Non, il n'est pas "désormais possible" de conduire "légalement" sans permis en France
- Publié le 08 août 2024 à 17:27
- Lecture : 7 min
- Par : Théo MARIE-COURTOIS, AFP France
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"C'est officiel : conduire sans permis et légalement sera possible à partir du 1er août en France", assurent plusieurs vidéos publiées fin juillet sur TikTok par des comptes prétendant présenter des "actus".
Selon ces vidéos qui cumulent plusieurs milliers de partages, "le projet a été proposé par Gérald Darmanin et sera mis en place dès le 1 (sic) août. Le principe est d'accorder à un apprenti conducteur l'autorisation de prendre seul le volant d'une voiture bien avant de passer l'examen du permis de conduire et tout cela sans aucun accompagnateur ni moniteur."
"Tu n'es pas au courant que tu vas pouvoir conduire sans permis à partir du mois d'août, je vais t'expliquer comment ça fonctionne", prétend un autre internaute qui avait déjà partagé de fausses "astuces" pour "bloquer" les huissiers de justice vérifiées par l'AFP.
Selon cet homme, la mesure "va concerner dans un premier temps les jeunes conducteurs. Le principe est d'accorder à un apprenti conducteur l'autorisation de prendre le volant, seul, de la voiture sans passer par l'examen sur décision du moniteur. [...] Cette mesure va s'appliquer uniquement au permis B et elle sera bel et bien réservée aux seuls candidats justifiant d'un contrat de travail".
Plus tôt dans l'année, de précédentes vidéos assuraient que ce projet serait mis en place dès le 27 mai 2024 ou encore le 8 juin.
Mais il s'agit de fausses informations ont expliqué à l'AFP une avocate spécialiste du droit routier et un responsable du syndicat des auto-écoles, rappelant que conduire sans permis est un délit.
Conduite accompagnée
"Non, on ne peut pas conduire sans permis, ni depuis le 1er août, ni avant", a expliqué le 7 août à l'AFP Me Emilie Limoux, avocate au cabinet LMX-Avocat .
"Il n'y a pas eu de changement au 1er août" des modalités d'autorisation à la conduite, a abondé le 5 août auprès de l'AFP Bruno Garancher, membre et ancien président de l'Unidec, le syndicat des auto-écoles (lien archivé ici).
"Il y a trois cas où il est possible de conduire sans permis mais dans un cadre très particulier notamment avec un accompagnateur", ajoute-t-il. Ces cas sont fixés aux articles R211-5, R211-5-1 et R211-5-2 du code de la route (lien archivé ici).
Le premier et le plus courant est l'apprentissage anticipé de la conduite (AAC) accessible dès 15 ans. Après avoir réussi l'examen théorique du code de la route, suivi une formation pratique de vingt heures en auto-école et avoir obtenu "l'attestation de fin de formation initiale", ces mineurs peuvent conduire légalement tous les véhicules de catégorie B tant que se trouve à leurs côtés un accompagnateur titulaire du permis de conduire depuis au moins 5 ans (lien archivé ici).
"Il y a ensuite la conduite supervisée qui concerne les personnes majeures qui ont achevé leur formation permis de conduire ou ont passé une première fois l'examen et ne l'ont pas réussi" avec des conditions similaires à l'AAC, souligne Bruno Garancher.
"Le troisième cas est ce qu'on appelle la conduite encadrée qui concerne les mineurs en formation de CAP/BEP/bac pro conducteur routier qui peuvent passer leur permis de conduire de catégorie B anticipée à 16 ans mais ne peuvent effectivement conduire tout seul qu'à partir de 17 ans, donc avant ils peuvent là aussi conduire accompagnés", explique l'ancien directeur du réseau d'auto-écoles CER.
Exemple belge
Selon Me Emilie Limoux et Bruno Garancher, ces vidéos virales s'appuient sur d'anciens propos tenus par le ministre de l'Intérieur, aujourd'hui démissionnaire, Gérald Darmanin alors que les délais d'attente pour passer l'examen du permis de conduire s'allongeaient fortement.
"Je propose aussi de lancer une réflexion sur la mise en place d’un permis probatoire sur le modèle du permis belge permettant de conduire en semaine, en journée et pas le week-end par exemple, si on a prouvé avoir un niveau de maîtrise de la conduite suffisant. C’est une réflexion qui devra encore être discutée et approfondie avant de décider de son éventuelle mise en œuvre", avait lancé au quotidien régional Le Progrès Gérald Darmanin en juillet 2022 (lien archivé ici).
