( AFP / Chris DELMAS)

Avec le second mandat Trump, les craintes d'une explosion de la désinformation

Donald Trump a été élu pour la deuxième fois président des Etats-Unis, à l'issue d'une campagne électorale marquée par un flot d'infox. Des experts interrogés par l'AFP estiment que ce second mandat risque d'ouvrir la voie à une nouvelle vague de désinformation, tant sur des sujets sanitaires que climatiques, avec une administration prête à défier la communauté scientifique.

Dans la dernière ligne droite de sa campagne, le républicain a notamment partagé de fausses affirmations sur un prétendu plafonnement de l'aide gouvernementale après le passage de l'ouragan Hélène en Caroline du Nord, un Etat-clé qu'il a remporté face à Kamala Harris.

Il a également une nouvelle fois remis en cause, sans preuves, le résultat de l'élection présidentielle de 2020, perdue face à Joe Biden, agitant le spectre de fraudes électorales.

Ces fausses affirmations ont été massivement diffusées sur les réseaux sociaux, devenus la source principale d'information pour de nombreuses personnes au détriment des médias traditionnels, dénigrés par le milliardaire. 

"Le problème de la désinformation n'a jamais été aussi grave", estime Bill Adair, fondateur du site de vérification PolitiFact (archives ici et ici).

Et pour enrayer ce flot, la modération des réseaux sociaux et la vérification des allégations "ne fonctionnent manifestement pas", selon ce spécialiste.

Alors même que la campagne électorale était en cours, divers sondages ont révélé qu'environ un tiers des Américains pensaient que l'élection de 2020 avait été "volée" par Joe Biden (archivé ici). Donald Trump n'a lui jamais reconnu sa défaite.

Une menace pour la lutte contre le changement climatique

Ouvertement climatosceptique et favorable au pétrole, le candidat républicain remettait déjà en cause l'existence du changement climatique lors de son premier mandat présidentiel et souhaite à nouveau retirer les États-Unis de l'accord de Paris sur le climat. Durant son premier mandat, 1 400 modifications ont été apportées par son administration aux sites d'agences traitant de sujets scientifiques (archivé ici), supprimant des informations scientifiques relatives aux questions environnementales telles que la pollution de l'eau, le changement climatique et les espèces en danger, selon l'Union of Concerned Scientists (UCS), groupe collaboratif  de scientifiques américains travaillant sur des solutions pour lutter contre le changement climatique.

En septembre 2020, alors que l'Etat de Californie faisait face à d'importants feux de forêts, il avait affirmé que ces incendies s'expliquaient uniquement par une mauvaise gestion forestière et l'incapacité des autorités locales à éliminer le bois mort, rejetant toute responsabilité du réchauffement climatique. L'affirmation avait ensuite été reprise et diffusée par de nombreux internautes sur les réseaux sociaux à l'image de cette publication Facebook, postée le 12 septembre 2020, attribuant les incendies à de "mauvaises pratiques forestières" et non au changement climatique.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 18 septembre 2020, avec ajout de croix rouge par l'AFP.

Face à cette désinformation alimentée par Donald Trump, l'équipe d'AFP Factuel avait publié un article de vérification en anglais. Quatre ans plus tard, engagé dans une course à la Maison Blanche, le milliardaire a promis pendant sa campagne de "forer à tout va" et a maintenu ses doutes quant à la réalité du changement climatique. 

Un discours dont se font également le relais ses soutiens comme la députée républicaine Marjorie Taylor Greene (archivé ici), très active sur X où plus d'un million de personnes la suivent. L'élue de Géorgie avait notamment amplifié des théories du complot en suggérant que HAARP, un programme de recherche américain sur l'ionosphère, était à l'origine de l'ouragan Hélène. Un narratif classique de la sphère climatosceptique que l'équipe d'AFP Factuel, basée à Washington, a réfuté dans cet article de vérification.

Dans les derniers jours de campagne, le 47e président des États-Unis affirmait au sujet de violents orages : "Il ne s'agit pas d'un réchauffement climatique, car à certains moments, la température commence à baisser un peu, comme aujourd'hui." Des déclarations qui font craindre une mise en péril des efforts mondiaux visant à freiner le changement climatique, objet d'un consensus scientifique et dont l'origine humaine est avérée.

Une analyse du média Carbon Brief, publiée en mars 2024, estimait que "les émissions annuelles de gaz à effet de serre des Etats-Unis seraient d'environ 1 GtCO2e plus élevées en 2030" en cas de victoire de Donald Trump que sous une présidence démocrate (archivé ici). "Ce qui entraînerait une augmentation cumulée d'environ 4GtCO2e d'ici cette année-là", évaluait le média.

