Attention à ces publications mettant en parallèle les émissions de CO2 liées aux éruptions volcaniques et celles liées à l'agriculture
- Publié le 12 juillet 2024 à 15:34
- Lecture : 13 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"Il existe actuellement 29 volcans qui rejettent 120 000 tonnes de CO₂ par jour dans l'atmosphère, mais - les pets de vaches changent le climat ?", ironise une publication collectant plus de 2.500 partages depuis le 6 juillet, diffusée par le compte de l'"Association des climato-réalistes", déjà épinglé à plusieurs reprises pour diffuser des affirmations erronées sur le réchauffement climatique par l'AFP (comme ici, ici ou là), relayant une image de volcan en éruption ainsi qu'une carte du monde sur laquelle apparaissent des positions de volcans.
Des messages similaires, interrogeant parfois directement la responsabilité des humains dans les émissions de CO2 qui mènent au changement climatique, pourtant établie par la communauté scientifique, ont circulé en français et anglais sur X, sur Threads, sur Facebook et sur des blogs, partagées par des internautes basés en France et au Québec.
Ils sont très relayés alors que des mesures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre liées à l'agriculture font régulièrement débat (lien archivé ici) au sein des institutions européennes, et que les volcans siciliens l'Etna et le Stromboli sont entrés en éruption début juillet.
Ces messages s'inscrivent dans une série d'affirmations fallacieuses régulièrement brandies pour tenter de mettre en cause la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, et visant à sous-entendre que toute action pour tenter de limiter les émissions de gaz à effet de serre serait inutile. L'AFP en avait déjà vérifié de semblables au sujet d'une éruption de l'Etna en 2023.
Les publications mettent en perspective des émissions de gaz à effet de serre liées à l'agriculture et les émissions de CO2 liées aux éruptions volcaniques. Or, les données montrent que les émissions liées à l'agriculture sont plus importantes que celles liées à l'activité volcanique, et surtout, une telle comparaison est trompeuse car elle met sur le même plan des émissions "naturelles" et anthropiques (causées par l'activité humaine) de gaz à effet de serre (GES). Or, ce sont bien ces dernières qui sont responsables du réchauffement du climat enregistré depuis la période pré-industrielle, comme établi par la communauté scientifique depuis des dizaines d'années.
Un raisonnement trompeur ancien
Le raisonnement sous-entendu par ces publications est trompeur et ancien : comme l'avaient déjà rappelé des chercheurs dans cet article de l'AFP de 2023, les émissions annuelles de dioxyde de carbone liées à l'ensemble des volcans sont bien inférieures aux émissions anthropiques (produites par les humains) sur une année.
Les chercheurs interrogés à l'époque par l'AFP s'appuyaient sur les chiffres du Deep Carbon Observatory (DCO), une équipe de 500 scientifiques spécialisés sur les émissions de CO2 sur terre et qui détaille la façon dont le carbone est stocké, émis et réabsorbé lors de processus naturels ou humains (lien archivé ici).
Dans une série d'études publiées dans la revue Elements en 2019, le DCO explique que les volcans participent bien aux émissions de CO2 à l'échelle mondiale, mais précise que leur responsabilité dans le dérèglement climatique est bien moindre que les émissions anthropiques.
Les émissions de CO2 relâchées chaque année par les volcans (endormis et en éruption) tournent en effet autour de 0,28 à 0,36 gigatonnes en moyenne par an, selon le DCO.
Des estimations plus basses, figurant dans un autre article de recherches publié en 2019 qui se concentre sur la période allant de 2005 à 2015, mentionnent de 0,05 à 0,36 gigatonnes de CO2 en moyenne par an (lien archivé ici).
De leur côté, les activités humaines (transport, industrie, agriculture, chauffage, etc.) ont émis 40,6 gigatonnes de CO2 pour l'année 2022 selon le Global Carbon project (lien archivé ici) - soit plus de 100 fois plus que les émissions liées aux volcans.
Les émissions de CO2 volcaniques représentent ainsi "moins de 1% des émissions de CO2 des activités humaines", souligne Sébastien Guillet, paléo-climatologue à l'Institut des sciences de l'environnement de l'université de Genève.
"Il est donc incorrect d'affirmer que les émissions de CO2 liées aux éruptions volcaniques ont un impact plus important sur le réchauffement climatique que les émissions d'origine humaine", résume-t-il auprès de l'AFP le 11 juillet 2024.
"Les climato-sceptiques se jettent sur les volcans en les considérant comme possible plus gros émetteur de CO2, mais ce n'est tout simplement pas le cas", avait déjà déploré (lien archivé ici) Marie Edmonds, co-autrice de l'étude directrice de recherches au département des sciences de la terre à l'Université de Cambridge, à l'AFP lors de la sortie de l'étude du Deep Carbon observatory.
