Sur TikTok, le business lucratif des faux comptes d'actualités

Sur TikTok, des prétendus comptes d'actualité diffusent chaque jour des vidéos mêlant faits divers, politique et autres "alertes choc". Leurs contenus, au mieux non vérifiés et parfois inventés de toutes pièces, cumulent des millions de vues et permettent à certains créateurs de toucher des milliers d'euros par mois. Dans cet écosystème opaque, alimenté par des internautes anonymes, la frontière entre information et divertissement se brouille au rythme de montage rapides et de voix générées par intelligence artificielle (IA). 

Augmentation générale "de 220 euros", annonces de nouvelles mesures comme cette "taxe sur les retraits d'espèces", faits divers choquants : ce type de fausses informations pullulent sur le réseau social, mises en scène avec des images d'illustration et des voix off artificielles. Elles y suscitent de nombreux commentaires d'internautes, indignés ou réjouis. Et c'est le but: car sur TikTok, qui dit commentaires, partages et réactions, dit engagement, et donc rémunération.

Des créateurs y trouvent un moyen facile de gagner de l'argent, comme en témoigne sous un prénom d'emprunt Victor, 29 ans, qui s'est lancé il y a un an et demi, après la perte de son emploi. 

"Il fallait que je rebondisse. Du coup, j'ai cherché plusieurs niches pour faire de l'argent", raconte cet habitant de la région marseillaise actif sur "deux ou trois comptes", auxquels il consacre environ six heures par jour. 

Il affirme gagner entre 1.500 et 4.500 euros brut par mois en racontant des "histoires farfelues" qui font "de l'audience", avec une préférence pour "les faits divers et l'insolite", particulièrement viraux car ils "parlent à tout le monde".

Une vidéo diffusée sur l'une de ses chaînes et qui totalise plus de trois millions de vues et 352.000 mentions "j’aime", prétend ainsi raconter l'histoire d'un oiseau qui aurait arraché un drapeau israélien et provoqué "une crise diplomatique", notamment car l'armée israélienne l'accuserait d'avoir "été entraîné par le Hamas". 

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Capture d'écran réalisée sur TikTok le 15/12/2025.

Pour concevoir ses contenus, Victor s'appuie sur des outils d’IA : "Je soumets mon idée à ChatGPT, ça me génère un texte. Avec l’IA, c’est devenu plus facile."

Il raconte avoir commencé par publier de fausses vidéos sur l’Assemblée nationale française et de prétendues lois : "Quand j’ai vu l’ampleur que ça prenait, et que des gens autour de moi en parlaient sans savoir que c’était moi, j’ai compris que ce que je faisais avait un vrai impact."

Une "industrialisation des fausses infos"

Pour Océane Herrero, journaliste et autrice du livre Le système TikTok (éd. du Rocher) (lien archivé: ici), ces formats vidéo pensés pour générer "une réaction émotionnelle", notamment lorsqu'ils portent sur le coût de la vie, participent d'une "industrialisation des fausses infos".

Le succès est assuré pour les faux faits divers anxiogènes (rumeurs de kidnapping, de fauves errants...) mais aussi pour un prétendu couvre-feu pour les mineurs après 23 heures ou une amende de 35 euros pour les automobilistes écoutant de la musique, comme l'AFP l'avait détaillé dans un article dès décembre 2024.

Si Victor publie aussi de vraies infos pour éviter de voir ses comptes interdits par la plateforme, il évite les sujets liés à des régions non éligibles au programme de monétisation de TikTok, comme l'Afrique. 

Pour contourner cette restriction depuis Dakar, Eric (nom d’emprunt), 28 ans, diffuse ses vidéos sur le compte d'un ami vivant en France. Ses revenus lui ont permis de financer une opération d'environ 1.500 euros après un accident de moto, raconte-t-il à l'AFP. 

Ces vidéos séduisent des centaines de milliers d'internautes, comme Benjamin et Will - interrogés par l'AFP mais sans leur nom de famille - : ils disent faire "confiance aux médias indépendants" plutôt qu'aux médias traditionnels, qu'ils accusent de "lavages de cerveaux". 

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Captures d'écran réalisées sur X et TikTok avec à gauche le témoignage de Will et à droite celui de Benjamin.

L'attrait de la monétisation

S'il est difficile de quantifier ce phénomène, le mot "actualité" fait apparaître sur TikTok une multitude de comptes ("actualités du jour", "actu France"...). Souvent, un seul créateur en gère plusieurs.

"Je fais tout ça pour la monétisation", revendique Maxime (prénom d'emprunt), 19 ans, qui souhaite se payer une formation aux outils IA de création de films. 

Grâce au succès de certaines de ses vidéos, comme un deepfake de la dirigeante italienne Giorgia Meloni mi-novembre qui lui faisait dire que la France allait devenir "un pays pauvre", son compte est devenu éligible à rémunération. La vidéo avait été vue des millions de fois et "aimée" par plus de 24.000 personnes. L'AFP y a d'ailleurs consacré un article ici

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Cette vidéo virale lui a rapporté 60 euros. Un "premier gros cachet" dont il se réjouit, tout en se disant "très gêné" que des internautes y croient. "Plus c'est gros, plus ça passe" mais "je ne suis pas trop fier de cette niche", dit-il. TikTok a depuis supprimé son compte. 

De son côté, Arthur (prénom d’emprunt), 33 ans et habitant en région parisienne, s’est lancé sur TikTok pour partager son quotidien. Chauffeur de bus, il y publiait d’abord des conseils ou des vidéos tournant en dérision certaines scènes de la vie dans les transports en commun. Son compte a rapidement rencontré le succès, rassemblant près de 450.000 abonnés.

Face caméra, il affirme vouloir "informer les gens", notamment lorsque des abonnés lui signalent en commentaires des situations jugées préoccupantes ou de supposées nouvelles lois. Il reconnaît toutefois ne pas toujours vérifier ces informations a posteriori.

"Attention, c’est une alerte, c’est très important", lance-t-il souvent en ouverture de ses vidéos au ton alarmiste. Si certaines affirmations reposent sur des faits réels, d’autres se révèlent trompeuses, comme des rumeurs de tentatives d’enlèvement d’enfants dans des magasins Action, une affirmation trompeuse déjà vérifiée par l'AFP.

"Au début, je faisais un peu de tout mais j'ai remarqué que les gens accrochaient plus aux préventions et au conseil", explique-t-il.

Sur le plan financier, Arthur affirme avoir perçu jusqu’à 5.000 euros pour un mois de publications, et dit gagner aujourd’hui plus de 1.000 euros mensuels grâce à son activité sur la plateforme.

Ces contenus contreviennent aux conditions du système de monétisation de la plateforme, le "Creator Rewards Program", ouvert aux comptes à plus de 10.000 abonnés, cumulant 100.000 vues sur les 30 derniers jours et aux vidéos de plus d'une minute.

"L'aspect trompeur et la quête d'engagement de ces comptes relèvent d'usages que TikTok est censé décourager", confirme Océane Herrero, rappelant que le réseau peut les sanctionner, dès lors qu'ils ont selon lui causé un préjudice important. Ces comptes contribuent "à la perte de confiance dans le système politique", parce qu'ils "évoquent des mesures fictives, qui soufflent le chaud et le froid (...) avec une impression d'arbitraire".

Contactée par l'AFP, la plateforme assure agir "contre la désinformation", qu'elle soit "intentionnelle" ou non. L'AFP, parmi plus d'une quinzaine d'organisations de fact-checking, est rémunérée par TikTok  dans plusieurs pays pour vérifier des vidéos qui contiennent potentiellement de fausses informations.

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