Plus de 1.400 euros de retraite sans travailler ? Attention à ces publications trompeuses
- Publié le 24 janvier 2025 à 18:03
- Lecture : 8 min
- Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
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"Voici le montant de la retraite d’une personne qui n’a jamais travaillé... ", affirment des utilisateurs de Facebook dans des publications relayées depuis le 20 janvier 2025, parfois partagées des centaines voire des milliers de fois pour deux d'entre elles (archives 1, 2).
Y figure un visuel on l'on peut lire en toute dernière ligne un "montant brut" de "1.439,54 euros" et un "montant net" de "1.206,52 euros".
Cette image provoque des milliers de commentaires parfois outrés - "Ceux qui ont travaillé ont moins que ça !!! Une honte" - ou incrédules - "Ça m'étonnerait qu'une personne qui n'a jamais travaillé de sa vie touchera 1200 euros/mois. Ça reste une légende".
Les publications ayant généré le plus de partages conseillent en outre de "voir le 1er commentaire", "commentaire" qui consiste en fait à chaque fois en un lien vers des articles sur le thème du départ à la retraite sur deux sites internet.
Plusieurs éléments laissent penser que ces posts semblent n'avoir d'autre but que de générer du trafic vers ces sites internet, en attirant l'internaute au travers d'un post accrocheur susceptible de créer de l'émotion.
En l'occurrence, comme nous le verrons, le visuel est un relevé de retraite complémentaire d'un ancien salarié ayant travaillé pendant 25 ans.
S'il est certes possible pour les personnes n'ayant jamais cotisé de percevoir une allocation, le montant brut pour une personne seule est en réalité une fois et demie inférieur à la somme visible dans ces posts.
Image d'un tout autre sujet
Ces posts utilisent un visuel qui n'a rien à voir avec le montant auquel pourrait prétendre un retraité qui n'aurait jamais travaillé.
En faisant une recherche d'image inversée dans Google, on le retrouve apparaissant dans un reportage de franceinfo datant de septembre 2022 (archives 1, 2). Or il traite non pas de la possibilité de percevoir une pension sans avoir travaillé, mais d'une hausse de 5% attendue pour novembre 2022 des pensions complémentaires - versées par des caisses de retraite complémentaire en plus de la retraite versée aux ex-salariés par le régime général de la Sécurité sociale.
A la 22e seconde du reportage, on voit bien apparaître la même image que celle des posts viraux sur les réseaux sociaux, au moment où le reportage donne la parole à un retraité ayant travaillé pendant 25 ans dans une sucrerie. Il s'agit d'une "attestation de paiement détaillé" de ses pensions.
Avec une retraite de base de "1.200 euros nets" et un montant complémentaire de "995 euros", dit le journaliste, la hausse de 5% de sa pension complémentaire en novembre 2022 lui permettra de percevoir un peu plus de 47 euros supplémentaires par mois, précise le retraité interviewé.
Rien à voir donc avec la situation d'une personne qui n'aurait jamais travaillé de sa vie, comme l'affirment à tort les posts viraux deux ans et demi plus tard.
De plus, même s'il est bien possible, sous certaines conditions, de percevoir une allocation sans avoir jamais travaillé, les montants visibles dans ces posts sont supérieurs à ce qu'il est possible de toucher au maximum dans la réalité.
1.034 euros bruts maximum par mois, pas 1.439 euros
Cette possibilité est ouverte par l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), ou minimum vieillesse, une allocation qui permet de toucher à la retraite un montant minimum si l'on n'a pas suffisamment cotisé aux régimes de retraites voire jamais travaillé (archive).
Le montant maximum de l'Aspa, c'est-à-dire le montant versé si l'allocataire ne dispose d'aucune autre ressource, était au 1er janvier 2025 de 1.034,28 euros bruts par mois pour une personne seule, selon le site gouvernemental Service public - soit 405 euros de moins que ce qui est avancé dans les posts trompeurs (archive).
En outre l'Aspa n'est pas une pension de retraite, qui serait financée par des cotisations ; c'est, comme son nom l'indique, une allocation, financée par l'Etat, qui a assure des moyens de subsistance minimums aux plus démunis.
Il faut par ailleurs remplir plusieurs conditions pour pouvoir la percevoir, rappelle la Caisse nationale d'assurance retraite (Cnav) sur son site internet : être retraité et avoir au moins 65 ans (62 ans si vous êtes reconnu inapte au travail ou atteint d’une incapacité permanente d’au moins 50 %), résider au moins neuf mois sur douze en France, selon des conditions de séjour conformes à la loi, et avoir des ressources inférieures à 1.034,28 euros bruts par mois pour une personne seule et 1.605,73 euros pour un couple (archive).