Une "cinquantaine" de volcans éruptent chaque année
Dans les publications mises en avant ici, la comparaison est un peu plus précise, puisqu'elle met en parallèle les "29 volcans qui rejettent 120 000 tonnes de CO₂ par jour dans l'atmosphère" avec les émissions liées aux "pets des vaches" - et donc plus généralement à l'agriculture.
A noter ici que les messages sur les réseaux sociaux semblent confondre les "pets des vaches" avec leurs éructations (ou rots), car ce sont ces dernières qui sont responsables de la plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre, et de méthane en particulier, comme détaillé dans cette dépêche de l'AFP de 2015 (archivée ici), et dans cet article de vérification de décembre 2023.
Si les chiffres concernant les volcans actifs et la quantité de CO2 rejetée mentionnés ne sont pas sourcés et pas tout à fait exacts, ils correspondent néanmoins à des ordres de grandeur plausibles, mais il convient de les remettre dans leur contexte, relèvent les chercheurs consultés par l'AFP.
Les données au 11 juillet du "Global Volcanism Program", un programme de recherches américain utilisé comme référence par des chercheurs, "suggèrent que 46 volcans sont actuellement actifs depuis juin, et non 29", indique Sébastien Guillet.
Les émissions de CO2 des volcans sont aujourd'hui surveillées par les volcanologues, qui s'appuient sur des mesures réalisées "avec des instruments situés à coté des volcans surveillés", puis analysées à partir de "modèles mathématiques qui estiment à partir de la hauteur du panache observe quels gaz sont émis et en quelles quantités", détaille Cathy Clerbaux, directrice de recherches au CNRS (lien archivé ici), le 11 juillet à l'AFP.
"Il y a environ 1500 volcans actifs recensés, et une cinquantaine qui éruptent chaque année, dont une quinzaine sont actifs en permanence. On peut trouver des chiffres ponctuels pour les émissions de CO2 pour les volcans très surveillés (et on trouve effectivement des chiffres comme 120.000 tonnes par jour), mais il est difficile d'avoir une estimation globale, car c'est très variable dans le temps et par volcan", résume ainsi la scientifique.
Dans le détail, en reprenant les estimations de l'étude qui avait conclu à des émissions moyennes des régions volcaniques de "0,05 à 0,36 Gt de CO2 par an", on peut obtenir, en divisant ces chiffres par 365 (nombre de jours moyen d'une année), une moyenne d'environ entre "140.000 à 990.000 tonnes de CO2 par jour", relève ainsi Yves Moussalam, volcanologue et professeur associé au département des sciences de la Terre et de l'environnement de l'université américaine Columbia, auprès de l'AFP le 11 juillet.
"Par contre, tous les volcans n'émettent pas la même quantité. Donc les 'gros' émetteurs sont responsables d'une très grande partie de ce total", note-t-il, s'appuyant sur l'étude publiée en 2019. En considérant la contribution des 29 premiers volcans mentionnés dans cette étude (comme indiqué dans la publication), "on obtiendrait 27.000 Kt de CO2 par an soit 74.000 tonnes de CO2 par jour".
Les chiffres mentionnés dans les publications emploient donc une estimation "assez haute mais dans le bon ordre de grandeur par rapport à notre connaissance actuelle", conclut le volcanologue.
Mais si ces chiffres sont relativement corrects, les comparer avec les émissions liées à l'agriculture est peu pertinent et ne remet en aucun cas en cause le rôle des émissions d'origine humaine dans le réchauffement climatique, relèvent les spécialistes interrogés par l'AFP.
Les émissions liées à l'agriculture
D'abord, il faut noter que les gaz à effet de serre émis par l'agriculture ne sont pas uniquement du CO2 mais principalement du méthane (CH4) et du protoxyde d'azote (N20), comme indiqué dans le chapitre du dernier rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), considéré comme une référence pour les connaissances liées au climat, dédié à l'agriculture (lien archivé ici).
Pour pouvoir comparer les émissions de ces différents gaz, "les scientifiques ont tendance a parler en 'équivalent CO2'", qui correspond à "une unité de mesure introduite par le GIEC pour quantifier l'impact des différents gaz à effet de serre, en prenant comme référence le CO2, qui est le principal gaz à effet de serre", qui "permet de comparer les émissions des gaz à effet de serre grâce à une seule et même unité de mesure", explique Cathy Clerbaux.
