
Non, la CAF ne va pas cesser de verser des aides aux personnes nées à l'étranger à partir de 2026
- Publié le 16 octobre 2025 à 12:46
- Lecture : 6 min
- Par : Pierre MOUTOT, AFP France
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Les aides versées par les caisses d'allocations familiales (Caf) sont les cibles récurrentes d'infox. Dans un contexte de recherche d'économies pour 2026, des publications très partagées sur les réseaux sociaux affirment ainsi que les personnes étrangères ou nées hors de France se verront retirer l'accès à la plupart des prestations sociales à compter du 1er janvier. Mais cette affirmation n'est pas fondée et elle serait par ailleurs contraire à la Constitution et aux normes européennes. Le gouvernement Lecornu II a en revanche proposé une mesure plus ciblée dans le cadre de la préparation du budget pour 2026: la suppression des aides personnalisées au logement (APL) pour certains étudiants étrangers non-ressortissants d'un pays de l'Union européenne (UE).
En France, comme ailleurs dans l'UE, les personnes de nationalité étrangère et en situation régulière sont éligibles, sous certaines conditions, à différentes prestations sociales, telles que la prime d'activité ou encore l'aide au logement. Ces aides, que les personnes étrangères peuvent percevoir au nom du principe constitutionnel de l'égalité d'accès aux droits, sont soumises à certaines conditions, régulièrement mises à jour.
Pour percevoir la prime d'activité par exemple, les étrangers (hormis les ressortissants d'un pays de l'UE ou de l'Espace économique européen) doivent résider légalement depuis au moins cinq ans dans le pays en plus de satisfaire aux critères normaux de seuil (lien archivé ici). Pour toucher l'aide personnalisée au logement (APL), il n'y a pas de condition de nationalité, mais les étrangers non ressortissants d'un pays de l'UE ou de l'EEE doivent justifier d'un titre de séjour, en plus des conditions prévues pour tous, comme celle de résider 9 mois par an en France dans leur logement et de satisfaire à certaines conditions de situation et de revenus (lien archivé ici).
"Mauvaise nouvelle en France à partir du 1ère [sic] janvier deux-mille-vingt-six", alerte la voix off d'une vidéo partagée sur TikTok, "si tu n'es pas né en France, tu perdras automatiquement le droit à la majorité des aides sociales". "C'est une nouvelle loi validé en conseil des ministres, cela veut dire même si tu est née à l'étranger et tu as la nationalité française, certaines allocation pourrais être supprimé [les multiples fautes d'orthographe et de syntaxe ont été conservées, NDLR]", indique la légende de la publication, qui compte plus de 10.000 partages.

La publication liste des aides concernées, "les APL, la prime d'activité et l'allocation des Étudiants [sic]", et cite des médias d'information, "BFM TV et la France info [sic]" ainsi que "le parisien [sic]" comme sources. Toujours selon celle-ci, le ministère de l'Intérieur aurait demandé l'établissement d'un "fichier national" recoupant les données de la CAF, de la Sécurité sociale et des registres d'Etat civil, sur le fondement duquel les caisses d'allocations vérifieraient les actes de naissances des allocataires pour déterminer leur éligibilité aux prestations.
Le même audio est décliné avec plusieurs autres vidéos par-dessus des montages d'images, totalisant des dizaines de milliers de partages supplémentaires (1, 2, 3, 4, 5). Le montage, d'une durée d'une minute, se conclut invariablement par un appel à commentaires : "et toi tu trouves ça normal ou c'est 1 ligne rouge qu'on ne devrait pas franchir, partagez vos avis", incitant les utilisateurs à interagir avec la publication.
Mais l'affirmation selon laquelle les Caisses d'allocations familiales seraient sur le point de restreindre les allocations aux seuls citoyens nés en France, est fausse : aucune évolution dans ce sens n'est prévue à ce stade, a assuré la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et le principe en lui-même serait contraire à la Constitution.
"Aucune évolution" de prévue
Contacté par l'AFP le 13 octobre, le directeur de la communication de la CNAF Damien Ranger-Martinez a démenti l'allégation (lien archivé ici). "Il n'y a pas d'évolution à date du 1er janvier 2026 sur les délivrances de nos prestations concernant ces sujets", a-t-il balayé, en pointant "une évolution notable de ce type de fausses informations depuis au moins trois ans", dans "un contexte global" d'intensification de la désinformation, qui bénéficie notamment de la montée en puissance des outils d'intelligence artificielle.
"A l'heure actuelle, on est amenés à faire au moins deux démentis par mois environ, avec des pics ponctuels, mais il s'agit bien d'un phénomène régulier", explique le directeur de la communication de la CNAF. "Il y a un sujet politique derrière tout ça", analyse-t-il, "c'est tout ce qui a trait aux prestations sociales pour les étrangers : c'est un sujet à grande visibilité auprès d'une partie de la société, et donc pour faire de l'audience, nécessairement ça suscite des réactions et donc de l'engagement, dont ces acteurs tirent des revenus".

