Un panneau de signalisation indiquant "La route peut être inondée" tombé au sol près de Guadalupe river à Hunt (Etats-Unis) le 8 juillet 2025, après de graves inondations. (AFP / RONALDO SCHEMIDT)

Attention à ces rumeurs qui lient l'ensemencement des nuages aux récentes inondations dans le Texas

Alors que des inondations dévastatrices ont causé la mort de plus de 120 personnes dans l'État américain du Texas début juillet 2025, des rumeurs ont proliféré en ligne, mettant en cause une prétendue opération locale d'ensemencement de nuages qui aurait déclenché les pluies torrentielles. Mais aucun élément scientifique ne permet de soutenir ces allégations, selon les experts interrogés par l'AFP. Ces récentes crues éclair ont résulté de conditions atmosphériques et climatiques spécifiques, et le fait qu'elles soient survenues de nuit un jour férié aux États-Unis ont pu contribuer à en aggraver les conséquences, selon les spécialistes.

Après que des inondations ont ravagé le centre du Texas le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, causant plus de 120 morts dont de nombreux enfants, des affirmations trompeuses en lien avec cette actualité ont envahi les réseaux sociaux (liens archivés ici et ici).

De nombreux internautes ont ainsi accusé - sans apporter de preuve scientifique - l'ensemencement des nuages (lien archivé ici). Cette technique consistant à introduire de minuscules particules (souvent d'iodure d'argent) dans le ciel pour induire la pluie sur de petites zones géographiques a gagné en popularité ces dernières années dans le monde entier comme moyen de lutter contre la sécheresse et d'augmenter les réserves locales d'eau.

"Les agences fédérales ont payé une entreprise privée d'ensemencement de nuages pour pulvériser le ciel du Texas, deux jours seulement avant des inondations meurtrières qui ont fait plus de 60 morts. Aucun commentaire public. Aucune surveillance. Aucune responsabilité. Appelez ça une modification du temps. Appelez ça une conspiration. Mais c'est bel et bien le cas", assure par exemple un post sur X ayant récolté près de 800 partages depuis le 7 juillet.

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Capture d'écran prise sur X le 15/07/2025, croix orange ajoutée par l'AFP.

Des dizaines d'autres relayant des affirmations semblables, assurant ou sous-entendant que l'ensemencement des nuages aurait contribué aux inondations au Texas, ont circulé sur la plateforme, partagés des centaines voire des milliers de fois chacun (1, 2, 3, 4). Des affirmations similaires ont été partagées sur Facebook, et ont largement circulé en anglais.

Des élus américains comme la républicaine Marjorie Taylor Greene, déjà épinglée par l'équipe anglophone de l'AFP pour avoir diffusé des rumeurs infondées à la suite d'autres catastrophes naturelles, ont ainsi assuré, sans preuves scientifiques, que l'ensemencement des nuages serait lié aux inondations.

Mais bien que l'ensemencement des nuages soit devenu un sujet récurrent de désinformation, les scientifiques assurent qu'à ce stade, cette technique ne peut pas créer des événements météorologiques de l'ampleur des inondations au Texas, comme nous allons le voir.

Des vidéos sorties de leur contexte

De nombreux posts trompeurs ont utilisé des propos du fondateur d'une entreprise d'ensemencement des nuages opérant dans la région, Rainmaker Technology Corp, Augustus Doricko, qui a déclaré que son entreprise avait mené une opération d'ensemencement de nuages dans la région le 2 juillet, soit deux jours avant le début des inondations (liens archivés ici et ici).

Mais contrairement à ce que soutiennent certaines publications, Augustus Doricko a précisément assuré auprès de médias américains que ce n'est pas cette opération qui a déclenché les précipitations d'ampleur, qu'elle avait été arrêtée plus d'un jour avant les inondations, et déploré par la suite avoir été l'objet de menaces liées à des rumeurs infondées sur l'implication de son entreprise dans les crues éclair (lien archivé ici et ici). 

