Attention à cette affiche qui minimise le rôle du CO2 dans le réchauffement du climat

Depuis la révolution industrielle, le CO2 émis par les activités humaines s'est ajouté au CO2 produit naturellement par les écosystèmes, augmentant la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, et entraînant le réchauffement climatique, établi par la communauté scientifique internationale. Pourtant, des publications relayées depuis plusieurs années visent à minimiser la responsabilité du CO2 dans le changement climatique, en mettant en avant ses "bienfaits". Cette rhétorique est toutefois largement trompeuse puisqu'elle omet de mentionner que les émissions de gaz à effet de serre causées par les activités humaines sont responsables du changement du climat, dont les conséquences sont déjà observables, ont déjà rappelé des experts à de nombreuses reprises à l'AFP.

"Le CO2 c'est la vie, la nature en redemande !", énonce le titre d'un document sur lequel figurent diverses images et des petits textes explicatifs en couleurs, partagé plus de 1.500 fois sur Facebook depuis le 21 juin. Le même visuel a été diffusé sur d'autres réseaux sociaux depuis plusieurs années.

On le retrouve d'ailleurs publié en mars 2021 sur le site de l'"Association des climato-réalistes", qui remet régulièrement en cause à coups de propos faux ou trompeurs le consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique. 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 02/07/2024

Mais ce visuel accumule des affirmations manquant de contexte, comme l'ont déjà expliqué de nombreux climatologues à l'AFP. Si les textes qui y figurent ne sont pas directement faux, présenter le document seul est trompeur car il omet de mentionner les effets néfastes des émissions humaines de CO2 sur le climat, qui sont bien responsables du réchauffement climatique. 

Revenons sur chacun des points qui y sont mis en avant.

La concentration de CO2 est "très faible" : trompeur

"Le CO2 représente 0,04% des gaz , contre 0,03% il y a un siècle. C'est très peu", énonce d'abord le visuel.

Comme le rappelle le site de l'agence spatiale américaine NASA (lien archivé), l'atmosphère est en effet composée d'environ 20,946% d'oxygène, de 78,084% d'azote et de 0,934% d'argon. Et le dioxyde de carbone représente en effet environ 0,04% de l'atmosphère terrestre.

Mais se contenter de dire que "0,04%" est "très peu" revient à omettre de mentionner que même des variations de "petites quantités" de gaz à effets de serre comme le CO2 peuvent avoir un impact sur le climat.

Le CO2, contrairement aux autres gaz, est un gaz à effet de serre, comme la vapeur d'eau et le méthane.

Ces gaz représentent moins de 1% de l'atmosphère, "mais ce moins de 1% est déterminant car les gaz à effet de serre absorbent le rayonnement infrarouge émis par la Terre, et augmentent la température de surface", expliquait déjà en mai 2023 Cathy Clerbaux (lien archivé), directrice de recherche au Laboratoire atmosphères et observations spatiales, à l'AFP. 

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Graphique expliquant les gaz à effet de serre, qui contribuent au réchauffement climatique (AFP / Gal ROMA, Sophie RAMIS)

Didier Hauglustaine (lien archivé), climatologue et directeur de recherche au CNRS, expliquait aussi en mai 2024 : "on pourrait se dire 'nos émissions sont faibles par rapport à ce que représente l'atmosphère', mais non, car l'atmosphère est vraiment une couche très mince. [...] En émettant nos milliards de tonnes de carbone par an, [...] avec des gaz [...] très peu abondants, qu'on appelle gaz traces [comme le CO2], [on] modifie le climat". 

"Ce n'est pas une question d'abondance, parce qu'on compare [le CO2] à des gaz qui sont inertes. L'important, c'est le nombre de molécules qui sont présentes et qui peuvent détruire ou perturber, influencer le climat", résumait le climatologue, pointant que si l'O2 et le N2 sont majoritaires dans l'atmosphère, ce ne sont pas elles qui ont "une importance pour le système climatique". 

