
"Erreur de la Caisse" ou "pensions revalorisées" sur signalement : attention à ces faux articles générés par IA sur les retraites
- Publié le 01 août 2025 à 16:32
- Mis à jour le 01 août 2025 à 17:37
- Lecture : 10 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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Depuis quelques mois, des sites dont les contenus générés par IA multiplient la diffusion de prétendues anecdotes sur les pensions de retraite, laissant croire à des revalorisations exceptionnelles, des "bugs" persistants à grande échelle ou autres mesures "cachées", encourageant les lecteurs à demander à l'Assurance retraite de se repencher sur leurs dossiers.
Mais ces histoires inventées mélangent des réalités avec des affirmations trompeuses au risque de tromper des internautes, déplore l'Assurance retraite auprès de l'AFP le 31 juillet.
L'histoire de la "surprise inattendue" de "Jean-Marc Durand, 68 ans, retraité de l'enseignement", qui aurait "découvert que, suite à un oubli administratif, il avait droit à un rappel de pension de 3.200 euros", qui lui aurait été signalé par un "agent" "un peu gêné", après avoir "vérifié son dossier", n'est ainsi pas cohérente, assure l'organisme.

Selon ce dernier, il n'y a pas de raisons qu'un dossier soit révisé sans action de la part du bénéficiaire une fois que cette dernière a déjà commencé à être versée : "si on constate des erreurs, des manques ou des oublis, on les signale généralement avant le départ à la retraite. Évidemment, il peut arriver des situations où, une fois que la retraite est mise en paiement, on va retrouver un bulletin de salaire oublié d'un premier job. On va le signaler à la caisse de retraite, ça donne lieu à une révision. Mais ce n'est pas une mise à jour des droits et il n'y a rien qui se passe automatiquement" (lien archivé ici).
L'article sous-entend aussi que la personne aurait reçu un montant au premier abord pas explicitement mentionné. Or "dans la législation française retraite, il n'y a pas de droit caché", martèle l'Assurance retraite, qui résume : "ce n'est pas parce que vous avez appelé l'organisme qu'il va soudainement vous annoncer quelque chose que vous n'étiez pas censé savoir".
Une autre anecdote assure que "les pensions seront revalorisées de 4,8% en janvier 2026 mais uniquement pour ceux qui font la demande avant le 30 juillet 2025", présentant l'histoire prétendue d'un retraité qui dit "avoir presque manqué l'info".

Cette allégation est aussi infondée, selon l'Assurance retraite : "quand revalorisation il y a, elle concerne tous les retraités et elle est automatique, on n'a rien à demander. Il n'y a aucun droit aujourd'hui qui est lié au fait de se manifester avant le 30 juillet".
D'autres affirmations s'appuient sur des éléments exacts mais les extrapolent, quitte à produire des histoires fausses.
Un article assure par exemple : "Erreur de la CARSAT : des milliers de retraités reçoivent moins que prévu". Il indique que "depuis avril 2025, un bug informatique lié à la modernisation des systèmes de gestion des retraites prive de nombreux anciens fonctionnaires de leur pension complète" et qu'"en ce début juillet, la situation n’est toujours pas totalement résolue".

Si un "bug informatique" a effectivement mené à des erreurs de versement pour certains bénéficiaires en avril, ce dernier était ponctuel, selon l'Assurance maladie : "ça mélange, en effet, un bug qui a eu lieu pour les pensions de l'État dans le mois d'avril. Il y a quelques centaines de dossiers des pensions de l'État qui, au mois d'avril, suite à un changement informatique, ont eu, dans le pire des cas, une retraite qui n'a pas été payée et dans les autres cas, une retraite qui n'était pas au bon montant" (lien archivé ici).
Et surtout, l'article confond les bénéficiaires des Carsat, retraités du privés, avec des "fonctionnaires" : "quand on lit l'article, on reparle bien des retraites de l'État. Pour autant, dans le titre et dans le chapeau, on parle des Carsat. Or, les Carsat sont les caisses régionales qui s'occupent des retraités du privé", souligne l'organisme (lien archivé ici).
Un "appel à la vigilance"
L'Assurance retraite dit avoir relevé des dizaines d'autres fausses allégations depuis quelques mois, diffusées "par vagues" sur de nombreux sites, dont certains sont aujourd'hui inactifs, tandis que des nouveaux émergent régulièrement.
En conséquence, elle a diffusé des messages d'"alertes" visant à faire de la prévention quant à ces contenus sur LinkedIn (1, 2) et sur son site (liens archivés ici, ici et ici).

"On appelle à la vigilance, parce qu'on veut être sûr que les gens ne s'inquiètent pas pour rien", précise l'organisme à l'AFP.
"L'idée ce n'est pas de rajouter des appels vers nos plateformes qui pour le coup sont inutiles, et parfois soit angoissent nos retraités, soit créent un espoir qui n'existe pas", détaille l'Assurance retraite, qui précise que certaines demandes ponctuelles au sujet de ces articles ont été remontées, mais en quantité "gérable" à ce stade.
Nombre d'articles mettent en effet en avant des "dates limites" prétendues pour effectuer des actions pouvant permettre aux bénéficiaires d'obtenir des versements, qui pourraient mener à augmenter le nombre de sollicitations auprès de l'Assurance retraite à des moments spécifiques.
L'organisme prévoit, selon son communiqué, de lancer "à la rentrée une campagne nationale d'information" avec pour objectif de "rappeler les bons réflexes, promouvoir les sources officielles, et répondre de manière pédagogique aux interrogations les plus fréquentes".
"Aujourd'hui, nous faisons face à une diffusion accrue de contenus erronés, qui fragilisent la confiance des assurés", déplore dans ce dernier Renaud Villard, directeur de l'Assurance retraite, qui rappelle que la retraite "est un sujet sérieux".
La retraite, préoccupation de nombreux Français, fait régulièrement l'objet d'affirmations trompeuses sur les réseaux sociaux, et l'AFP en a déjà vérifié ici, ici ou là.
Prolifération des sites et contenus générés par IA
Certains des contenus ont été diffusés sur des sites comme "placeronde.fr", qui a déjà diffusé une autre anecdote trompeuse prise pour argent comptant par certains internautes et sur lequel s'était déjà penché l'AFP dans ce précédent article de vérification.
Ce dernier précise d'ailleurs directement qu'il ne diffuse que des "faits entièrement fictifs générés par IA".
D'autres se présentent plutôt comme de réels médias d'information, et mentionnent des "auteurs" à leurs articles, dont les biographies présentent des signes de génération par IA et semblent employer des photos de profil Facebook de pages d'internautes non-francophones peu actives.

