Présidentielle américaine : attention à cette vidéo, qui ne prouve pas une fraude électorale
- Publié le 05 novembre 2024 à 18:42
- Lecture : 8 min
- Par : Nahiara S. ALONSO, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Océane CAILLAT , AFP France
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"État du Kentucky : sur les machines à voter, quand vous tentez de voter #Trump ça donne #Harris !", raille Florian Philippot, président du mouvement Les Patriotes, dans une publication sur X postée le 1er novembre 2024 et depuis partagée par plus de 4000 autres utilisateurs.
"Kentucky : cette machine à voter a été saisie. Elle refuse la sélection Trump et bascule automatiquement sur Kamala Harris", écrit un autre utilisateur de X dans une publication postée le 31 octobre 2024, relayée par plus de 5000 autres comptes du réseau social.
Ces deux utilisateurs relaient la même vidéo. On y voit une main tenter de cocher, sur un écran, la case à côté du nom de Donald Trump. Mais, après plusieurs tentatives, c'est finalement le nom de Kamala Harris, situé juste en dessous, qui est sélectionné s'affichant en vert. Les internautes sous-entendent ainsi, ces images à l'appui, que cet appareil électoral ne permet pas de voter pour Donald Trump et que cela prouverait l'existence d'une fraude électorale, favorable à la candidate démocrate.
Cette allégation, accompagnée de cette même vidéo, a aussi circulé dans d'autres langues notamment en anglais, en espagnol, en portugais, en grec et en allemand.
Un stylo numérique
Contacté par l'AFP, James Young, expert en solutions d'inclusion pour les électeurs en situation de handicap, affirme que cette vidéo "ne montre aucune activité frauduleuse ou changement de vote" (archivé ici), estimant que ce type de publication vise à semer le doute sur le scrutin présidentiel et est "dangereux pour ceux qui sont sensibles à la désinformation" alors que "le processus de vote au Kentucky est absolument sûr".
James Young, qui a également travaillé comme directeur des élections et greffier adjoint du comté de Jefferson dans le Kentucky, a confirmé à l'AFP que la machine figurant dans la vidéo était un Ballot marking device (en français, un appareil de marquage des bulletins de vote). Un appareil électronique qui "offre confidentialité et indépendance si vous ne pouvez pas ou si vous ne choisissez pas de voter avec un stylo", comme le décrit le site officiel du Secrétaire d'Etat du Minnesota (archivé ici). Ce dispositif vise "à rendre le vote accessible aux personnes en situation de handicap", précise de son côté l'organisation The Council of State Governments (archivé ici).
"Il s'agit essentiellement d'un stylo numérique", résume de son côté James Young. Cet appareil "n'enregistre pas les votes, il remplit un bulletin de vote papier pour l'électeur", a-t-il poursuivi. Toujours selon James Young, pour que l'électeur accède à cette interface, il doit d'abord insérer un bulletin de vote dans la machine afin de l'activer. Ensuite, il est invité à sélectionner son choix sur l'écran avant de valider l'impression. Le bulletin doit ensuite être scanné pour que le vote soit enregistré.
"Il est important de comprendre cela, car la vidéo elle-même donne l'impression que la machine "inverse le vote"" mais "l'unité n'est qu'un appareil permettant de marquer les bulletins de vote. Il n'a émis ni compté aucun bulletin de vote", explique James Young, ajoutant que l'électeur doit ensuite confirmer que le vote inscrit est correct. L'expert identifie l'appareil comme le modèle ES&S ExpressVote (archivé ici). Des appareils certifiés par la Commission d'assistance électorale des Etats-Unis et le Conseil des élections de l'Etat du Kentucky, qui sont régulièrement utilisés dans une trentaine de comtés du Kentucky (archivé ici et ici).
Alors que cette vidéo se propageait sur les réseaux sociaux, Tony Brown, responsable des élections du comté de Laurel a réfuté cette allégation sur son compte Facebook dans une publication, postée le 31 octobre 2024 (archivé ici). Dans celle-ci, il partage une vidéo où il sélectionne sans aucune difficulté et tour à tour, chaque nom affiché sur l'écran. En légende de cette vidéo, il raconte que le bureau du procureur général s'est rendu sur place pour vérifier l'appareil diffusé viralement sur les réseaux sociaux. "En toute honnêteté, après plusieurs minutes de tentatives pour recréer le scénario [de la vidéo virale, NDLR], celui-ci s'est produit. Pour cela, il a fallu toucher une zone située entre les cases. Nous avons ensuite essayé pendant plusieurs minutes de reproduire le même scénario, mais en vain", explique-t-il.
