
Non, les cartes météo des chaînes TV ne sont pas "rougies" pour exagérer le réchauffement climatique
- Publié le 27 juin 2025 à 13:07
- Lecture : 9 min
- Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
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Les températures caniculaires sur une grande partie de la France mi-juin 2025 ont été accompagnées d'un regain de publications virales dénonçant une supposée "manipulation médiatique" autour du réchauffement climatique (archive). De nombreux et internautes et certaines personnalités accusent les chaînes de télévision d'exagérer la situation à l'aide des cartes diffusées dans leurs bulletins météo quotidiens, en les faisant soi-disant apparaître beaucoup "plus rouges" qu'il y a quelques années pour de mêmes niveaux de températures (1, 2, 3).
Ces accusations visent à minimiser le réchauffement climatique et la responsabilité de l'action humaine, pourtant établis scientifiquement (archive). Elles sont récurrentes chaque été depuis quelques années sur les réseaux sociaux : l'AFP en a déjà vérifié plusieurs (1, 2, 3, 4, 5).
"Chaque année la même constatation : pour les mêmes températures, les couleurs s'assombrissent d'une année sur l'autre", a ainsi accusé Stéphane Vojetta, député macroniste des Français de l'étranger, le 18 juin 2025 sur X, dans un tweet en soutien à Stéphane Hermel, journaliste sportif qui avait un peu plus tôt déploré sur RMC que pour 23 degrés à Lille "on est rouge-brun" alors qu'"il y a vingt ans ce n'étaient pas ces couleurs-là".
Tromperies variées
Certains utilisateurs des réseaux sociaux relaient, eux, une carte du point météo d'Antenne 2 (devenue France 2 depuis) du 29 juillet 1983 pour affirmer que "les températures étaient plus chaudes qu'en 2024 mais les cartes n'étaient pas peintes en rouge écarlate !". On retrouve certes cette carte à 27'10 dans la vidéo du JT de ce 29 juillet 1983 disponible sur le site de l'Institut national de l'audiovisuel (Ina - archive).

Mais les publications qui la relaient avec ces commentaires sont trompeuses : elles évoquent une carte datant d'il y a plus de 40 ans, lorsque les cartes météo faisaient apparaître les seules températures, sans nuances de couleurs. Rien à voir avec les cartes actuelles pour lesquelles, nous le verrons ensuite, des nuanciers sont utilisés par les chaînes télé pour représenter les écarts de températures à la hausse ou à la baisse par rapport aux moyennes de saison.
En 1983 "les cartes étaient magnétiques, le fond de carte était le même tout au long de l'année, et sa même couleur était donc neutre peu importe la saison. Les températures étaient indiquées grâce à des magnets", a précisé France 2 à l'AFP le 26 juin 2025.
D'autres internautes utilisent toutefois des cartes plus récentes pour tenter d'étayer leur discours.
L'un d'eux assure dans une vidéo sur Tiktok qu'"avant […] même à 41 c'était orange foncé. Là maintenant, au-dessus de 30 degrés, on est en zone rouge, c'est la canicule, on va tous mourir. C'est du n'importe quoi", y lance-t-il en comparant deux cartes : celle de gauche montre la présentatrice et cheffe du service météo de TF1 Evelyne Dhéliat détaillant une carte aux nuances de jaune à rouge-orangé d'ouest en est ; celle de droite montre une France quasiment toute rouge pour des températures de 28 à 32 degrés.
Publiée sur TikTok le 18 juin 2025, cette vidéo avait été partagée près de 13.000 fois quatre jours plus tard.

Cependant, ce montage est trompeur et les allégations qui l'accompagnent fausses.
L'auteur de la vidéo assure que la carte de gauche est celle de "la météo d'il y a dix-vingt ans". Mais une recherche d'image inversée permet de se rendre compte que cette capture d'écran avec Evelyne Dhéliat montre en fait un bulletin météo fictif pour août 2050 qu'elle avait présenté en 2014 pour alerter sur le réchauffement climatique. Il avait été élaboré avec des projections de Météo France. On le retrouve lui aussi sur le site de l'Ina (archive).

La carte de droite est, elle, une carte de BFMTV, nous a confirmé la chaîne d'information en continu le 26 juin 2025.
Enfin, certains utilisateurs vigilants des réseaux sociaux ont remarqué que des internautes comparent des cartes du matin avec des cartes de l'après-midi, juxtaposant dans leur publication des cartes dont les couleurs, similaires, représentent des écarts par rapport aux normales de saison, pour des niveaux de températures bien différents (archive).
Normales de saison
Comme l'ont déjà expliqué nombre d'experts à l'AFP lors de précédents articles vérifications sur ce sujet, il n'est pas pertinent de comparer des bulletins météo aux codes couleur différents selon les chaînes de télévision, datant parfois de différentes périodes de l'année et d'années séparées par plusieurs décennies.
Les clés de lecture ont en effet évolué : certaines chaînes télé cherchent par exemple aujourd'hui à mettre en avant des écarts avec les normales de saison, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ou trente ans pour certaines d'entre elles.
Les "normales de saison" correspondent plus précisément aux "normales climatiques", qui servent à analyser les événements climatiques en temps réel. Les normales considérées comme référence actuellement ont été calculées sur la période 1991-2020, explique Météo France sur son site (archive). Or, étant calculées tous les dix ans (selon les règles de l'Organisation météorologique mondiale), avec le réchauffement climatique, les cartes météo présentées à la télévision sont naturellement amenées à rougir.
En France, le réchauffement climatique est tangible. Le printemps 2025 par exemple a été le troisième plus chaud "depuis le début des mesures en 1900", avec une "anomalie de +1,1°C par rapport à la normale, ex æquo avec les printemps 2022 et 2007, derrière 2011 (+1,5°C) et 2020 (+1,3°C)", a souligné Météo France dans son dernier bilan (archive).

