
Une carte des "églises incendiées ou détruites" ces quatre dernières années ? C'est faux
- Publié le 12 juillet 2024 à 17:28
- Mis à jour le 16 juillet 2024 à 14:02
- Lecture : 5 min
- Par : Océane CAILLAT, Alexis ORSINI, AFP France
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"La flèche de la cathédrale de Rouen est en feu. Sûrement un pigeon pyromane ayant mal éteint son mégot, comme à Notre-Dame... À côté la carte des églises brûlées ces 4 dernières années en France, étonnant ce truc qui fait que ça crame autant les églises", "CARTE DES ÉGLISES INCENDIÉES OU DÉTRUITES CES 4 DERNIÈRES ANNÉES EN FRANCE... Et au lieu de nous parler d'anti-catholicisme, on nous parle que d'antisémitisme..." : sur X (ex-Twitter) - 1, 2 -, le 11 juillet 2024, peu après l'incendie (rapidement maîtrisé) de la flèche de la cathédrale de Rouen, plusieurs internautes ont partagé une même carte de France, censée montrer le nombre colossal d'églises incendiées entre 2020 et 2024.

On y voit d'innombrables marqueurs rouges aux différents symboles (des flammes, un pistolet, un bâtiment...) recouvrir la quasi-totalité du pays - des indicateurs également présents, dans une bien moindre mesure, en Belgique et en Allemagne.
Si plusieurs utilisateurs ont relayé cette carte (y compris en anglais) après l'incendie de la cathédrale de Rouen, dont l'origine restait indéterminée au lendemain de l'événement, ce visuel circule depuis un moment sur les réseaux sociaux.
Outre des occurrences virales sur Facebook début juillet 2024 (ici et là), cette carte est en effet relayée depuis au moins 2019.
Mais il est faux de la présenter comme la liste des "églises brûlées ou détruites" entre 2020 et 2024, ainsi que le font nombre d'internautes : il s'agit en réalité d'une carte répertoriant l’ensemble des actes anti-chrétiens - ou considérés comme tels - par l’Observatoire de la christianophobie, un blog catholique qui se livre depuis 2016 à une compilation de ce type d'événement.
D'après la nomenclature de ce recensement, les marqueurs rouges de la carte ne représentent donc pas uniquement des "incendies criminels" mais un ensemble "d'actes anti-chrétiens" de différents types : "meurtre/agression", "vandalisme", "vol", "attentat", "enlèvement"...

En outre, la capture d'écran de la carte circulant actuellement est identique à celle que l'on pouvait déjà trouver dans des publications partagées en avril 2019 (vérifiées à l'époque par les Décodeurs du Monde - lien archivé - et par les Observateurs de France 24 - lien archivé), juste après l'incendie de Notre-Dame de Paris : elle ne montre donc pas des actes survenus entre 2020 et 2024.
Une carte non disponible aujourd'hui, mais un recensement toujours actif
Selon le descriptif actuel de L'Observatoire de la christianophobie, ce blog "animé majoritairement par des catholiques" a pour objectif "de relever les actes anti-chrétiens, quelle que soit leur gravité, quel que soit le lieu où ils sont perpétrés, et quelle que soit la confession chrétienne visée."
Il s'appuie notamment, pour ce faire, sur une revue de presse des médias nationaux et de presse quotidienne régionale comme sur des blogs d'extrême droite ou catholiques conservateurs.
Si sa carte interactive n'est plus accessible aujourd'hui, L'Observatoire de la christianophobie continue de compiler les événements survenus contre les églises, en France, mais aussi dans le reste du monde.
L'incendie de la flèche de la cathédrale de Rouen y fait par exemple l'objet d'un recensement sur la page "christianophobie en France", même si l'article en question précise qu'il s'agit "probablement" d'un incendie "lié au chantier en cours". La classification des actes inscrits sur la carte et sur le blog est donc à nuancer d'autant plus.
27 églises incendiées en 2023 selon l'Observatoire du patrimoine religieux
Comme le notait dans un rapport le Laboratoire Lavoué, spécialisé dans l'expertise de sinistre, dans un rapport de mai 2019 (lien archivé), "les incendies de lieux de cultes sont très peu nombreux (quelques dizaines par an en France)" mais ont "un retentissement important à considérable".
"Le risque d’incendie accidentel intrinsèque à ces bâtiments est, en période normale (c’est-à-dire en dehors des périodes de restauration), infime [et] la majorité des incendies touchant les lieux de cultes sont d’origine humaine accidentelle (travaux à risque notamment) ou volontaire", la plupart "des bâtiments de lieux de cultes" étant "très vulnérables au risque d’incendie volontaire", notait ce document.
Joint par l'AFP le 12 juillet 2024, Frédéric Lavoué, directeur du Laboratoire, a indiqué que ce dernier n'avait pas observé "de pic d'incendies de bâtiments religieux" entre 2020 et 2024.
L'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) , une association qui oeuvre à la préservation et au rayonnement du patrimoine religieux français toutes religions confondues, a indiqué à l'AFP le 12 juillet 2024 que seules 27 églises ont été incendiées en 2023 et 12 sur les six premiers mois de 2024 (archivé ici), selon son décompte.
Claire Danieli, responsable de l'inventaire des édifices religieux à l'OPR a également indiqué à l'AFP que "dans la majorité des cas, les incendies sont accidentels". "Le schéma est récurrent. Vous avez des ardoises qui bougent , l'eau rentre et touche les fils électriques. Un court-circuit se crée sans qu'on s'en aperçoive et c'est l'incendie. [...] Ou alors c'est le chauffage électrique. On le branche le samedi soir pour la messe du dimanche mais qui n'est plus aux normes, et c'est le brasier".
Dans la version 2023 de son Plan d'actions sur la sécurité des cathédrales (lien archivé), le ministère de la Culture listait, parmi les "principales causes de sinistres dans les monuments historiques" applicables spécifiquement aux cathédrales, "les installations électriques défectueuses ou inadaptées (plus de 30 % des origines des sinistres)", les travaux "par points chauds", le "stockage inadapté" (cierges rangés sous un présentoir à bougies, etc.) ou encore "les actes de malveillance".
En 2022, la sénatrice Isabelle Florennes et le député Ludovic Mendes de la majorité présidentielle avaient publié un rapport destiné à mieux lutter contre les actes anti-religieux. Le document indique que 857 faits antichrétiens ont été commis en 2021 (archivé ici).
Le rapport précisait que 92% des faits anti-chrétiens recensés concernent les atteintes aux biens dont 752 sur les lieux de cultes. "Ces chiffres sont bien sûr à mettre en regard des plus de 46 000 lieux de culte chrétiens", rappelle le rapport. Par ailleurs, les atteintes aux biens ne se limitent pas aux églises mais prennent aussi en compte les cimetières chrétiens. Et les atteintes aux biens ne se limitent pas aux incendies mais peuvent être aussi des dégradations (tags, casse) ou encore des vols.
corrige une erreur de chiffre à l'avant-dernier paragraphe (où il était mentionné "851" actes antichrétiens d'après un rapport sénatorial, corrigé en "857")16 juillet 2024 corrige une erreur de chiffre à l'avant-dernier paragraphe (où il était mentionné "851" actes antichrétiens d'après un rapport sénatorial, corrigé en "857")