Il existe bien un consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique
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- Publié le 26 août 2022 à 16:03
- Lecture : 9 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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"Il n'y a pas de consensus sur cette question, vous diffusez une fake news", "faux, aucun consensus", "réchauffement oui, dû aux activités humaines c'est incertain", commentent de nombreux internautes (1, 2, 3) sous les publications de nos articles sur la désinformation climatique, qui explose ces derniers mois sur les réseaux sociaux.
Alors que le Groupement international d'experts sur le climat (GIEC) et de nombreuses méta-études - c'est-à-dire des études qui résument systématiquement l'état de la recherche internationale - concluent que l'activité humaine est responsable du réchauffement climatique, ces internautes remettent en cause l'existence d'un consensus scientifique sur le sujet.
C'est faux, comme l'expliquent depuis de nombreux mois des experts à l'AFP.
Qu'est-ce qu'un consensus scientifique ?
Le consensus scientifique est le jugement, la position, et l'opinion collective des personnes de la communauté scientifique qui travaillent sur un domaine d'étude en particulier.
Selon le glossaire de Géoconfluences, proposé depuis 2003 par la Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) et par l'École Normale Supérieure de Lyon (ENS de Lyon) au nom du ministère de l'Éducation nationale, un consensus scientifique est une "vérité établie sur un ensemble de preuves vérifiables, acceptée par la communauté scientifique, valable pour une période donnée en fonction des connaissances de l'humanité à cette période".
Face aux accusations selon lesquelles un consensus ne veut rien dire, Fabio D'Andrea, chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique de l'École normale supérieure à Paris, précise que les scientifiques ne partent pas d'un consensus pour faire leurs études.
"On construit la connaissance à partir de procédures scientifiques formelles - preuve, contre preuve, expérience - on ne se base pas sur un consensus, on le rejoint ou non une fois qu'on arrive à un résultat", explique-t-il.
Le consensus scientifique se dégage ainsi de l'accumulation de connaissances et des études scientifique publiées sur un même sujet. L'unanimité n'est donc pas requise pour invoquer l'existence d'un consensus.
"La science ne nécessite pas que tout le monde soit d'accord. L'existence d'une opinion dissidente ne fait pas tomber tout l'édifice mais il faut regarder de quel côté tend la majorité", précise Fabio D'Andrea.
Au moins 97% des scientifiques s'accordent sur l'origine humaine du réchauffement climatique
Mais, aujourd'hui, "il n'y a plus de débat", affirment plusieurs experts contactés par l'AFP. "Il y a un consensus scientifique à 100% sur le fait que l'Homme influence le climat", commentait Xavier Fettweis, climatologue à l'Université de Liège (ULiège), dans un précédent article de vérification.
La très grande majorité des articles "publiés dans des revues sérieuses montrent l'accord des auteurs avec la théorie de l'origine humaine de la hausse des températures", abondait Jean-Pascal van Ypersele dans le même article.
Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique. En 2004, elle avait réalisé une étude sur les 928 articles scientifiques, évalués par des pairs, sur le changement climatique, publiés entre 1993 et 2003.
Ce processus de sélection est indispensable pour ne garder que les experts du climat, qui disposent donc d'une légitimité, et écarter l'opinion de personnes qui n'ont pas travaillé dans ce domaine.
"Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec la position consensuelle selon laquelle le réchauffement climatique des cinquante dernières années est principalement d'origine anthropique, écrivait-elle.
Depuis, de nombreuses autres études ont également corroboré ces conclusions.
En 2016, John Cook, chercheur à l'université Monash en Australie, a réalisé une méta-analyse sur le pourcentage de scientifiques reconnaissant l'origine humaine du réchauffement climatique. Il arrive au résultat d'un "consensus sur le consensus", les résultats oscillant entre 90 et 100%, selon la question exacte, le moment, et la méthode d'échantillonnage.
Des résultats "cohérents", écrivent les auteurs, avec une précédente étude publiée en 2013, évaluant le consensus à 97% sur la base de 11.944 articles publiés sur le réchauffement climatique entre 1991 et 2011.
Ainsi, seulement 3% des scientifiques ayant publié une étude sur le réchauffement climatique ne sont pas d'accord avec son origine humaine.
Dans leur conclusion, les auteurs écrivent : "le niveau de consensus scientifique sur le réchauffement climatique anthropique est extrêmement élevé car les preuves à l'appui sont extrêmement fortes".
Depuis, c'est ce chiffre de 97% qui est principalement retenu pour évoquer le consensus scientifique sur les causes humaines du réchauffement climatique.
Une étude plus récente, publiée le 19 octobre 2021 dans les Environmental Research Letters, évalue même ce consensus scientifique à 99%. A partir des 88.125 études sur le climat publiées depuis 2012, les auteurs en ont sélectionné 3.000 par "randomisation" - c'est-à-dire qu'elles ont été tirées au sort conformément à la méthode scientifique afin de garantir l'absence de tout biais de sélection. - Parmi elles, seules quatre ont été classés comme implicitement ou explicitement sceptiques sur l'origine humaine du réchauffement climatique.
"Nous concluons, avec une confiance statistique élevée, que le consensus scientifique sur l'origine humaine du changement climatique contemporain, exprimé en proportion total de publications, dépasse les 99% dans la littérature scientifique évaluée par les pairs", écrivent les auteurs.
Le GIEC, source fiable et reconnue
Le GIEC est la référence mondiale sur le climat. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), ce groupe d'experts réunit des milliers de spécialistes des sciences de l'atmosphère, océanographes, glaciologues, économistes... et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007.