Dans son long message, il rappelle ensuite que pour les électeurs une confirmation de la sélection effectuée sur l'écran est demandée "à deux reprises avant d'imprimer le bulletin". De plus, une fois le bulletin imprimé, l'électeur en cas d'erreur peut encore" annuler ce bulletin et en recevoir un nouveau. La loi du Kentucky n'autorise que deux bulletins invalidés". Tony Brown conclut sa publication en précisant que l'électeur à l'origine de la vidéo "a déposé son bulletin de vote et l'a déclaré correct".
Des élections sécurisées
Le conseil des élections de l'État du Kentucky a également commenté l'incident dans un communiqué, publié le 1er novembre, insistant sur le fait que la machine ES&S Express vote est "un dispositif de marquage des bulletins de vote" et qu'un vote "n'est pas exprimé tant que le papier n'est pas déposé dans le scanner". "D'après les déclarations faites par l'électeur au greffier, il a pu utiliser l'écran tactile correctement" et "a pu déposer un bulletin de vote" en faveur de Donald Trump, précise le communiqué. Le texte précise aussi que "malgré le fait que le greffier du comté n'est pas parvenu à reproduire ce que l'électeur a allégué", il a arrêté la machine et a contacté le bureau du procureur général.
"Plus de 1700 électeurs du comté de Laurel ont voté avec succès le 31 octobre 2024, et ni le Conseil national des élections ni le greffier du comté de Laurel n'ont été informés d'autres problèmes avec les écrans tactiles ExpressVote ou les scanners de bulletin de vote DS200 du comté ce jour-là.", affirme également le communiqué.
Le procureur général du Kentucky, Russell Colleman, a lui aussi fait part, dans un message posté sur son compte X (archivé ici), du fait que son département des enquêtes criminelles (DCI) "a répondu rapidement à la plainte du comté de Laurel" et que tous les électeurs du Kentucky peuvent avoir l'assurance que "les élections sont sécurisées et que tout problème potentiel sera résolu rapidement".
Cette allégation a aussi été réfutée par le secrétaire d'Etat du Kentucky, le républicain Michael Adams, dans une publication postée sur X, le 31 octobre 2024 (archivé ici et ici). Dans celle-ci, il affirme : "Il n'y a pas de "retournement de vote". L'électeur a confirmé que son bulletin avait été imprimé correctement marqué du candidat de son choix. Prenez vos informations sur le vote depuis des sources légitimes, pas TikTok."
Contactée par l'AFP, Election Systems & Software (ES&S), fournisseur d'équipements et de services électoraux aux Etats-Unis, a certifié que "les machines à voter à écran tactile ne changent pas le vote" et que "la plupart du temps, les cas signalés sont dus à un électeur ne touchant pas la zone du texte au bon endroit" et essayant de "toucher la petite case à cocher" située à l'extrémité de la zone à sélectionner (archivé ici et ici).
Actuellement, une autre vidéo similaire circule sur les réseaux sociaux. Les internautes suggèrent que des appareils utilisés dans l'Arkansas ne permettent pas d'enregistrer le choix de Donald Trump. Cette allégation a également été réfutée par plusieurs responsables électoraux auprès de l'AFP dans cet article de vérification publié par l'équipe d'AFP Factuel, basée à Washington.
Un contexte électoral propice aux infox
Les résultats du scrutin présidentiel pourraient être très serrés, avec un décompte des voix pouvant s'étaler sur plusieurs jours. Une situation qui ne devrait pas manquer d'attiser les accusations de trucage de l'élection sur les réseaux sociaux. Les appareils mis à disposition dans le cadre de la présidentielle américaine avaient déjà, en 2020, été la cible de nombreuses infox avec pour thème central la fraude électorale.
Ces accusations infondées avaient lourdement entaché l'élection présidentielle américaine avec pour point culminant l'assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, durant lequel des centaines de partisans de l'ancien président des Etats-Unis avaient envahi le sanctuaire de la démocratie américaine.
L'élection de 2024 se déroule sous haute surveillance. Les autorités ont mis en place des mesures exceptionnelles pour renforcer la sécurité physique du personnel électoral, mais aussi celui des bulletins de vote eux-mêmes. Le FBI a ainsi mis en place un poste de commandement national à Washington pour surveiller les menaces 24 heures sur 24 toute la semaine. Selon le Pentagone, au moins 17 Etats ont placé au total plusieurs centaines de soldats en état d'alerte. Le niveau d'alerte est particulièrement élevé dans les Etats-clés, dit "swing states", considérés comme décisifs pour la victoire finale.
La course à la Maison Blanche fait l'objet d'une grande campagne de désinformation inondant les réseaux sociaux d'affirmations fausses ou trompeuses. L'équipe d'AFP Factuel a déjà publié de nombreux articles de vérification à ce sujet notamment sur le vote anticipé ou sur de faux sondages.