Donner de l'argent à une personne qui mendie dans la rue n'est pas illégal en France

En décembre, le gouvernement français a dévoilé un nouveau plan de lutte contre l'exploitation de la traite des êtres humains, qui vise notamment à réduire les réseaux de mendicité forcée en vue des Jeux olympiques de 2024. Fin décembre, des vidéos sur les réseaux sociaux, s'appuyant sur des prétendus témoignages, ont assuré que donner de l'argent à des personnes mendiant dans les rues en France serait "interdit" et puni d'une "amende de 100 euros". C'est trompeur : depuis 1994, la mendicité en tant que telle n'est plus considérée comme un délit par le Code pénal en France, mais des décrets peuvent viser à l'encadrer, temporairement et localement dans le but de préserver l'ordre et la sécurité publiques, rappellent des avocats à l'AFP. Ils soulignent en outre que le montant de "100 euros d'amende" mentionné est "inhabituel".

"Amende 100 euros si vous donnez de l'argent à un SDF en France", indique une vidéo partagée plusieurs centaines de fois sur TikTok depuis le 30 décembre. 

Nombre de vidéos similaires se réfèrent à un TikTok publié le 26 décembre et partagé environ 12.000 fois depuis, dans lequel une femme raconte, face caméra, une mésaventure qui lui serait arrivée fin décembre. Elle assure qu'après avoir fait des courses, elle aurait donné "un billet de cinq" à une personne mendiant devant le commerce dans lequel elle s'était rendue. Puis, une "voiture de gendarmerie" se serait garée devant elle pour lui indiquer qu'il est "interdit en France de donner de l'argent à un mendiant", et lui mettre une "amende de 100 euros". 

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Capture d'écran d'une vidéo TikTok, prise le 05/01/2024

Dans la description de la vidéo, la personne qui l'a postée le 26 décembre indique : "je pense que je me suis fait escroquer", "ça peut arriver à tout le monde". La biographie de son compte indique par ailleurs "détendez-vous, c'est de l'humour", laissant à penser qu'une partie des contenus du compte pourraient être humoristiques. 

Cette vidéo a été reprise et partagée plus de 11.000 fois et vue à plus d'un million de reprises sur Facebook, X et YouTube, avec des commentaires assurant parfois qu'une "nouvelle loi" interdirait de donner de l'argent à des personnes mendiant dans les rues.

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Capture d'écran d'une vidéo TikTok, prise le 05/01/2024

Dans une vidéo publiée une semaine plus tard sur TikTok, une autre femme assure qu'il lui serait arrivé exactement la même chose, racontant l'anecdote presque mot pour mot, et mentionnant "100 euros" d'amende demandé par des "gendarmes" qui se seraient également garés sur le parking devant un supermarché après avoir vu qu'elle donnait cinq euros à une personne mendiant devant ce dernier.

Dans un autre TikTok publié le 31 décembre, un homme raconte qu'il aurait lui aussi écopé d'une amende, cette fois de 90 euros, pour avoir donné de l'argent à une personne mendiant devant un feu rouge. Il mentionne là encore avoir été suivi par une voiture des forces de l'ordre qui lui aurait indiqué que donner de l'argent à un mendiant en France serait interdit.

Attention à toutes ces vidéos : si les témoignages individuels ne sont en l'état pas vérifiables, la mendicité ne constitue plus un délit en France depuis 1994, selon le Code pénal. Et si des décrets peuvent localement viser à l'encadrer, pour des zones et des périodes spécifiques, dans le but de préserver l'ordre et la sécurité publiques, ils visent plutôt les personnes en train de mendier que ceux qui voudraient leur donner de l'argent, rappellent des avocats à l'AFP. Et un décret qui viserait à interdire l'action de donner de l'argent risquerait d'être retoqué car il ne respecterait pas le principe de "fraternité" qui a une valeur constitutionnelle, ont relevé des spécialistes du droit auprès de l'AFP. 

La mendicité en tant que telle n'est pas un délit en France

Si la mendicité a été considérée comme un délit en France par le passé, elle a été dépénalisée (lien archivé ici) depuis l'entrée en vigueur du "nouveau" code pénal, le 1er mars 1994, et ne constitue donc pas une infraction en 2024, à l'inverse de ce qu'indiquent les publications sur les réseaux sociaux.

"Aujourd'hui, la mendicité n'est plus une infraction. En principe, on ne peut pas condamner quelqu'un sur le seul fait qu'il pratique la mendicité", illustre maître Jérôme Duvigneau, avocat associé au cabinet Richer & Associés le 4 janvier auprès de l'AFP, rappelant néanmoins qu'il existe "des exceptions, qui sont clairement définies".

En effet, il existe certains cas particuliers définis par la loi, dans lesquels l'action de mendier associée à des circonstances spécifiques peut être répréhensible : si la mendicité est "agressive" ou "sous la menace d'un animal dangereux", concerne des enfants, si elle relève de l'exploitation ou de la traite d'êtres humains.

