Non, cette vidéo ne montre pas un Français appelé à aller combattre en Ukraine
- Publié le 11 décembre 2024 à 17:41
- Lecture : 7 min
- Par : Louise DALMASSO, AFP France
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"Le gouvernement français m’envoie de force sur le sol ukrainien. J'ai reçu une convocation d'un commissaire de justice", affirme un jeune homme, face caméra, dans une vidéo TikTok publiée le 26 novembre et partagée plus de 33.000 fois.
La vidéo a également été relayée sur X et Facebook où elle cumule plusieurs centaines de partages.
L'internaute affirme, dans une vidéo en noir et blanc, qu'il a été convoqué par courrier "suite à la déclaration de la guerre de la Russie contre la France" pour aller combattre "au front de guerre en Ukraine". En cas de refus, ajoute-t-il, il s'exposerait selon le courrier à "cinq ans d'emprisonnement et à une amende pouvant aller jusqu'à 500.000 €". Il serait par ailleurs prié "de prévenir sa famille et son entourage de son départ imminent".
Le jeune homme conclut sa vidéo ainsi : "Écoutez-moi bien le gouvernement, je n’irai pas au front, je n’irai pas faire cette guerre en Ukraine. Ce n’est pas mon combat, ce n’est pas notre pays".
Dans les commentaires, les internautes expriment leur compassion et leur désarroi. "Notre belle France va sombrer, on te soutient tous", écrit l'un. "Ce n'est pas notre guerre, Macron n'a qu'à y aller lui-même", s'insurge un autre.
Mais les propos tenus dans cette vidéo sont erronés, comme l'a lui même admis l'auteur du post viral.
Une vidéo tronquée
L'internaute qui a partagé cette publication avait déjà, quelques heures plus tôt, posté la même vidéo, sans filtre noir et blanc et dans une version plus longue de quelques secondes. Il ajoutait, à la toute fin de l'enregistrement : "Tout ça c'est faux, mais le jour où ça arrivera, je n'irai pas". Cette vidéo plus longue a été sept fois moins relayée que celle tronquée.
L'internaute a d'ailleurs pris la parole le 2 décembre sur son compte TikTok pour s'excuser d'avoir partagé de fausses informations. "Je tiens vraiment à m'excuser si ça a pu en heurter certains, ce n'était pas mon but [...] Ce n'est pas de la propagande, ni un canular, juste une mise en situation".
Dans les jours suivants, il a publié une nouvelle vidéo sur le même sujet. "Je devrais être en Ukraine mais je n'irai pas [...] Mon sac est prêt, on va partir, on va se cacher", y déclare-t-il. Toutefois, dans la description de cette vidéo TikTok du 3 décembre, il est cette fois précisé : "Ceci est une mise en situation potentielle".
Contacté par l'AFP le 6 décembre, le ministère des Armées et des Anciens combattants "condamne fermement la diffusion de ce type de contenus, volontairement trompeur et destiné à générer de l'engagement sur la base de fausses informations".
Les rumeurs de recrutements en France pour aller combattre en Ukraine ou bien de soldats français (ou britanniques) qui seraient morts là-bas ont pullulé ces derniers mois sur les réseaux sociaux, dans le sillage de propos d'Emmanuel Macron sur l'éventualité de troupes occidentales en Ukraine. Des infox ayant pour but de saper le soutien des opinions publiques à l'Ukraine. Ces infox ont fait l'objet de nombreux articles de vérification de l'AFP.
Au printemps, des grafitis figurant des cercueils peints au pochoir et portant des inscriptions évoquant l'Ukraine et des soldats français avaient été retrouvés sur des façades parisiennes, dont celle de l'AFP. Début juin, des cercueils avaient été déposés devant la tour Eiffel, portant l'inscription "Soldat français en Ukraine".
Des opérations qui avaient mené à l'arrestation de plusieurs individus, de nationalité moldave majoritairement.
Ces opérations -attribuées à la Russie par de nombreux experts ainsi que par les autorités françaises- et leurs buts possibles ont notamment été détaillés dans cette dépêche de l'AFP de juin (archive).
