
Non, les cours de musique n'ont pas été interdits dans des écoles de Hambourg à cause de l'islam
- Publié le 21 octobre 2025 à 16:33
- Lecture : 6 min
- Par : Johanna LEHN, AFP Allemagne
- Traduction et adaptation : Cintia NABI CABRAL , AFP France
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Un média allemand a rapporté en juin 2025 que des élèves musulmans avaient été impliqués dans des actes discriminatoires à l'égard de camarades de classe à Hambourg. Utilisant un extrait vidéo de ce reportage, certains internautes ont affirmé que les écoles publiques de la ville avaient interdit les cours de musique, en raison de leur prétendue incompatibilité avec l'islam. Mais cette allégation est trompeuse : le reportage en question ne mentionne aucune interdiction de ce type, et les autorités ont démenti cette rumeur.
"À Hambourg, les cours de musique (chant, piano, guitare) ne sont plus autorisés dans les écoles publiques, car la musique est 'haram' (interdite, ndlr) dans l'islam, et les imposer à des élèves musulmans serait considéré comme de l'islamophobie", affirme une publication Instagram, datée du 30 septembre 2025.
Cette publication s'appuie sur une vidéo de 33 secondes, montrant être un présentateur de journal télévisé qui évoque, en allemand, des cas de discrimination impliquant des élèves musulmans à Hambourg. Le reportage explique que certains refuseraient de participer aux cours de musique, qu'ils considèrent comme "haram" (lien archivé ici).
La publication circule également sur Facebook (1, 2, 3), X (1, 2, 3), YouTube et VKontakte, et dans plusieurs langues, notamment en anglais, allemand, espagnol, néerlandais, polonais, portugais, russe et slovaque. Parfois, la séquence comporte un logo blanc en forme de voilier avec l'inscription "Nouvelle France", du canal Telegram français du même nom.

Mais l'affirmation selon laquelle les cours de musique ne seraient plus autorisés dans les écoles publiques de Hambourg est infondée. La vidéo ne fait à aucun moment état d'une interdiction des cours de musique pour motif religieux, et le média allemand n'a rapporté que des cas isolés d'élèves musulmans ayant refusé de participer à des cours de musique.
Cours de musique : aucune menace de suppression
Une recherche d'image inversée et par mots-clés ont permis de retrouver la vidéo originale : un reportage de la chaîne d'information allemande Welt TV, diffusé le 25 juin 2025, sous le titre : "Les cours de musique ne peuvent pas avoir lieu car le chant est interdit en Islam". Si les publications virales reprennent le titre du reportage, ce dernier ne reflète pas son contenu (lien archivé ici).
Le reportage complet, d'une durée de 3 minutes 35, évoque des cas qui seraient survenus dans les écoles à Hambourg : "Dans des cas isolés, des filles allemandes sont attaquées et on leur dit qu'elles n'ont pas leur place ici, tandis que d'autres sont empêchées de participer aux cours de musique parce que c'est 'haram'", y affirme le présentateur du journal télévisé.
Après le lancement du présentateur, une reporter basée à Hambourg explique que la sénatrice de l'Éducation de Hambourg, Ksenija Bekeris, a réagi à ces incidents "en collaboration avec des associations religieuses chrétiennes, juives et musulmanes". Dans une déclaration, ces acteurs auraient déclaré le 18 juin 2025 qu'il n'y avait "aucune place pour les agressions et les discriminations de quelque nature que ce soit" dans les établissements éducatifs de Hambourg (liens archivés ici et ici).
Le reportage se termine par une interview de Sandro Kappe, un homme politique conservateur et membre du parlement de Hambourg, qui rapporte des incidents spécifiques dans les écoles de la ville, notamment le refus de certains élèves de participer aux cours de musique (lien archivé ici). D'autres médias allemands (1, 2, 3) avaient également rapporté de tels incidents durant l'été (liens archivés ici, ici et ici).