Le GIEC est divisé en trois groupes d'experts, nommés par les différents gouvernements et organisations internationales : le premier étudie les preuves scientifiques du réchauffement, le deuxième ses impacts et le troisième présente les solutions envisageables pour l'atténuer.
Le budget annuel du GIEC est d'environ six millions d'euros et la base de contributions volontaires des Etats-membres, indique le site du ministère de la Transition écologique. La contribution de la France s'élève à un million d'euros et est alimentée par trois ministères : celui de la Transition écologique, celui des Affaires étrangères, et celui de la Recherche.
Le site du ministère de la Transition écologique précise également que "les groupes de travail sont composés de scientifiques s'engageant bénévolement comme experts". Comme le décrit aussi l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae), les scientifiques sont "sélectionnés par le bureau du GIEC sur la base de critères scientifiques à partir d'une liste proposée par les Etats. Ils ne reçoivent aucune rémunération supplémentaire pour ce travail".
Contrairement aux idées reçues, le GIEC ne produit pas d'études à proprement parler. Son rôle est de se plonger dans les milliers de publications scientifiques consacrées au sujet, expertiser les dernières connaissances, et présenter une synthèse équilibrée aux décideurs.
"Les experts du GIEC se basent uniquement sur des papiers évalués par des pairs", a expliqué le 3 août à l'AFP le climatologue Xavier Fettweis. "A chaque rapport, des scientifiques forment des équipes chargées de différents chapitres. Ensuite, toute la communauté scientifique est appelée à examiner ces chapitres et il y a des réunions dans chaque pays."
Le GIEC explique d'ailleurs tout ce processus sur son site internet : comment il sélectionne ses auteurs, sur quels documents le GIEC se fonde, comment fonctionne son processus d'examen, comment il approuve les rapports...
Dans le premier volet de son dernier rapport d'évaluation, publié le 9 août 2021, le GIEC affirme que le réchauffement climatique est "sans équivoque" et qu'il est "incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres".
Dans son cinquième rapport, il écrivait qu'il est "extrêmement probable que plus de la moitié de l'augmentation observée de la température moyenne à la surface du globe" de 1951 à 2010 ait été causée par l'activité humaine.
Pour être le plus précis possible sur le degré de consensus sur une certaine conclusion, le GIEC utilise d'ailleurs une liste de qualificatifs en fonction du niveau de confiance, indiqués en italique dans ses rapports.
"Les termes suivants servent à indiquer la probabilité d'un résultat : quasiment certain, probabilité de 99–100 %, très probable 90–100 %, probable 66–100 %, à peu près aussi probable qu'improbable 33–66 %, improbable 0–33 %, très improbable 0–10 %, exceptionnellement improbable 0–1 %. Des termes supplémentaires (plus probable qu'improbable >50–100 %, et plus improbable que probable 0–50 %) peuvent également être employés", décrit le GIEC.
L'origine humaine du réchauffement climatique est ainsi classée par le GIEC dans la catégorie "extrêmement probable" - "very likely" - signifiant donc une probabilité comprise entre 90 et 100%.
On retrouve cette tendance dans des graphiques contenus dans le rapport du GIEC publié en août 2021.
De plus, depuis le premier rapport, les projections du GIEC se sont avérées plutôt correctes, a expliqué Xavier Fettweis : "Quand on regarde les projections du GIEC des rapports de 2001 et de 2007, le réchauffement anticipé est exactement celui qu'on observe", a déclaré le climatologue dans cet article de vérification.
Plusieurs climatologues ont comparé les projections des experts du GIEC avec les températures réellement observées, expliquait déjà Libération en 2019.
Ainsi, les auteurs d'un article publié sur la plateforme Carbon Brief (financée par la Fondation européenne pour le climat) estimaient en 2017 que "les modèles climatiques publiés depuis 1973 ont généralement été assez bons dans la prévision du réchauffement futur. Si certains étaient trop faibles et d'autres trop élevés, ils présentent tous des résultats raisonnablement proches de ce qui s'est réellement produit, en particulier lorsque les écarts entre les concentrations de CO2 prévues et réelles et les autres forçages climatiques sont pris en compte".
Dans le premier chapitre du sixième rapport d'évaluation du GIEC, les scientifiques ont établi un schéma comparant les projections des courbes de températures de précédents rapports du groupe avec celles de plusieurs climatologues - tels que Syukuro Manabe ou James Hansen - et les températures réellement observées.
On observe que les projections correspondent assez bien aux températures réellement observées, avec des différences qui n'excèdent pas 0,2°C.
Les rapporteurs du GIEC indiquent dans leur dernier rapport que les impacts du réchauffement climatique, déjà observables depuis plusieurs années, vont continuer à se multiplier et à s'intensifier si le changement climatique se poursuit au même rythme.
Ainsi, 1/3 des espèces pourrait s'éteindre d'ici à 2070, la production de maïs devrait chuter de 1/5 à 1/3 d'ici la fin du siècle et les récifs coralliens, qui ont déjà atteint la limite de leur adaptation, pourraient totalement disparaître d'ici à 2040 si le seuil des +1,5°C est franchi.
Ces dernières semaines, l'AFP a vérifié plusieurs publications sur le climat, notamment concernant les modèles climatiques, la glace de mer arctique, une étude de la NASA sur la masse de glace de l'Antarctique, ou encore sur les températures en Arctique.