
Le venin d'abeille n'est pas à ce jour considéré comme un remède contre le cancer
- Publié le 31 juillet 2025 à 17:44
- Lecture : 6 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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"On parle de sauver la planète mais qui sauve les abeilles ? Et si leur piqûre n'était pas un danger, mais une arme oubliée contre le cancer ?" Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes (1, 2, 3, 4, 5, 6) se réjouissent d'un nouvel "espoir inattendu", affirmant qu'en Australie, "le venin d’abeille a détruit un cancer du sein agressif en une heure seulement".

Attention cependant, si des chercheurs australiens ont bien étudié les propriétés anticancéreuses du venin d'abeille en 2020, ces travaux demeurent à un stade très préliminaire et ses résultats ne peuvent pas être transposés sur l'homme.
De nombreuses limites
En septembre 2020, des chercheurs de l'Institut de recherche médicale Harry Perkins en Australie ont publié une étude dans la revue Nature Precision Oncology, intitulée : "Le venin d'abeille et la mélittine suppriment l'activation du récepteur du facteur de croissance dans le cancer du sein enrichi en HER2 et triple négatif" (lien archivé ici).
"En utilisant le venin de 312 abeilles et bourdons de Perth, en Australie occidentale, en Irlande et en Angleterre, le Dr Ciara Duffy de l'Institut de recherche médicale Harry Perkins et de l'Université d'Australie occidentale, a testé l'effet du venin sur les sous-types cliniques du cancer du sein, y compris le cancer du sein triple négatif, qui a des options de traitement limitées", détaille l'institut dans un communiqué publié sur son site internet (lien archivé ici).
Leurs résultats ont montré que le venin d'abeille - et plus précisément son composant principal, la mélittine - pouvait détruire rapidement les cellules cancéreuses induites par le cancer du sein triple négatif et les cellules cancéreuses du sein enrichies en HER2.
Particulièrement agressif, le cancer du sein triple négatif représente 10 à 20% des cancers du sein touche chaque année environ 9.000 femmes, souvent jeunes. Il est très difficile à traiter, notamment parce qu'il il ne réagit pas à l'administration d'oestrogène ou de progestérone, à la base d'autres traitements couramment utilisés dans d'autres formes du cancer du sein.
Selon les résultats des chercheurs australiens, à une certaine concentration, la mélittine peut arrêter ou perturber la croissance des cellules cancéreuses, comme l'explique dans cet article l'Université de Californie (lien archivé ici).
En effet, la mélittine agit "en inhibant la phosphorylation des récepteurs EGFR et HER2, perturbant ainsi les voies de signalisation PI3K/Akt et MAPK, impliquées dans le développement du cancer", détaille à l'AFP Thibault Fiolet, docteur en santé publique.
Bien que ces résultats soient intéressants, il s'agit seulement d'une étude préclinique "réalisée in vitro (sur des cellules en laboratoire) et in vivo chez la souris (modèle murin)", précise M. Fiolet.
De même, l'Université de Californie souligne qu'il est "important de noter que ces résultats ont été obtenus lors de tests en laboratoire". "Ainsi, bien que le venin d'abeille ait effectivement montré des promesses pour détruire une variété de cellules cancéreuses, un traitement basé sur ces découvertes pouvant être utilisé chez l'humain nécessitera encore des années d'étude et de tests", écrivent Eve M. Glazier et Elizabeth Ko, en charge de la rubrique "Demandez aux docteurs" de l'Université (lien archivé ici).
Plus précisément, dans l'étude in vitro, la mélittine a perturbé la membrane des cellules tumorales ainsi que certaines voies de signalisation cellulaires, entraînant ainsi la mort de ces cellules tumorales. Et, chez la souris, l'association de la mélittine avec la chimiothérapie a montré une réduction significative de la croissance tumorale. "L’effet seul de la chimiothérapie était plus important que l’effet seul de la mélittine", ajoute Thibault Fiolet alors que certaines publications que nous examinons affirment que ces résultats peuvent être obtenus sans chimiothérapie.

Aussi, la toxicité de la mélittine n'a pas été évaluée en profondeur et les effets secondaires à long terme de cette substance ne sont pas connus, souligne-t-il.
De nombreux tests devraient encore être menés pour déterminer la concentration adéquate de mélittine et pour s'assurer de l'innocuité du produit et du procédé, avant de pouvoir passer à des essais cliniques.
Conscients de ces limites, les chercheurs de l'étude précisent eux-mêmes que "des études futures pour évaluer formellement les toxicités et les doses maximales tolérées de ces peptides seront nécessaires avant les essais chez l'homme".
Tant que la mélittine n'a pas été testé chez l'humain, "on ne peut pas dire que cela va soigner des cancers du sein", abonde M. Fiolet qui n'a pas trouvé trace d'essais cliniques chez l'humain, comme le précise cet article (lien archivé ici).
En cherchant sur le site clinicaltrials.gov - une base de données en ligne des études clinique - "melittin" ou "bee venom", on ne retrouve également aucun essai en cours.
"On ne peut en aucun cas transposer les données issues d'un modèle expérimental chez la souris au traitement chez l'homme. Avant de pouvoir être utilisé dans le traitement de cancers, tout médicament doit être testé lors de trois types d’essais de recherche clinique. Pour un schéma d’administration donné, la phase 1 détermine la tolérance, la dose maximale tolérée et la dose recommandée. La phase 2 juge de l’efficacité dans différentes indications. La phase 3 comparer le nouveau médicament à un traitement de référence. Il pourrait être comparé par exemple à une chimiothérapie pour le cancer du sein", décrivait dans cet article de vérification le Pr Claude Linassier, oncologue et directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l'Institut national du cancer (lien archivé ici).
Thibault Fiolet précise également qu'il est "très courant" de trouver en laboratoire des molécules capables de lutter contre les cellules cancéreuses. "Des milliers de molécules (naturelles ou synthétiques) montrent une activité anticancéreuse in vitro. Cependant, très peu passent les tests de toxicité, encore moins atteignent les essais cliniques et encore moins deviennent des médicaments approuvés…"
En France, les cancers sont la première cause de mortalité prématurée chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Près de 10 millions de personnes dans le monde meurent chaque année des suites de cette maladie.
Soulevant de nombreuses inquiétudes pour les personnes concernées et leurs familles, cette maladie fait l'objet d'une désinformation d'ampleur qui peut détourner les patients d'un diagnostic, ou d’un traitement qui pourrait leur sauver la vie. L'AFP Factuel a publié de nombreux articles décortiquant des infox sur des traitements du cancer.