Un amendement présentant une mesure similaire avait aussi été déposé en juin 2023 puis retiré par Lionel Vuibert, alors député Renaissance des Ardennes (lien archivé ici).
En Belgique, il est possible pour les personnes ayant réussi l'examen théorique du code de la route de demander un permis de conduire provisoire afin de préparer l'examen pratique (lien archivé ici). Il existe plusieurs variantes, notamment en fonction de l'âge du demandeur, dont certaines ne nécessitent pas d'avoir un accompagnateur à ses côtés. En revanche, toutes les versions interdisent la conduite les soirs de week-end, de jours fériés et de veille de jours fériés ainsi que toute sortie du pays.
Mais le projet français qui devait s'appuyer sur cet exemple n'avait pas vu le jour à la date du 8 août 2024. Pour Bruno Garancher, Gérald Darmanin a pu rencontrer un certain nombre d'obstacles notamment liés aux questions de sécurité routière alors que les jeunes de 18 à 24 ans sont les plus à risque de décéder sur la route selon le dernier bilan de la sécurité routière (lien archivé ici).
"Comment fait-on pour refuser le permis à quelqu'un qui roule déjà tout seul depuis un certain temps sans qu'il ne lui soit jamais rien arrivé ?", s'interroge également M. Garancher.
En dehors des personnes concernées par l'apprentissage anticipé de la conduite, et en attendant de réussir l'examen pratique, les apprentis conducteurs "ont la possibilité de se déplacer par le biais d'un deux-roues ou d'une voiture sans-permis avec le brevet de sécurité routière (BSR) qui est maintenant obligatoire pour les moins de 50 cm3", rappelle Emilie Limoux.
"Mais il n'y a véritablement aucun moyen de contourner l'obligation d'avoir ce permis de conduire, une conduite sans permis reste un délit", souligne l'avocate.
"Le délit de conduite sans permis est sanctionné par une peine de prison (1 an maximum) et une amende pouvant aller jusqu'à 15.000 € d'amende", explique le site Service Public tout en rappelant que dans le cas d'un premier délit commis par une personne majeure, la sanction peut être ramenée à une amende forfaitaire de 800 € (lien archivé ici).
Avancée de l'âge légale
Sur TikTok, une autre vidéo virale intitulée "Dès le mois d'août, conduire sans permis sera légal en France" - et reprenant les mêmes éléments de langage que les autres séquences citées plus haut - mentionne en toute fin de vidéo que cette disposition ne s'appliquerait que pour les "quadricycles légers".
S'il y a bien eu un changement concernant ces véhicules, aussi désignés par les termes "voiturettes" et "voitures sans permis", il est plus ancien que ce qu'indique la vidéo. En effet, depuis le 1er mars les jeunes apprentis conducteurs concernés par l'AAC peuvent désormais librement conduire des voitures sans permis même s'ils ne disposent pas du BSR comme le précise cet arrêté publié au Journal officiel le 27 février 2024 (lien archivé ici).
En début d'année un autre changement majeur a eu lieu avec le passage de l'âge minimum pour passer le permis de conduire et prendre le volant à 17 ans contre 18 ans auparavant. Une mesure présentée mi-2023 par Elisabeth Borne, alors Première ministre, qui a argué que cette mesure serait "un vrai plus" notamment pour les jeunes en apprentissage (lien archivé ici).
Plusieurs associations (la Ligue contre la violence routière, Prévention routière...) avaient fait part de leur hostilité à l'abaissement en raison des risques d'accidents.
Ce n'est pas la première fois que l'AFP vérifie des vidéos très partagées sur TikTok par des comptes visant à attirer des nombreuses vues avec des affirmations sensationnalistes proposant souvent des interprétations trompeuses de lois françaises.
L'AFP s'était notamment déjà penchée ces derniers mois sur des allégations prétendant qu'il serait "interdit" de donner de l'argent à des personnes mendiant dans les rues, sur des rumeurs liées à l'eau Cristaline à Mayotte, et sur un pseudo rappel de sel généralisé.
"Il faut toujours être précautionneux et veiller à ne pas donner trop de crédit à ces vidéos qui proposent à des interprétations réduites voire à des fausses informations qui peuvent entraîner des mauvaises compréhensions et mener des personnes à entamer des démarches sur de mauvais fondements juridiques", conseillait en juillet 2024 Me Emilie Limoux alors qu'une fausse liste de prétendues nouvelles interdictions effectives à partir du 1er juillet circulait sur TikTok.