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Capture d'écran du site Carbon brief, réalisée le 13 novembre 2024.

L'ombre du vaccino-scepticisme 

Le prochain mandat de Donald Trump soulève aussi des inquiétudes quant à la possible légitimation d'infox dans le domaine de la santé, étant donné la proximité de Trump avec Robert F. Kennedy Jr, dont l'organisation anti-vaccins Children's Health Defense (CDC) avait largement promu des théories du complot sur le Covid durant la pandémie (archivé ici).

Donald Trump avait annoncé, avant son élection, que l'ex-candidat jouerait un "rôle important dans la santé" au sein de son futur gouvernement.

"Pourquoi les gens ne s'inquiètent-ils pas que Trump veuille que Robert F. Kennedy Jr., une personne qui n'a aucune formation dans le domaine médical, soit en charge de la santé ? Cet homme encourage la désinformation sur les vaccins et les théories conspirationnistes sur la santé publique depuis des années", s'interroge sur X  Alma Hernandez, membre démocrate de la Chambre des représentants de l'Arizona (archivé ici).

En juin 2020, l'association américaine présidée par Robert Kennedy Jr avait diffusé sur Facebook un visuel représentant un fœtus in utero, avec la mention en anglais : "au moins deux des principaux vaccins contre le Covid contiennent du tissu fœtal. Découvrez ce que cela veut dire pour votre santé". 

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Capture d'écran d'Instagram, réalisée le 29 juin 2020, avec ajout de croix rouge par l'AFP.

Une fausse information partagée plusieurs milliers de fois en quelques semaines et que l'AFP avait à l’époque débunkée.

Le compte Instagram de l'avocat a été fermé en février 2021 "pour avoir partagé de façon répétée des allégations erronées à propos du coronavirus ou des vaccins", expliquait le réseau social dans un communiqué.

"Le chemin du président Trump vers la Maison Blanche a été une campagne sans précédent de désinformation, de menaces, d’une rhétorique vouée à diviser et de promesses politiques dangereuses. C'est normal de regarder vers les quatre prochaines années avec inquiétude", estime Kim Waddell, président par intérim de l'Union of Concerned Scientists (archivé ici).

Facteur X

Des chercheurs du site spécialisé NewsGuard ont recensé 963 sites et 793 comptes influents sur les réseaux sociaux ayant publié de fausses informations électorales pendant la campagne (archivé ici).

Si la désinformation n'a pas forcément été décisive dans la victoire du républicain, "Trump a très certainement été aidé par le refus apparent de Twitter/X de contenir ou d'atténuer la désinformation pro-Trump", estime Ethan Porter, professeur à l'université George Washington (archivé ici).

Le propriétaire du réseau social Elon Musk a amplifié lui-même la désinformation sur son réseau social via son compte personnel, suivi par plus de 200 millions de personnes.

Dans une vidéo partagée par Elon Musk en septembre 2023, la vaccination anti-Covid, qui a montré son efficacité contre les formes sévères de la maladie, est ainsi remise en cause. Le clip, qui compile des captures d'écran de titres d'articles liés aux vaccins, analysé par l'AFP, a été jugé trompeur et véhiculant de fausses informations sur les effets secondaires du vaccin.

En septembre, une analyse des publications d'Elon Musk sur son compte X sur les cinq mois précédents, menée par le New York Times, a établi que près d'un tiers de ses 171 messages contenaient une fausse information ou manquaient de contexte (archivé ici). 

Le milliardaire, également patron de SpaceX et Tesla, qui a soutenu la campagne du candidat républicain à coups de millions de dollars, dirigera une nouvelle "commission à l’efficacité gouvernementale" au sein de sa future équipe (archivés ici et ici).

Le président élu a convaincu les électeurs en partie grâce à une "structure médiatique de droite qui les a bombardés de mensonges et de griefs tout en les dissuadant de consulter d'autres sources d'informations, qu'il s’agisse de médias d'information traditionnels, du gouvernement ou d'experts du milieu médical", écrit Matt Gertz, membre de l'organisation Media Matters et expert des liens entre les médias de droite et le Parti républicain (archivé ici), dans un article publié sur son blog (archivé ici). 

Daniel Kreiss, professeur et chercheur à l'Université de Caroline du Nord, estime que l'incapacité du fact-checking et des médias traditionnels à endiguer l'essor de la désinformation pourrait être "dévastatrice" (archivé ici). "Nous allons être témoins de campagnes concertées visant à saper les institutions démocratiques et les normes démocratiques", dit-il.

L'élection présidentielle aux États-Unis a fait l'objet d'une grande vague de désinformation, sur laquelle l'équipe d'AFP Factuel a publié plusieurs articles, que vous pouvez retrouver ici ou ici.

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