Interrogé le 13 octobre par l'AFP, le porte-parole de l'Autorité pour les écoles de Hambourg, Peter Albrecht, a catégoriquement nié les allégations d'une interdiction des cours de musique : "C'est totalement faux ; il n'y a absolument aucune vérité dans cette affirmation" (lien archivé ici).
Selon M. Albrecht, "les cours de musique ont été et continuent d'être dispensés conformément aux programmes éducatifs". Le porte-parole affirme qu'aucun changement n'est prévu, et que les autorités scolaires n'ont reçu aucun signalement d'"incidents lors de cours de musique". Une recherche par mots-clés et une analyse des programmes scolaires n'a révélé aucune interdiction liée à la musique, qui figure toujours comme une matière enseignée dans les écoles (liens archivés ici, ici et ici).
Le 21 octobre, le Conseil des communautés Islamiques de Hambourg (Schura) a lui affirmé à l'AFP que "les cours de musique dans les écoles de Hambourg ne sont pas affectés par cette couverture médiatique". Ce conseil faisait notamment partie des organisations ayant signé la déclaration conjointe de la sénatrice à l'Education. "La loi scolaire de Hambourg s'applique aux élèves musulmans de Hambourg", ajoute le conseil, qui explique ne pas être au courant de cas de musulmans "se sentant limités dans leurs croyances ou pratiques religieuses par les cours de musique" (lien archivé ici).
Que dit le Coran sur la musique ?
Selon Yasemin Gökpınar, spécialiste de la musique dans l'islam à l'Institut d'études arabes et islamiques de l'Université de la Ruhr à Bochum, l'évaluation de la musique dans cette religion n'est pas entièrement claire d'un point de vue théologique. "Dans les Hadiths [recueil des actes et paroles de Mahomet et de ses compagnons dans la religion islamique, NDLR]", il existe "à la fois des jugements positifs et négatifs sur la musique", a-t-elle expliqué le 15 octobre à l'AFP (liens archivés ici et ici).
D'apès la spécialiste, "le Coran, en tant que source d'autorité pour les questions religieuses dans toutes les confessions islamiques", est plus clair à cet égard. Cela s'explique par le fait qu'"il n'y a aucune mention de 'musique'" dans le Coran, explique Yasemin Gökpınar. "La base des discussions théologiques sur ce sujet repose surtout sur le terme 'lahw', qui signifie 'distraction' ou 'divertissement'".
Les passages du Coran contenant ce mot indiquent "que la musique était mal vue dans des contextes où se déroulaient d'autres activités ostracisées ou interdites, telles que le jeu (pour de l'argent), la prostitution et les beuveries, et constituait donc une 'distraction' de l'adoration, de la prière et de la foi en Dieu dans son ensemble".
Selon Mme Gökpınar, "d'un point de vue des études islamiques, parler d'une soi-disant interdiction de la musique dans l'islam est infondé".

La musique est enseignée dans les pays musulmans
Contacté le 15 octobre par l'AFP, Ali Ghandour, professeur de théologie islamique à l'Université de Hambourg, abonde dans le même sens. Il considère que les affirmations sur l'interdiction de la musique dans l'islam sont "une représentation simpliste et trompeuse qui sert des récits idéologiques plutôt que de refléter la réalité théologique et culturelle". Selon le spécialiste, cela s'explique par l'existence de "discours théologiques divers et de pratiques sociales" au sein de la religion (lien archivé ici).
Les débats sur le statut de la musique ont "toujours été des discours marginaux au sein de la littérature juridique", tandis que "la pratique sociale parlait un langage complètement différent : une culture musicale riche et diversifiée s'est développée dans presque toutes les régions influencées par l'islam", a expliqué Ali Ghandour à l'AFP, pour qui la musique a toujours fait partie intégrante de la vie quotidienne dans la plupart des sociétés musulmanes. "Sur ce point, il n'y a pas de différence significative entre les musulmans et les non-musulmans".
M. Ghandour rappelle que la tradition islamique est marquée par une grande diversité de courants théologiques et de pratiques culturelles, et qu'"à part des cas extrêmes, comme les talibans en Afghanistan, je ne connais aucun pays musulman où il n'est pas possible d'apprendre la musique, que ce soit à l'école ou ailleurs".