Non, les programmes de SVT n'invitent pas les élèves à choisir leur sexe
- Publié le 11 décembre 2024 à 11:15
- Lecture : 8 min
- Par : LUCIE DE PERTHUIS, AFP France
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Prévu initialement pour la rentrée 2024, le premier programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) fait l'objet de concertations depuis le mois de mars, et suscite l'inquiétude d'organisations conservatrices autour de l'éducation à la sexualité.
Le texte devait être présenté à la mi-décembre au Conseil supérieur de l'éducation (CSE), une instance consultative, en vue d'une application à la rentrée prochaine. Mais à la suite de la censure du gouvernement, cette réunion a été annulée, et l'avenir de ce projet est incertain. Le ministre de l'Education nationale du gouvernement démissionnaire, Anne Genetet, ne peut pas "présider ce conseil en affaires courantes", a-t-elle fait savoir sur SudRadio.
Lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 3 décembre, la députée Union des Droites (UDR) des Alpes-Maritimes Christelle D'Intorni a interpellé la ministre de l'Education nationale Anne Genetet au sujet du programme Evars. Elle a alors assuré que dans les "manuels de Sciences de la vie et de la Terre des classes de quatrième et de seconde, vous invitez nos enfants à choisir leur sexe, en leur expliquant qu’ils peuvent librement se sentir homme, femme, ou les deux".
Question d’actualité au gouvernement ️
— Christelle D'intorni (@C_Dintorni) December 3, 2024
« L’Éducation nationale ne peut arracher l’innocence des enfants contre la volonté de leurs parents. »#programmeÉducationSexuelle
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Contactée par l'AFP, la députée Christelle D'Intorni a précisé à quels ouvrages elle avait fait référence.
Il s'agit notamment d'un manuel de SVT de classe de quatrième, dans une page duquel on peut lire : "Il ne faut pas confondre le sexe, qui définit notre identité biologique et le genre qui est notre identité culturelle". Il n'y est pas question de choisir son sexe mais sa sexualité: celle-ci "renvoie à nos préférences et orientations amoureuses" et "n'est pas déterminée par notre sexe, mais librement choisie", est-il écrit.
Dans ce manuel édité par Nathan, on trouve aussi un schéma représentant "la diversité des individus", à côté duquel il est écrit : "L'identité : c'est le fait de se sentir homme ou femme".
Dans un autre manuel, celui d'éducation morale et civique (EMC) de seconde, édité par Hatier, on peut lire : "Le sexe englobe plusieurs aspects : le sexe biologique, (...) le fait de se sentir fille, garçon, ni l'un ni l'autre ou les deux, parfois appelé l'identité sexuelle". Ces extraits de manuels ont été publiés dans un document du Syndicat de la Famille (ex-Manif pour tous), publié en septembre 2024.
Ces deux manuels abordent donc les questions du sexe, du genre et de l'identité, mais sans invitation à choisir son sexe.
Quant aux programmes de Sciences et vie de la Terre (SVT), accessibles en ligne sur le site Eduscol, l’AFP n’y a pas non plus trouvé de mention, ni en classe de quatrième, ni en classe de seconde, d’un choix auquel les élèves seraient invités.
Le programme de SVT comprend au cours du cycle 4 (en classes de 5e, 4e et 3e) le thème "Le corps humain et la santé". Les connaissances visées sont relatives au "fonctionnement des appareils reproducteurs à partir de la puberté et les principes de la maîtrise de la reproduction". Les enseignants abordent également "les comportements responsables dans le domaine de la sexualité", en évoquant la fertilité, le respect de l’autre, le choix raisonné de la procréation, la contraception, ou encore la prévention des infections sexuellement transmissibles (lien archivé).
Un enseignement axé sur "l'aspect biologique du sexe"
En classe de seconde, les élèves apprennent l’organisation fonctionnelle du vivant, autour d'un axe appelé "Procréation et sexualité humaines".
Les notions abordées sont par exemple la contraception, l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’organisation et la fonctionnalité des appareils sexuels ou encore l’identité sexuée fondée sur le sexe chromosomique et génétique.
Contacté par l'AFP, le ministère de l'Education nationale assure que les deux thèmes, "Le corps humain et la santé" en cycle 4, ainsi que "Procréation et sexualité humaines" sont les seuls points de programme de SVT qui concernent la sexualité.
Interrogé par l'AFP, David Boudeau, professeur de SVT dans un lycée en Vendée, explique qu'il aborde avec ses élèves la notion "d'identité de genre", c'est-à-dire le fait d'être défini comme homme ou femme dans un contexte social et culturel donné. Cependant, il assure qu'"en aucun cas on explique aux élèves qu'ils peuvent changer de sexe". "On ne le fait pas et on n'a pas à le faire !", insiste le professeur, également président de l'Association des professeurs de biologie-géologie.
