Une photo d'un soldat blanc qui se cache derrière un "soldat africain" pendant la Seconde Guerre mondiale ? C'est trompeur
- Publié le 14 novembre 2024 à 17:40
- Lecture : 4 min
- Par : Alexis ORSINI, AFP Afrique
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"Vous ne verrez jamais cette photo publiée dans les médias des occidentaux car ça montre directement leur faiblesse et leur mensonge du siècle vis-à-vis de nous les africains", soutient un internaute dans un message partagé sur X, le 20 octobre 2024.
"Sachez, avant que les français viennent intervenir en Afrique, hé pardon viennent terroriser la population africaine à travers des mercenaires légionnaires, nos grands-parents avaient déjà participé à la libération de leur pays contre les nazis qui ont pris des villes et y siéger. Voyez l'image, un soldat blanc qui se cache derrière un guerrier farafing (africain). Nous avons toujours été des braves", poursuit-il, en légende de la photo en noir et blanc accompagnant son message.
On y voit un homme blanc, en tenue militaire, qui semble se cacher derrière un homme noir vêtu du même uniforme et armé d'un fusil.
Mais cette photo - qui circule depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux avec des légendes similaires, la datant notamment de la "guerre mondiale" (1, 2), ou encore dans des occurrences en anglais, évoquant un soldat britannique qui se cacherait derrière un soldat somalien pendant la campagne de Birmanie entre 1942 et 1945 - est sortie de son contexte.
Elle n'a pas été prise pendant la Seconde Guerre mondiale mais fin mars 1967, à Djibouti (à l'époque encore sous administration française sous le nom de Côte française des Somalis), à la suite d'un référendum aux résultats contestés, comme l'AFP a pu l'établir en remontant à la source du cliché.
De plus, d'autres clichés pris au même moment montrent de nombreux autres soldats, donc plusieurs semblent s'abriter derrière un camarade, y compris un soldat blanc derrière un autre soldat blanc.
Une photo prise pendant les émeutes de Djibouti en 1967
Une recherche inversée d'image sur Google Lens permet en effet de retrouver cette prise de vue dans son entièreté, parmi les autres occurrences disponibles en ligne, dans une publication Facebook de la page "Djib-Live" publiée en juin 2018.
On y retrouve l'homme en uniforme qui semble caché derrière son camarade, mais également, à leurs côtés, d'autres soldats munis de fusils, qui regardent tous dans la même direction.
"22 mars 1967, Djibouti --- Des soldats français, armés de fusils, sont en état d'alerte lors d'émeutes à Djibouti provoquées par un référendum falsifié produit par le gouvernement français, affirmant qu'une majorité d'électeurs avait voté pour le maintien du régime français. Les résultats manipulés du vote ont été obtenus par l'arrestation des dirigeants de l'opposition et l'expulsion de la population", indique la légende de cette publication contenant une autre photo en noir et blanc d'hommes en uniforme.
Grâce au sigle "Corbis" discernable sur cette occurrence de la photo, l'AFP a pu poursuivre ses recherches avec les mots-clé "Corbis", "Djibouti", "manifestation" et "1967", et ainsi trouver une occurrence, sur la plateforme Flickr, de la photo (lien archivé), mise en ligne en mai 2007.
En plus de renvoyer vers une page aujourd'hui supprimée du site d'achat et de vente de photographie Corbis, la légende Flickr de cette photo indique qu'elle aurait été prise par le photojournaliste français Henri Bureau, et précise le contexte de cette scène : "22 mars 1967, Côte française des Somalis --- Des soldats français, armés de fusils, en état d'alerte pendant des émeutes à Djibouti provoquées par un référendum falsifié organisé par le gouvernement français, déclarant qu'une majorité d'électeurs ont voté pour la continuité de la gouvernance française. Les résultats manipulés du vote ont été obtenus grâce à l'arrestation de leaders d'opposition et l'expulsion de la population".
L'agence Getty Images, qui gère aujourd'hui l'ancien fond de Corbis, a indiqué à l'AFP, le 13 novembre 2024, que cette photo figurait bien dans ses archives, avec la légende "Emeutes à Djibouti", la date du 22 mars 1967, et sous la mention "Bureau" - vraisemblablement en référence à Henri Bureau, qui était bien présent le 22 mars 1967 à Djibouti, comme le montre l'un des clichés disponibles sur le site officiel (lien archivé) du photojournaliste décédé en 2014.
L'AFP a pu consulter d'autres clichés pris au même moment -fournis par Getty- des soldats français déployés à Djibouti, un Etat devenu indépendant en 1977 (lien archivé). Dans ces différentes scènes, on peut voir des soldats semblant à certains moment s'abriter derrière d'autres : par exemple, le soldat noir derrière un camarade blanc mais aussi, sur une autre photo, un soldat blanc qui semble s'abriter derrière un autre soldat blanc.
Comme l'affirme le message publié sur X en octobre 2024, des soldats du continent africain ont en revanche bien participé à la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi que le rappelle le site du Musée de l'histoire de l'immigration (lien archivé), "les coloniaux ont payé leur tribut à la guerre contre l’Occupant de la France", les autorités de l'époque dénombrant "21.500 Africains et Malgaches, et 16.600 Maghrébins" tués entre 1939 et 1945.