"Le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien est puni de six mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende", est-il indiqué dans le Code pénal (lien archivé ici).

En outre, "le fait de maintenir un enfant de moins de six ans sur la voie publique ou dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants" peut ainsi être "puni de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende", selon le Code pénal (lien archivé ici).

L'exploitation de la mendicité, pour des adultes et des enfants, et la mendicité forcée s'intégrant dans la traite d'êtres humains sont également des délits.

L'exploitation de la mendicité (lien archivé ici) telle que définie par le Code pénal est ainsi "punie de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 45.000 euros". Dans des cas où elle concernerait des mineurs ou des personnes vulnérables, les peines peuvent être plus importantes (lien archivé ici).

La traite des êtres humains (lien archivé ici) est quant à elle "punie de sept ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende".

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Une personne mendiant à Paris le 14 mars 2015 (AFP / KENZO TRIBOUILLARD)

Par ailleurs, selon le code des transports, la mendicité est également interdite dans l'"emprise des gares routières" (lien archivé ici), ainsi que dans le "domaine public ferroviaire et à bord des trains" (lien archivé ici). 

Dans ces cas, ce sont en premier lieu les personnes qui mendient qui s'exposeraient aux sanctions, plutôt que les personnes qui leur donneraient de l'argent, relèvent les spécialistes interrogés par l'AFP.

Des arrêtés municipaux "anti-mendicité"

Par ailleurs, à l'échelle locale, dans le cadre de ses pouvoirs de police (lien archivé ici), un maire peut prendre un arrêté pour réglementer la mendicité, temporairement et sur un espace restreint.

Ces arrêtés sont pris "au cas par cas", dans le but de "préserver l'ordre public" dans des circonstances spécifiques, comme celles d'une forte affluence dans une partie d'une commune pendant la période estivale, ou lors d'événements spécifiques au cours desquels la présence de personnes mendiant dans les rues pourraient entraver la circulation sur la voie publique, souligne Eric Landot, avocat en droit public auprès de l'AFP le 3 janvier.

Cela peut être le cas pour des événements tels que le passage du tour de France dans une commune, ou des festivals, illustre l'avocat.

"Ces arrêtés doivent être circonscrits dans le temps et dans l'espace. De plus, les interdictions prises à ce titre doivent être 'strictement proportionnées à leur nécessité'", rappelle aussi Vincent Brengarth, avocat au Barreau de Paris intervenant en droit pénal et dans les contentieux de libertés publiques, auprès de l'AFP le 4 janvier, citant une décision de la Cour d'appel administrative de Nantes de mai 2016 (archivée ici).

C'est dans ce cadre que certains maires ont en effet pu prendre des arrêtés pour restreindre la mendicité à des périodes et dans des zones spécifiques. Ces arrêtés s'exposent ensuite à une potentielle censure des tribunaux administratifs, lorsque les mesures ne sont pas justifiées.

François Xavier Corbel, responsable du service juridique de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), une association de défense des droits humains, mentionne par exemple des arrêtés "interdisant l'occupation abusive et prolongée du domaine public au prétexte de la prévention de trouble à l'ordre public", et rappelle que "la LDH conteste régulièrement et souvent avec succès ce type d'arrêtés, qui sont en fait un moyen détourné d'interdire la mendicité et de chasser les personnes en situation de précarité des centres villes". 

De plus, en cas d'arrêté "anti-mendicité" également, c'est en premier lieu la personne qui mendie qui s'exposerait vraisemblablement à une contravention, et pas nécessairement la personne qui lui donnerait de l'argent, relèvent les avocats sollicités par l'AFP.

Théoriquement, il serait par ailleurs également possible "qu'un arrêté municipal interdise également aux passants de donner de l'argent aux mendiants, sous peine d'amende. Toutefois, cet arrêté risquerait d'être annulé par les tribunaux, notamment sur le fondement du principe de fraternité et de la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire", développe Vincent Brengarth.

Il rappelle que "le principe de fraternité est reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel depuis une décision de 2018, qui avait à cette occasion consacré 'la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national', liberté qui découlait du principe de fraternité".

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Capture d'écran d'une partie de la décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, prise le 05/01/2024

Ce principe avait par exemple été "invoqué devant le tribunal administratif de Besançon dans le cadre d'un référé-liberté visant un arrêté anti-mendicité. Dans cette affaire, le maire de Besançon avait pris un arrêté interdisant la mendicité dans certaines rues et à certaines périodes de l'année. Le requérant soulignait que cet arrêté était contraire au principe de fraternité. Le juge des référés a alors souligné que la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire était une liberté fondamentale au sens de l'article L. 251-2 du code de justice administrative", détaille Vincent Brengarth.