Les opérations armées à l'étranger
Dans la vidéo, le jeune homme indique que la "France est en guerre contre la Russie". Ceci est faux. Dans le conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine, provoqué par l'invasion russe de février 2022, la France, bien que soutien de l'Ukraine - via des accords de coopération en matière de sécurité - n'est pas directement impliquée dans le conflit. Elle lui fournit une aide militaire et financière.
Si elle décidait d'un envoi de soldats, la France ne pourrait par ailleurs y affecter, en temps de paix, que des militaires formés. "Les forces armées françaises sont déployées en opération extérieure ou mission courte durée grâce à un vivier de militaires actifs. Pour certaines spécialités, des réservistes peuvent être appelés en renfort", a précisé le ministère des Affaires étrangères et des Anciens combattants à l'AFP.
C'est uniquement en dernier recours, dans le cadre d'une mobilisation générale, que des civils - après une formation militaire - peuvent être envoyés sur un terrain de guerre. Mais dans le cas du conflit en Ukraine, il faudrait que la France soit elle-même en guerre contre la Russie et que sa sécurité nationale soit menacée.
En cas de menace pour la sécurité nationale, le gouvernement peut instaurer une mobilisation, c'est-à-dire la mise sur pied d'une force armée. Elle est ordonnée par décret pris en Conseil des ministres, signé par le président de la République et publiée au journal officiel (archivé ici).
Dans un tel cas de figure, les premières personnes appelées sous les drapeaux sont les militaires de métier. Dans un second temps sont appelés les anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité et les réservistes (archivé ici).
En dernier ressort peut être instaurée une mobilisation générale. Elle consiste à affecter l'ensemble des citoyens à un poste ayant des fins militaires. Elle vise toute personne non exemptée des obligations militaires, sauf objecteurs de conscience (personnes opposées à l'usage personnel des armes).
C'est donc uniquement dans l'éventualité d'une guerre où la France serait partie prenante, et qui menacerait sa sécurité ou son territoire, que les civils pourraient être envoyés sur le front, en France ou à l'étranger.
Une aide militaire en évolution
En février 2024, lors de la conférence de soutien à l'Ukraine, Emmanuel Macron a déclaré que les pays européens étaient en accord sur le fait "que d’ici à quelques années il fallait s’apprêter à ce que la Russie attaque" leurs pays (archivé ici).
Il a également estimé que l'envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne devait pas "être exclu" à l'avenir "pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", tout en expliquant qu'il n'y avait "pas de consensus" à ce stade sur le sujet (archivé ici). Dès le lendemain, les États-Unis et plusieurs alliés européens de Kiev ont opposé une fin de non-recevoir aux propos du président français.
Le président français, au côté de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky avait assuré, en juin, vouloir "finaliser une coalition" de pays prêts à envoyer des instructeurs militaires en Ukraine. Sans débouché à ce stade.
Ces derniers mois ont été formés, en France ou en Pologne, des pilotes ukrainiens sur des chasseurs Mirage 2000-5 français et plus de 15.000 soldats ukrainiens.
L'Ukraine et l'Otan
L'Ukraine, à la différence de la France, ne fait pas partie de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan) - alliance défensive créée en 1949 qui assure la sécurité et la défense de 32 pays de l'espace euro-atlantique (archivé ici).
Depuis le début du conflit avec la Russie, l'Ukraine souhaite rejoindre l'Otan. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a encore demandé, début décembre, une invitation à intégrer l'Otan, la jugeant "nécessaire à la survie" de l'Ukraine. Mais l'adhésion doit être approuvée par l'ensemble des membres de l'organisation et certains se montrent récalcitrants, notamment l'Allemagne et les États-Unis (archivé ici).
Le Kremlin a prévenu qu’une adhésion de l’Ukraine à l’Otan constituerait une menace "inacceptable" pour la Russie qui réclame que Kiev lui cède quatre régions de l'est et du sud du pays qu'elle occupe partiellement, en plus de la Crimée annexée en 2014, et qu'elle renonce à intégrer l'Otan (archivé ici).
La guerre en Ukraine a déjà fait l'objet de très nombreux articles publiés par l'AFP Factuel. Outre les infox autour de l'envoi de troupes ou de soldats français morts, les axes de désinformation ont concerné les réquisitions ou du financement de l'aide française à l'Ukraine.