Ces images ne montrent pas des terroristes venus d’Abidjan pour attaquer le Burkina Faso

Les militaires au pouvoir au Burkina Faso accusent régulièrement la Côte d’Ivoire voisine de chercher à déstabiliser leur régime, au moment où des milliers de réfugiés burkinabè fuient l’insécurité dans leur pays. Des publications cumulant plus de 100.000 vues et de 1.500 partages prétendent images à l’appui que des terroristes venant d’Abidjan ont été interceptés par les forces burkinabè, alors qu’ils voyageaient cachés sous de faux tuyaux à bord d’un camion. Mais ces images montrent en réalité un camion trafiqué qui transportait des migrants éthiopiens arrêtés en Tanzanie.

"Urgent Burkina Faso, Des terroristes venant d’Abidjan pour le Burkina cachés dans un camion modifié surchargé de tuyauteries ; ils ont été interceptés par les forces burkinabées" (sic): voici la phrase qui accompagne trois images publiées fin novembre ou début décembre sur X, anciennement Twitter, et fortement relayées, les différentes publications (1, 2, 3) cumulant plus de 100.000 vues et 1.500 partages.

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Capture d'écran X effectuée le 09 décembre 2024

Sur la première des trois images, on peut voir un camion transportant des tuyaux bleus. On retrouve le même camion sur la deuxième image, avec un groupe d’individus accroupis devant l’engin. Le troisième cliché montre lui l’intérieur d’un conteneur avec des parois bleues ondulées, qui ressemblent aux tuyaux bleus des images précédentes.

Des publications reprenant les mêmes photos sont aussi présentes sur Facebook (1, 2). Ces dernières évoquent des "mercenaires envoyés au BF"" (Burkina Faso, NDLR) et arrêtés “à la frontière” alors qu’ils quittaient “un pays voisin”, sans plus de précisions. “Ni été la vigilance de nos vaillants guerriers et avec la perspicacité de nos services de renseignement, c'était pas du tout bon”, affirme cette publication qui a fait réagir plus de 170 personnes.

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Capture d'écran Facebook effectuée le 09 décembre 2024

Ces partages interviennent alors que la junte burkinabè du capitaine Ibrahim Traoré a affirmé cet automne avoir déjoué "plusieurs tentatives de déstabilisation" orchestrées depuis la Côte d’Ivoire, impliquant notamment d'anciens cadres du régime ayant fui le Burkina Faso après les deux coups d'Etat de 2022.

Fin septembre, dans une longue déclaration lue à la télévision nationale, le ministre burkinabè de la Sécurité Mahamadou Sana a ainsi évoqué des "civils de divers profils", ainsi que "des militaires et d’anciens militaires ayant quitté le territoire national pour participer à des opérations de propagande et de déstabilisation".

Il a notamment accusé les autorités ivoiriennes d’accueillir ces Burkinabés qui, selon lui, "se sont activés dans une entreprise de subversion". Parmi eux, l’ancien ministre des Affaires étrangères Alpha Barry, exilé à Abidjan et nommément cité par Mahamadou Sana.

Mais les images du camion avec une cache créée sous de faux tuyaux ne montrent ni des “mercenaires” ni des  “terroristes” envoyés depuis la Côte d’Ivoire pour renverser le régime burkinabè. Elles ont été détournées de leur contexte d'origine et montrent en réalité des migrants éthiopiens.

Des migrants Éthiopiens arrêtés en Tanzanie

Une recherche par image inversée réalisée grâce à Google Lens nous a permis de retrouver les trois images virales sur les réseaux sociaux. Elles sont toutes en lien avec le même événement et montrent un camion qui a réellement été modifié pour transporter des personnes dans une cache créée sous de faux tuyaux. Mais ces personnes n’ont aucun lien ni avec la Côte d’Ivoire ni le Burkina Faso.

Les deux premières images, celle du camion transportant des tuyaux et celle d'un groupe d’individus accroupis dans l’ombre de l’engin, sont tirées de ce reportage du média tanzanien Wasafi Media, publié sur YouTube le 22 août 2024 (archivé ici)  et titré "62 migrants illégaux d’Ethiopie ont été arrêtés cachés dans une voiture au milieu des tuyaux".

La vidéo montre une conférence de presse, au cours de laquelle un commandant de police explique en swahili comment ses forces avaient découvert dans un camion trafiqué ces migrants Ethiopiens. Derrière le commandant, on reconnaît le camion aux faux tuyaux bleus. Le reportage, antérieur de plusieurs mois aux publications qui nous intéressent, montre aussi l’intérieur du compartiment caché, et comment on y accède par une trappe située sous le véhicule.

Parmi les autres résultats suggérés par Google lors de la recherche par image inversée, nous retrouvons aussi un reportage de la chaîne de télévision tanzanienne UTV Tanzania, qui contient les mêmes images de migrants (archivé ici). “La police de la région d’Iringa a arrêté 62 migrants illégaux dans le district de Mufindi, alors qu’ils étaient transportés vers le district de Kyela, dans la région voisine de Mbeya”, précise la légende de la vidéo, corroborant la première source.

Les résultats de recherche inversée pour la troisième image confirment les découvertes précédentes. Cette photo montrant l’intérieur d’un conteneur avec des parois bleues ondulées a été partagée le 22 août 2024 sur la page Facebook de NURU FM Iringa 93.5, une radio régionale tanzanienne. Là encore, on retrouve la photo du camion transportant des tuyaux, et la description qui accompagne les images sur Facebook évoque également 62 migrants illégaux venus d’Ethiopie. Tout comme dans cet article du média en ligne Tanzanien Mwananchi.

Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les partenaires de la France en Afrique de l’Ouest sont accusés d’organiser des actions de déstabilisation des régimes militaires. La Côte d’Ivoire et le Bénin ont déjà été la cible de ce type d’accusations. Le 11 juillet 2024, le chef du régime militaire burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, s'en est pris aux "impérialistes" Français et à leurs alliés.

"Nous n'avons rien contre le peuple ivoirien, mais nous avons quelque chose avec ceux qui dirigent la Côte d'Ivoire", a-t-il lancé, assurant qu’Abidjan hébergeait "un centre d'opérations pour déstabiliser" le Burkina Faso. Le Bénin a été aussi accusé d’héberger "deux bases françaises" dans le nord du pays, qui seraient selon lui un "centre des opérations des terroristes" frappant régulièrement le Burkina Faso. Abidjan, Cotonou et Paris ont rejeté ces accusations.

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