Certaines affirmations ont été relayées sur les sites comme "Modes et Travaux", du nom d'un célèbre magazine, mais dont le site regorge aujourd'hui de contenus sensationnalistes.
Les noms de domaines de certains de ces sites semblent avoir été acquis récemment, pour certains par des entreprises spécialisées dans la gestion et acquisition de noms de domaines en ligne, ce qui rend difficile de tracer leur provenance.
Cela s'inscrit dans une tendance existant depuis des années mais facilitée par l'IA, expliquait Brigitte Sebbah, professeure de sciences de l'information et de la communication à l'université de Toulouse, auprès de l'AFP le 22 juillet : "le rachat de sites, c'est une stratégie bien connue de captation d'attention dans des buts de référencement et de monétisation" (lien archivé ici).
Mais avec l'IA, "ce qui change complètement la donne, c'est l'industrialisation de la production. Avec quelques prompts bien faits et mise en place technique suffisante, vous pouvez générer des articles en permanence pour un coût dérisoire, pour quelques centimes d'euros", abondait Nikos Smyrnaios, maître de conférences et professeur en sciences de communication et de l'information à l'université de Toulouse, à l'AFP le 21 juillet
Acquérir un site peut avoir pour objectif "de créer des liens vers d'autres sites pour les faire monter dans les classements de Google. Parmi le réseau, il peut y avoir un site qui peut avoir une activité commerciale normale qui va alors monter dans le classement", expliquait-il.
Une autre option réside selon lui dans le "rachat des noms des domaines qui sont déjà dans l'index de Google, ce qui a une grande valeur parce qu'à partir de là, vous pouvez vous faire recenser dans des services de Google qui mettent en avant des articles dits de news, d'actualités", ajoutait-il.
On peut effectivement retrouver plusieurs sites renvoyant les uns vers les autres, soit via des onglets, ou dans leurs mentions légales.
En mars, une enquête réalisée par le média Next, en partenariat avec la rubrique CheckNews de Libération avait dénombré plus de 1.000 sites générés par IA qui diffusent des articles en français dont le contenu mélange actualités et inventions, dans le but de générer des revenus grâce au référencement (c'est-à-dire qu'ils sont mis en avant par des moteurs de recherche, dont Google) et à la publicité (lien archivé ici).
L'analyse avait arrêté son premier décompte à la barre symbolique de 1.000, mais ces sites sont en réalité bien plus nombreux et continuent de proliférer.
Un "Far West informationnel"
À ce stade, il n'existe que peu ou pas de législations applicables à ce genre de contenus, expliquait Brigitte Sebbah : "on est dans un 'Far West informationnel', comme on l'était au début des années 2000 quand les sites web de médias sont nés, et qu'on n'avait pas d'obligation des mentions légales par exemple".
Nikos Smyrnaios ajoute que ces contenus peuvent ainsi "inonder les intermédiaires que sont Google mais aussi les réseaux sociaux", où ils peuvent encore gagner de l'ampleur.
Cette diffusion en chaîne est "liée au modèle économique et à la structure oligopolistique de ce marché, c'est-à-dire que vous avez quelques acteurs, les GAFAM [acronyme qui désigne Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, NDLR] plus TikTok, qui contrôlent l'essentiel des plateformes, dont l'objectif principal n'est pas de mettre en avant une information de qualité, mais de maximiser le profit publicitaire. Donc si les articles comme ça arrivent à capter une partie de l'audience, ça ne leur pose aucun problème", résumait Nikos Smyrnaios (lien archivé ici).
Dès février, l'organisation NewsGuard, qui analyse la fiabilité des sites et contenus en ligne, avait elle aussi indiqué avoir détecté plus de 1.200 sites diffusant de la désinformation à base d'articles générés par IA mêlant faits et assertions inventées, en 16 langues dont le français (lien archivé ici).
Une tendance présente aussi sur les réseaux sociaux dont TikTok, avec la multiplication de comptes se prétendant comme diffusant des actualités, et dont les contenus générés par IA mêlent en réalité vrai et faux, comme déjà détaillé dans cet article de l'AFP.
La multiplication de ces contenus générés par IA constitue ainsi pour Brigitte Sebbah,"un glissement qui va créer une confusion pour le public, une logique de dépossession des audiences, de la valeur éditoriale, de l'identité médiatique, de l'information en général, même au-delà de la désinformation".
Cette "inondation d'internet avec tous ces contenus qui n'ont aucune valeur et qui vont donc dévaloriser l'espace public numérique a une influence néfaste pour le fonctionnement démocratique de l'espace public", pour Nikos Smyrnaios.
Corrige légende de la capture d'écran du communiqué de l'Assurance retraite1 août 2025 Corrige légende de la capture d'écran du communiqué de l'Assurance retraite