C'est pourquoi selon lui, "un arrêté qui interdirait à une personne de donner à un mendiant contreviendrait à la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire. Si cette liberté doit être conciliée avec l'objectif de préservation de l'ordre public, une telle interdiction serait, selon toutes probabilités, considérée comme disproportionnée". 

"Prévoir une sanction financière à l'encontre d'une personne qui donnerait de l'argent à une personne se livrant à la mendicité, même dans le cadre d'un arrêté municipal, ne repose sur aucun fondement législatif ou réglementaire. Une telle verbalisation est manifestement illégale", estime aussi François Xavier Corbel, qui ajoute que la LDH "espère" que les personnes qui auraient fait face à de telles verbalisations décident de les contester (lien archivé ici).

Une amende possible, mais un montant "inhabituel"

En contrevenant à un arrêté municipal, toute personne s'expose à des sanctions prévues par le Code pénal, qui dispose que "la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe". Le montant maximum pour ces dernières est de 150 euros.

"Cent euros, c'est un montant inhabituel pour une amende", estime ainsi Jérôme Duvigneau, relevant qu'elles sont généralement plutôt fixées au montant maximal possible pour leur catégorie.

Par ailleurs, Eric Landot assure auprès de l'AFP n'avoir pas "eu connaissance" de contraventions liées à des arrêtés "anti-mendicité" visant des personnes qui donneraient de l'argent à un mendiant hors des exceptions mentionnées par la loi, estimant que ces arrêtés ont en général plutôt un objectif dissuasif.

Jérôme Duvigneau rappelle en revanche qu'en 2019, l'histoire (archivée ici) d'un homme qui avait été verbalisé dans une gare à Toulouse pour avoir donné de l'argent à une personne qui y mendiait avait été médiatisée. Dans ce cas, l'homme avait écopé d'une amende de "100 euros" avant que la SCNF ne fasse marche arrière et n'annule la contravention, estimant que la sanction avait été inappropriée. 

Certaines des publications trompeuses circulant sur les réseaux sociaux fin 2023 prétendant que donner de l'argent à une personne qui mendie dans la rue serait interdit en France reprennent par ailleurs une capture d'écran du titre d'articles de presse diffusé à l'époque au sujet de cette histoire.

Un arrêté interdisant la distribution alimentaire à Paris suspendu en octobre

Ces rumeurs sont diffusées sur les réseaux sociaux alors qu'à la mi-octobre, un arrêté visant à interdire la distribution de repas dans un quartier populaire du nord-est de Paris avait été suspendu en référé par le tribunal administratif.

La préfecture de police avait publié un arrêté le 9 octobre pour interdire les distributions alimentaires à Paris du 10 octobre au 10 novembre dans un secteur délimité des Xe et XIXe arrondissements, autour des métros Stalingrad et Jaurès, estimant que la distribution de repas pouvait causer "des nuisances" et des "troubles à l'ordre public".

Mais "la juge des référés du tribunal considère que les troubles à l'ordre public invoqués par le préfet de police pour justifier de la légalité de l'arrêté d'interdiction ne sont pas démontrés", avait indiqué le tribunal administratif dans un communiqué (archivé ici), considérant que "la mesure d'interdiction n'est pas nécessaire pour préserver l'ordre public", ajoute l'institution.

L'association Utopia 56, la Ligue des droits de l'homme, la Fédération des acteurs de la solidarité et son antenne régionale étaient à l'origine de ce recours.

Après cette procédure d'urgence, le tribunal administratif doit rendre un jugement "au fond" d'"ici quelques mois", comme indiqué dans cette dépêche (archivée ici) de l'AFP d'octobre.

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Des bénévoles des Restos du cœur à Paris le 21 mars 2023. (AFP / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT)

Un plan contre la traite des êtres humains annoncé en décembre

Le gouvernement français avait dévoilé le 11 décembre son nouveau plan de lutte contre l'exploitation et la traite des êtres humains, avec un volet de sensibilisation spécifique en vue des Jeux olympiques 2024 à Paris, inquiet d'un risque d'"accroissement" du phénomène pendant cette période, comme détaillé dans cette dépêche de l'AFP (archivée ici).

Les JO sont des moments "qui font prospérer les réseaux quels qu'ils soient, particulièrement de prostitution mais aussi de travail forcé, mendicité forcée", avait alors estimé la ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard. 

La mesure-phare de la stratégie 2024-2027 du gouvernement est la création d'un mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection (Mnipro), une demande répétée des associations et des acteurs du terrain, qui pointaient un déficit criant de la France en la matière. 

En 2022, 4.363 victimes de la traite d'êtres humains ont été repérées en France et 2.994 ont été accompagnées par les associations. Parmi elles, 76% sont victimes d'exploitation sexuelle, dont 94% de femmes, selon les chiffres officiels, 15% victimes d'exploitation par le travail, 7% victimes de contraintes à commettre des délits et 2% de mendicité forcée.

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5 janvier 2024 Actualise légende de la dernière photo

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