L'Aspa est cumulable avec d'autres ressources tant que le montant total ne dépasse pas le plafond de ressources établi pour percevoir l'allocation.
La Cnav, assurance retraite du régime général des salariés, "ne verse l'Aspa qu'aux personnes ayant une retraite de l'Assurance retraite", a précisé cette dernière à l'AFP le 22 janvier. Pour les personnes ne touchant pas de retraite, l'Aspa est versée par le Service de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Saspa), qui dépend de la Mutualité sociale agricole (MSA), a-t-elle précisé (archive).
Fin 2022, sur les 17 millions de retraités de droit français, 559.220 personnes percevaient l'Aspa, selon l'édition 2024 du panorama social dressé par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), qui dépend du ministère de la Santé (archive).
L'AFP a déjà vérifié des allégations trompeuses ou fausses concernant la possibilité de percevoir une allocation sans avoir travaillé ou sur les petites retraites (1, 2, 3). La thématique des aides sociales est aussi souvent détournée sur les réseaux sociaux, comme l'ont démontré plusieurs de nos articles de vérification (1, 2).
Générer des clics
Les allégations relayées ont interpellé les internautes, avec des milliers de partages et de commentaires (jusqu'à plus de 16.000 pour le plus gros post identifié par l'AFP), des milliers de réactions signifiées à l'aide d'émojis, et une multitude de petits posts partagés dans leur sillage.
Le "1er commentaire" qu'il est conseillé de "voir" est en fait un lien qui mène vers deux articles traitant de la retraite sur deux sites distincts, centrés sur des questions de consommation ou de santé, qui touchent à la vie quotidienne des Français. L'article sur le premier site explique "à quel âge" le lecteur pourrait "partir selon [son] année de naissance", avec des informations factuelles, le second explique "à quoi vous pouvez prétendre" à la retraite "si vous n'avez jamais travaillé".
Ce procédé laisse penser que les posts que nous examinons "vont chercher de l'audience sur Facebook en mettant un pavé dans la mare sur le sujet de la retraite, un sujet très débattu, générateur de buzz, pour emmener ensuite les internautes sur les sites en question", a commenté Sophie Chauvet, chercheuse en sciences de l'information et de la communication à l'université de Toulouse, auprès de l'AFP le 24 janvier 2025 (archive).
"Cela fait augmenter l'attention, le volume de clics et d'engagements", qui pourraient ensuite être monétisés auprès d'acteurs de la publicité en ligne ou de la recommandation de contenus. Dans ce cas, "Facebook est un outil de ramassage d'attention en masse", résume-t-elle.
Le public visé semble toutefois bien ciblé, ajoute-t-elle, à savoir des quinquagénaires et sexagénaires, générations "qui utilisent le plus Facebook de nos jours". "Le sujet choisi, la retraite, les touche directement", et les noms de certains profils relayant le post ("Bisoutendresse", "J'aime ma maman et que Dieu la protège", etc) ont le potentiel de les toucher plus particulièrement.
Mais pourquoi inclure le lien vers les sites dans un premier commentaire plutôt que dans le post ? "Il est probable que le fait de cliquer sur 'voir les commentaires' soit un signal d'engagement 'élevé' pour l'algorithme de Facebook. Et les images en post natif [originel, NDLR] ont plus de visibilité que si elles sont accompagnées d'un lien", décrypte Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l'information et de la communication et maître de conférences à l'université de Nantes, tout en relevant que la configuration de l'algorithme de Facebook reste toutefois opaque (archive).
"En général les algorithmes de ces plateformes pénalisent les liens sortants inclus dans les posts natifs - puisque l'enjeu est que vous restiez 'dans' la plateforme", a-t-il ajouté dans un email à l'AFP le 24 janvier 2025. "En mettant le lien dans le commentaire, vous trichez donc deux fois : une fois pour 'leurrer' l'algorithme en masquant le lien sortant, et une deuxième fois en augmentant artificiellement votre engagement - puisque les gens vont être tentés d'aller voir le commentaire", a-t-il analysé.
Sollicitée le 24 janvier par l'AFP, la rédaction du premier site, dont un des contributeurs est chef de projet chez CaptainTraffic, une société active dans le développement de la "notoriété digitale", n'avait pas répondu au moment de la publication de notre article (archive).
L'AFP a déjà montré dans plusieurs articles de vérification que certains posts sur les réseaux sociaux relayaient de fausses informations ou comportaient des images générées par intelligence artificielle pour susciter de l'empathie, maximiser le nombre de clics et au final augmenter leur audience, à des fins de mercantiles, comme ici ou ici.