"Informer" et "non manipuler"
En pratique, toutes les informations fournies quotidiennement aux chaînes par Météo France sont les mêmes : une liste des températures enregistrées et une carte de France divisée en plusieurs zones avec des pictogrammes facilement lisibles représentant les masses d'air et les phénomènes de grande ampleur.
Ensuite, "chaque média dispose de sa propre charte graphique pour présenter son bulletin", avait expliqué Météo France à l'AFP en juillet 2023, dans le cadre d'un précédent article de vérification sur des montages de cartes trompeurs sur les réseaux sociaux.
Dans une vidéo sur TikTok en 2022, la présentatrice et cheffe du service météo de TF1 Evelyne Dhéliat avait expliqué les coulisses de la préparation d'un bulletin météo dans laquelle on peut voir les documents transmis par Météo France aux médias. Elle y expliquait que réaliser une carte météo animée synthétisant tous ces éléments prenait trois heures à un infographiste.
Sur TF1, les couleurs, dont le nombre a augmenté, jusqu'à neuf aujourd'hui, représentent les écarts, à la hausse ou à la baisse, par rapport aux normales de saison, a confirmé la chaîne à l'AFP le 26 juin 2025.
"L'idée, c'est que le téléspectateur comprenne tout de suite s'il est dans une température normale, dans une température plus élevée ou dans une température plus froide que ce qu'il devrait normalement avoir pour la saison", avait expliqué Evelyne Dhéliat à l'AFP en 2022.
Avec ce système, une température de 25 degrés n'aura donc pas la même couleur en avril et en juin par exemple - ce que ne précisent jamais les publications virales trompeuses.
Le météorologiste et ex-présentateur de La Chaîne Météo Guillaume Séchet a même montré à l'aide d'une comparaison de deux cartes de TF1, visible dans un article publié le 18 juin 2025 en réaction à la nouvelle salve d'accusations infondées, qu'"une valeur de 23°C fin juillet qui était représentée en orange en 2002 apparaît désormais en bleu en 2023. La preuve qu'il n'y a aucune manipulation, au contraire !", en a-t-il conclu (archive).

BFMTV représente aussi les écarts par rapport aux normales avec sa propre charte graphique. Les couleurs de ses cartes "sont générées par un logiciel à partir des données de Météo France. Il n'y a donc aucun choix ou intervention humaine. Ces données se basent sur les moyennes des températures de saison qui évoluent, donc une température beaucoup plus élevée que la moyenne de saison donnera automatiquement une couleur plus foncée", a expliqué BFMTV le 26 juin.
C'est la même chose pour des températures plus froides que la moyenne : par exemple, les cartes météo de BFM et RMC avaient viré au bleu le 24 juillet 2023 en raison de températures en dessous des normales de saison (archive).
Sur France 2, les couleurs utilisées représentent, elles, les valeurs des températures.
"Tous les quatre ou cinq degrés, la couleur change (par exemple 25 degrés = une couleur, 30 degrés = une autre couleur, et cela ne varie pas de l'année)", a expliqué France Télévisions dans un email le 26 juin, précisant que ce système date de 2018 et n'a pas été modifié depuis.
"Cette charte a une vocation éditoriale pour faciliter la compréhension immédiate et la lecture intuitive des cartes (orange et rouge symbolisant dans les codes communs de la vie quotidienne le chaud). Elle a été conçue avec l'expertise de nos prévisionnistes météorologues et s'appuie sur une gradation objective, sans exagération calculée comme certains le pensent. Décrire la réalité d'une situation en s'appuyant sur un support pédagogique est l'un des outils de narration de la télé", a souligné le groupe.
"Les progrès techniques permettent de renforcer nos outils non pour manipuler mais pour mieux informer", a insisté France Télévisions.
Il n'y a donc aucune "manipulation" des bulletins météo télévisés dans un but supposé d'exagérer, ou construire de toutes pièces, le phénomène du réchauffement climatique. Lorsque les cartes sont rouges, c'est que la température est élevée ou supérieure à la moyenne de la saison, ce qui arrive de plus en plus fréquemment.
Palettes compréhensibles par chacun
Enfin, s'il n'existe pas de charte colorimétrique unifiée entre toutes les chaînes de télévision pour illustrer les écarts de températures par rapport aux moyennes de saison, toutes ces cartes restent fidèles aux principes de la représentation graphique établis par la sémiologie graphique (archive).
"Les règles de la sémiologie graphique font qu'on fait attention aux choix des couleurs" avec des palettes adaptées "pour représenter l'intensité d'un phénomène ou quelque chose d'ordonné", grâce à des couleurs compréhensibles par chacun [par exemple le bleu pour le froid ou le rouge pour le chaud, NDLR], avait expliqué Sidonie Christophe, chercheuse en sciences de l'information géographique à l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), à l'AFP en juillet 2023.