Les comptes propageant ce type d'infox se présentent comme des comptes d'actualités, imitant avec plus ou moins de fidélité l'identité visuelle de médias établis et usant de titres racoleurs. Et ils font souvent mine de reprendre une information donnée par un média plus important, afin de se crédibiliser.
Dans le cas précis de l'infox concernant les aides sociales, BFMTV, Le Parisien et France Info sont citées à l'appui, mais des recherches sur les sites de ces médias montrent qu'ils n'ont jamais publié une telle information.
Une mesure contraire à la Constitution

Les débats sur la restriction, voire sur la suppression des aides sociales aux étrangers, sont fréquents. En 2021, le candidat à la présidentielle du parti d'extrême droite Reconquête Eric Zemmour avait ainsi consacré une partie de son programme électoral à la suspension d'aides non-contributives (c'est-à-dire, qui ne sont pas contrepartie d'une cotisation) et à la suppression, puis à un encadrement plus strict des allocations sociales aux étrangers (lien archivé ici). La loi "Immigration" de 2024 comportait initialement des articles visant à restreindre l'accès des étrangers aux prestations sociales, mais ils avaient été censurés par le Conseil constitutionnel (lien archivé ici).
Couper l'accès aux prestations sociales des étrangers, et des Français nés hors de France, au motif de leur seule nationalité ou lieu de naissance, constituerait une violation de plusieurs normes fondamentales du droit français, selon Antoine Math, juriste et chercheur au sein de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) (lien archivé ici).
"Ce que l'on appelle juridiquement la condition de nationalité, c'est-à-dire, d'exiger que pour percevoir une prestation sociale vous ayez telle ou telle nationalité, que vous soyez français ou européen, ou ressortissant de tel pays, quelque chose qui va vous exclure du seul fait de votre nationalité, cela est exclu dans l'état actuel du droit", explique le chercheur.
"Le Conseil constitutionnel a ainsi statué en 1990 que l'exclusion d'une personne en situation régulière du seul fait d'être étranger était contraire au premier article du préambule de la Constitution, au titre de l'égalité des droits", retrace Antoine Math, "puis c'est la Cour européenne des droits de l'homme qui va conclure [en 1996, NDLR] qu'un conditionnement à la nationalité, c'est bien une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention des droits de l'homme" qui proscrit les discriminations fondées sur l'origine nationale (liens archivés ici, ici et ici).
En résumé, "sauf à changer la Constitution ou à dénoncer la Convention européenne des droits de l'homme, ce à quoi certains hommes politiques appellent par ailleurs, et pas seulement le Rassemblement national, ce n'est pas possible". "Pour justifier d'une différence de traitement dans l'attribution d'un droit, il faut qu'elle réponde à un objectif considéré comme raisonnable et proportionné", explique Antoine Math, "et le seul fait d'être né en France ou ailleurs est un critère insuffisant pour distinguer les personnes dans l'attribution de droits sociaux".
La question de l'accès aux aides des étrangers

Si l'accès des étrangers aux aides sociales n'est pas menacé de manière générale comme le prétendent à tort les publications virales, le projet de loi de finances 2026 présenté par le gouvernement de Sébastien Lecornu le 14 octobre prévoit en revanche la suppression de l'accès aux APL pour les étudiants étrangers non ressortissants de l'UE, de l'Espace économique européen (Norvège, Liechtenstein, Islande) ou de la Confédération suisse, et non-boursiers (lien archivé ici).
Aucune évaluation n'a été présentée par le gouvernement des économies liées à cette éventuelle suppression. Le directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés, Manuel Domergue, a estimé que cette mesure pourrait "créer des milliers et des milliers de situations dramatiques", expliquant que les systèmes de bourses ne sont pas les mêmes à l'étranger, et que seulement "2% à 3% des 315.000 étudiants étrangers extra-communautaires" étaient boursiers.
L'AFP s'est déjà penchée sur de fausses rumeurs ciblant les caisses d'allocations familiales, annonçant notamment la suppression du RSA ou de l'aide au logement, à retrouver ici et ici.