du GIEC mentionne aussi la différence de vitesse de réchauffement entre les terres et les océans. "La température à la surface du globe était de 1,09 [0,95 à 1,20] °C plus élevée en 2011-2020 qu'en 1850-1900, avec des augmentations plus importantes sur les terres (1,59 [1,34 à 1,83] °C) que sur les océans (0,88 [0,68 à 1,01] °C)", est-il ainsi indiqué dans son résumé à l'intention des décideurs, publié en 2023 (archivé ici).

Cela s'explique par des différences de propriétés liées à l'humidité et à la captation de la température entre les terres et les océans, avait déjà expliqué à l'AFP Jouni Räisänen, maître de conférences à l'Institut de recherche sur l'atmosphère et le système terrestre de l'université d'Helsinki, en mai 2024 auprès de l'AFP.

Il avait expliqué que les zones terrestres se sont plus réchauffées que les océans principalement à cause d'un phénomène lié à la différence d'humidité entre les surfaces, du moins à des latitudes basses. Une augmentation de l'évaporation permet de limiter l'augmentation de la température à la surface des océans.

Une grande partie de l'évaporation sur terre se produit à travers les stomates des plantes (des pores ou ouvertures microscopiques sur les feuilles et les tiges des plantes par lesquels les plantes absorbent le CO2) plutôt que directement à partir de la surface de la terre.

Mais de nombreuses régions terrestres sont parfois si sèches que le manque d'eau limite l'évaporation.

La diminution générale de l'évaporation dans les zones terrestres réduit l'humidité relative, ce qui entraîne aussi une diminution du nombre de nuages, selon le climatologue. Cela permet au rayonnement solaire de passer plus facilement, ce qui mène à un réchauffement supplémentaire dans les régions très ensoleillées.

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L'océan atlantique depuis Bidart, dans le sud-ouest de la France, le 12 mars 2022 (AFP / Olivier MORIN)

Les activités humaines responsables du changement climatique

Il existe aujourd'hui un consensus scientifique établissant la responsabilité des humains dans le réchauffement. Pourtant, la désinformation sur le climat est récurrente sur les réseaux sociaux, c'est pourquoi l'AFP y dédie régulièrement des articles et a publié des fiches récapitulatives sur certains arguments trompeurs souvent brandis.

Les rapports publiés successivement par le GIEC font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale sur le climat en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d'étude du climat se perfectionnent.

Dès sa première vague de rapports (lien archivé ici), en 1990-1992, le GIEC se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l'effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre".

Les rapports suivants n'ont cessé depuis de le confirmer et le préciser. Le GIEC en est à son sixième rapport (publié en août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d'emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".

La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines. Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

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Anomalies moyennes de température sur les 12 mois précédents, chaque mois depuis 1940, par rapport à la période préindustrielle, estimée par Copernicus C3S/ECMWF (AFP / Nalini LEPETIT-CHELLA, Hervé BOUILLY)

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