Dans un guide d’accompagnement d'éducation à la sexualité des équipes éducatives des collèges et des lycées, mis à disposition des équipes enseignantes sur le site du ministère de l'Education nationale, il est indiqué que "l’identité de genre peut être abordée dans un objectif de développer l’exercice de l’esprit critique" et de "déconstruire les stéréotypes liés au genre".
Les séances doivent permettre "d'ouvrir un débat entre filles et garçons dans lequel ils expriment les attentes du groupe, notamment - par rapport aux rôles sexuels, ou encore aux représentations de la femme et de l’homme, souvent idéalisées à l’image de ce qui est véhiculé par les médias ou les modèles sociaux dominants" (lien archivé).
Là encore, ce support ne contient pas de formulations laissant entendre que les élèves seraient invités à "choisir leur sexe" en classe de 4e ou de seconde.
Concernant le nouveau programme Evars, Christelle D'Intorni s'est dite inquiète par exemple du fait qu'une version du texte en préparation mentionne selon elle "17 fois" la notion "d'identité de genre".
Le ministre délégué à la réussite scolaire Nicolas Portier a lui-même estimé que ce programme, en l'état, n'était "pas acceptable". "Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles", a-t-il affirmé. La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a de son côté balayé ces inquiétudes, assurant que la "théorie du genre n’existe pas".
Le théorie du genre est une expression utilisée par une frange conservatrice de la société, qui s'inquiète des études et enseignements ouvrant à une perception nuancée des différences entre les sexes. Elle est au coeur des débats concernant le nouveau programme Evars.
En 2014, une polémique sur cette théorie prétendument enseignée à l'école française avait été virulente, lors de l'expérimentation d'"ABCD de l'égalité" à l'école pour lutter contre les stéréotypes filles/garçons.
Depuis 2001, la loi prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité, depuis l'école élémentaire jusqu'au lycée, avec un apprentissage progressif qui s’adapte au développement de l’élève. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) estime qu’en réalité, moins de 15% des élèves bénéficient d'éducation à la sexualité malgré l'obligation légale (lien archivé).
Une circulaire pour "accompagner" les élèves transgenres
Si les programmes de l'Education nationale n'invitent pas les élèves à choisir leur sexe, une circulaire visant à "porter une attention particulière aux élèves transgenres ou qui s’interrogent sur leur identité de genre" a été diffusée en 2021 par l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer à tous les personnels éducatifs. Le texte indique que "la transidentité est un fait qui concerne l’institution scolaire", confrontée à des situations d'enfants qui parfois dès l'école primaire se questionnent sur leur identité de genre.
Dans cette circulaire, il est inscrit que "les enseignants ont le devoir d’accompagner les jeunes et de faire preuve à leur endroit de bienveillance, de leur laisser la possibilité d’explorer une variété de cheminements sans les stigmatiser ou les enfermer dans une voie ou l’autre". Les mesures d’accompagnement doivent être "élaborées de manière individuelle en se fondant sur les besoins exprimés par les élèves et leur famille". (lien archivé)
Ainsi, s'ils en expriment le besoin, les élèves peuvent être accompagnés par le personnel éducatif dans leurs questionnements sur leur genre, conformément à cette circulaire.
Lors de son intervention devant l'Assemblée nationale, Christelle D'Intorni a également affirmé que "les supports pédagogiques proposés à nos enseignants expliquent à nos enfants de 11 ans l’art de la fellation pour arriver à l’orgasme, ou les initient à la pratique de l’anulingus".
La députée fait ici référence au site onSEXprime, conçu par Santé Publique France, mettant à disposition des enseignants, mais aussi des parents et des adolescents eux-mêmes des ressources concernant la sexualité.
L'objectif de ces supports n'est pas d'initier les enfants à différentes pratiques sexuelles, mais de proposer à des adolescents des contenus répondant à leurs questions, validés par des experts. L'AFP s'est déjà penchée sur des affirmations similaires ici.
"Il n'y a aucune éducation aux pratiques sexuelles, on n'apprend pas les pratiques sexuelles dans ce programme. Ce sont des fausses informations", a de son côté affirmé la ministre de l'Education Anne Genetet sur SudRadio le 11 décembre.
L'éducation à la sexualité fait régulièrement l'objet de désinformation ou d'affirmations trompeuses. L'AFP s'était déjà intéressée aux contenus des manuels scolaires ici, ou encore aux fausses informations concernant le programme EVRAS en Belgique.