L'AFP a contacté M. Doricko au sujet de ces affirmations, mais n'avait reçu aucune réponse à la publication de cet article.

Des messages en français (1, 2, 3, 4, 5) ont aussi relayé une partie d'une émission de NBC News, assurant que la chaîne aurait "confirmé que des opérations d'ensemencement des nuages ont eu lieu deux jours avant les inondations catastrophiques au Texas", et qu'Augustus Doricko aurait "nié toute responsabilité dans la tragédie", sous-entendant que les deux seraient liés.

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Capture d'écran prise sur X le 15/07/2025, croix orange ajoutée par l'AFP.

Mais ces publications font une interprétation trompeuse de cet extrait d'une émission du 8 juillet, dans lequel le présentateur explique au contraire clairement que les rumeurs liant l'ensemencement des nuages aux crues éclair du 4 juillet sont infondées, et ne reposent sur aucun élément scientifiquement prouvé (lien archivé ici).

Le présentateur explique que rien n'indique "que les deux événements [les crues éclair et l'ensemencement des nuages, NDLR] sont liés". Puis, un météorologue de la chaîne explique ce qu'est l'ensemencement des nuages, et confirme que ce dernier ne produit que des "petites quantités de pluie", "certainement pas les quantités de pluie qu'on a vu au Texas la semaine dernière" (lien archivé ici).

Des extraits d'émissions vérifiant des rumeurs infondées circulant en ligne sont régulièrement tronqués ou sortis de leur contexte à dessein par des internautes pour leur faire dire l'inverse de ce qu'elles expliquent. 

Une technique encadrée

L'ensemencement des nuages, utilisé pour la première fois en 1946 à New York pour lutter contre la sécheresse, consiste à y introduire, par avion ou depuis le sol, des composés (sels, iodure d'argent...) qui vont agglomérer la vapeur d'eau présente dans le nuage pour former des gouttelettes d'eau gelée qui finissent par tomber au sol sous forme de pluie ou de neige (lien archivé ici).

On trouve dans l'atmosphère des noyaux de condensation, des particules sur lesquelles les molécules de vapeur d'eau se condensent et s'accumulent. L'ensemencement des nuages vise à augmenter ce processus en plaçant des particules plus grosses à la base des nuages, comme déjà détaillé dans cet article de l'AFP d'avril 2024 (lien archivé ici).

En 2022, au Texas, il existait sept projets d'ensemencement des nuages qui couvraient environ 31 millions d'acres (12,5 millions d'hectares), soit l'équivalent d'un sixième de la superficie de l'État, selon le Texas Department of Licensing and Regulation (lien archivé ici).

Mais "l'ensemencement des nuages ne peut pas déclencher des inondations d'une ampleur comme celles qui ont récemment eu lieu au Texas", a expliqué Emily Yeh, professeure à l'université du Colorado à Boulder, à l'AFP le 10 juillet (lien archivé ici).

Les estimations générales sur la quantité d'augmentation de la quantité de pluie possible se situent dans une fourchette d'environ 10%, selon la spécialiste. Et tous les programmes ont des exigences strictes en termes de quantités et de limitations, a-t-elle ajouté, précisant qu'"aucun programme opérationnel aujourd'hui" ne pourrait générer de telles précipitations.

Marya Al Homoud, chercheuse travaillant sur l'ensemencement des nuages au Almobdioon Center for Studies and Research en Arabie Saoudite, a confirmé le 9 juillet que "l'ensemencement des nuages ne peut pas être appliqué pendant des conditions météorologiques extrêmes (telles que des orages entraînant des inondations), car cette technologie est appliquée dans des conditions spécifiques et sûres" (lien archivé ici).

La scientifique, qui a notamment étudié l'efficacité de l'ensemencement des nuages sur le comté de Tom Green au Texas, a déclaré qu'"aucune preuve scientifique" existant actuellement ne pourrait permettre de lier cette méthode aux inondations (lien archivé ici).