Cet "équivalent CO2" est "établi à partir du 'potentiel de réchauffement' des différents gaz", abonde la spécialiste, soulignant que "le CH4 et le N2O sont des gaz avec un potentiel de réchauffement supérieur au CO2 (mais il y en a beaucoup moins dans l'atmosphère)".
Or, l'agriculture représente "entre 10 et 20% des émissions totales" de gaz à effet de serre, selon Cathy Clerbaux.
Dans un article publié dans la revue de l'Institut polytechnique de Paris mentionne par exemple que "le secteur agricole est responsable de 23 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, soit 12 Gt de CO2 par an".
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estimait ainsi dans un rapport (archivé ici) publié en 2018 que cette année-là, "les émissions totales dues à l'agriculture (incluant les fermes et l'utilisation des terres) étaient de 9,3 Gt d'équivalent CO2".
Les émissions liées à l'élevage avaient quant à elles "généré 3 Gt d'équivalent CO2", selon le même document.
Ainsi, en considérant que "si les activités humaines émettent 100 fois plus de CO2 que les volcans par jour, et si les activités agricoles contribuent pour 10-20% des gaz à effet de serre au total émis par les activités humaines, on trouve donc que les activités agricoles émettent 10 à 20 fois plus d'équivalent CO2 que les volcans", détaille Cathy Clerbaux.
En considérant les émissions strictement liées à l'élevage d'après les chiffres de la FAO, ces émissions restent près de 10 fois plus importantes que celles liées aux volcans.
Ces estimations restent néanmoins limitées car elles utilisent des données liées à des équivalents CO2 - et non aux émissions directes de CO2 liées à l'agriculture, qui sont faibles puisque l'agriculture émet plutôt d'autres gaz à effet de serre.
"En résumé, on peut dire que les volcans (qui émettent pas mal de de CO2) en émettent probablement autant que l'agriculture qui émet peu de CO2 mais beaucoup de CH4 et de N2O. Mais on ne peut pas dire que la quantité totale de gaz à effet de serre (CO2-équivalent) émise par les volcans est plus importante ou du même ordre de grandeur due celle émise par les activités humaines, et c'est ça qu'on doit regarder pour les perturbations du climat", explicite Cathy Clerbaux.
Les activités humaines responsables du changement climatique
Tenter de comparer des émissions "naturelles" de CO2 (comme celles des éruptions volcaniques) avec des émissions anthropiques est un argument récurrent dans les discours remettant en cause la responsabilité des humains dans le changement du climat, dans le but d'assurer que toute politique visant à les réduire serait inutile. L'AFP avait par exemple déjà vérifié de telles allégations ici ou là. Pourtant, il existe aujourd'hui un consensus scientifique établissant la responsabilité des humains dans le réchauffement.
Les rapports publiés successivement par le GIEC font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale sur le climat en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d'étude du climat se perfectionnent.
Dès sa première vague de rapports (lien archivé ici), en 1990-1992, le GIEC se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l'effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre".
Les rapports suivants n'ont cessé depuis de le confirmer et le préciser. Le GIEC en est à son sixième rapport (publié en août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d'emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".
La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines. Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.
Une ancienne photographie
Revenons enfin sur les illustrations utilisées dans les posts sur les réseaux sociaux. Une recherche d'image inversée à partir de la première nous a menés vers un article du site "Etna 3340°", qui publie des actualités liées à l'Etna et propose des excursions autour du volcan sicilien. Il mentionne une éruption de ce volcan le 7 mars 2021, et attribue la photo à "Fernando Famiani", nom que l'on peut par ailleurs apercevoir en haut à droite de l'image.
On peut en effet la retrouver, postée le 7 mars 2021 sur la page Facebook (lien archivé ici) de cet homme qui se présente comme photographe et y publie divers clichés, dont plusieurs du volcan sicilien en éruption.
L'autre visuel, qui montre une carte avec des triangles représentant des volcans, semble être issu du site "Volcanodiscovery.com" (lien archivé ici), qui propose notamment une carte recensant les éruptions volcaniques dans le monde. La date en haut de l'image mentionne qu'elle montrerait l'activité volcanique au 6 juillet 2024.
En consultant les archives sur le site "Volcanodiscovery.com", on peut retrouver une carte semblable au 6 juillet(archivée ici) , qui ajoute néanmoins des volcans ayant enregistré une "activité mineure" (en orange) en plus de ceux "en éruption" (en rouge).
Ce n'est pas la première fois que de telles allégations sur l'activité volcanique circule. Ces dernières années, l'AFP a vérifié plusieurs affirmations similaires concernant d'autres éruptions en Indonésie ou à La Palma.