"Les inondations ont plusieurs causes, dont les conditions climatiques, atmosphériques et météorologiques, ainsi que les conditions environnementales", a-t-elle précisé.

Des conditions géographiques et atmosphériques en cause 

Les inondations du Texas ont été particulièrement dévastatrices du fait d'une combinaison de plusieurs paramètres, selon des experts interrogés par l'AFP.

Outre la géographie de la région, propice aux crues éclair et des conditions atmosphériques particulières, les inondations ont été encore plus meurtrières parce qu'elles sont survenues de nuit, lors d'un week-end précédé par un jour férié.

"La région des Texas Hill Country [la plus touchée, NDLR] est connue de façon informelle sous le nom d'allée des inondations éclair' ['flash flood alley' en anglais, NDLR] parce que le terrain vallonné et le type de sol y favorisent la formation d'inondations éclair dans les canaux fluviaux", a expliqué le météorologue Alan Gerard, ancien employé de l'Administration nationale océanique et atmosphérique (NOAA), à l'AFP le 9 juillet (lien archivé ici).

"Les inondations de vendredi se sont produites en pleine nuit, lorsque les gens sont le moins susceptibles de recevoir et de réagir aux alertes, et le long d'un fleuve bordé par de nombreux campings et centres de villégiature, lors du 4 juillet [la fête nationale américaine, NDLR], alors qu'une grande partie de ces lieux étaient bondés". C'est pourquoi "ces crues éclair catastrophiques ont vraiment constitué le pire scénario possible du point de vue météorologique et sociétal", pour le spécialiste.

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Présentation des facteurs pouvant mener à des crues éclair dévastatrices (AFP / Jonathan WALTER, Christophe THALABOT)

Par ailleurs, le réchauffement climatique mène à une atmosphère plus chaude, notamment au Texas, ce qui retient plus d'humidité, augmentant la probabilité de fortes averses, comme détaillé sur le site du NOAA (lien archivé ici). 

Une étude préliminaire réalisée par ClimaMeter, une plateforme à but non lucratif créée par des chercheurs du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement qui offre des aperçus quasi en temps réel sur les liens potentiels entre les événements météorologiques extrêmes et le changement climatique, a conclu que les conditions météorologiques précédant les inondations au Texas, qui ont engendré plus de deux fois la moyenne mensuelle de précipitations en une seule journée, ne pouvaient pas être expliquées uniquement par la variabilité naturelle (liens archivés ici et ici).

Ces recherches ont comparé les catastrophes naturelles similaires précédentes survenues dans la région, et ont conclu que les récentes inondations au Texas constituaient un "événement météorologique très exceptionnel" qui "pourrait être dû au changement climatique causé par l'Homme, associé à la variabilité naturelle".

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Une équipe de secouristes recherche des personnes le long de la rivière Guadalupe, près d'un bâtiment endommagé à Camp Mystic à Hunt, au Texas, le 7 juillet 2025, après de graves inondations. (AFP / RONALDO SCHEMIDT)

Les autorités texanes font face à de nombreuses questions sur leur gestion de la crise et le fonctionnement du système d'alerte depuis les inondations, alors qu'ont été rapportés sur des retards dans les premières alertes qui auraient pu sauver des vies (lien archivé ici).

Le National Weather Service, tout comme d'autres agences fédérales américaines, a subi des coupes importantes de personnel et de budget sous l'administration du président américain Donald Trump (lien archivé ici).

Ces dernières ont été pointées du doigt comme potentiels éléments possiblement aggravateurs de la situation pendant les inondations, mais des experts estiment que si du personnel clé a pu manquer pour faire le relais d'informations locales, les météorologues du NWS ont été en mesure de prévoir correctement les inondations malgré les contraintes (liens archivés ici et ici).

L'AFP a déjà démystifié des théories du complot sur l'ensemencement des nuages comme ici ou , et vérifie régulièrement des affirmations liées au climat, consultables ici.

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