Face à ces affirmations, Cathy Clerbaux déplorait aussi l'utilisation de "techniques habituelles des climato-sceptiques : prendre du vrai - ici les concentrations des gaz dans l'atmosphère - mais en donner une fausse interprétation - ici, faire comme si tous les gaz qui composent l'atmosphère jouaient le même rôle dans le réchauffement du climat".

"Sans CO2, pas de vie terrestre" : vrai, mais manque de contexte

Le visuel indique ensuite qu'il n'y a "aucune vie" sans CO2. Encore une fois, l'affirmation est vraie, mais manque de contexte.

Le CO2 est un gaz dit "naturel", comme la vapeur d'eau, c'est-à-dire qu'il existait déjà dans l'atmosphère bien avant l'apparition de l'homme sur la planète. 

"Sans gaz à effet de serre, il ferait -18°C sur Terre au lieu de 15°C en moyenne. Donc, sans gaz à effet de serre, pas de températures clémentes et pas de vie sur Terre", expliquait déjà Cathy Clerbaux en 2023, ajoutant que "le problème, c'est qu'on augmente artificiellement les concentrations de CO2, méthane etc. La nature fait ce qu'elle peut pour absorber mais elle ne suit plus, du coup la température augmente".

S'arrêter au fait que le CO2 est nécessaire à la vie omet encore une fois de mentionner les effets néfastes du CO2 sur le climat, ce qui peut laisser place à des interprétations trompeuses.

La concentration de CO2 est traditionnellement mesurée en "partie par million" ou ppm, un indicateur qui permet de calculer son taux de concentration dans l'air et plus globalement dans l'environnement. Comme son nom l'indique, le ppm permet de savoir combien de molécules de CO2 on trouve sur un million de molécules d'air.

La concentration de CO2 est passée de 282 ppm en 1800 à plus de 420 ppm en 2023 selon la NASA (lien archivé ici).

Les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), agence américaine responsable de l'étude de l'océan et de l'atmosphère (archivées ici) montrent par ailleurs comment le CO2 atmosphérique a augmenté parallèlement à la hausse des émissions d'origine humaine.

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Emissions mondiales de CO2 issues des énergies fossiles de 1955 à 2023 (projection pour 2023) (AFP / Julia Han JANICKI, Sabrina BLANCHARD, Valentin RAKOVSKY)

Et l'une des conséquences déjà observables de cette hausse du CO2, menant au réchauffement est une augmentation attendue de la fréquence d'événements climatiques dits "extrêmes" tels que les sécheresses ou les précipitations hors normes.

"C'est la nourriture des plantes" : manque de contexte

"Plus il y a de CO2, plus les plantes poussent", mentionne aussi le visuel.

L'impact sur les végétaux d'un apport plus important de dioxyde de carbone (CO2) a été largement mesuré par les scientifiques, notamment via l'étude d'un processus clé : la photosynthèse.

Cette dernière correspond au processus à travers lequel les plantes utilisent l'énergie du Soleil pour "fabriquer de la biomasse en piégeant le CO2 présent dans l'atmosphère", illustrait Nicolas Viovychercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE–IPSL), début juin à l'AFP.

En d'autres termes, les plantes utilisent l'énergie du Soleil, le CO2 et d'autres nutriments pour fabriquer des sucres, qui sont leur nourriture et leur permettent de grandir - c'est ce qui est parfois nommé "effet fertilisant" ou effet "verdissant" du CO2.

Grâce à ce processus, les plantes fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi ce qui est communément connu sous le nom de "puits de carbone naturels" dans lesquels le carbone est stocké.

"Le problème est que le CO2 est un gaz à effet de serre en même temps", ce qui fait qu'il participe en parallèle au réchauffement du climat, et qui n'est pas mentionné dans les publications sur les réseaux sociaux, notait Nicolas Viovy.

"On a plutôt tendance à voir les plantes comme une solution pour tamponner les effets du réchauffement", ajoutait Antoine Martinchercheur CNRS à l'Institut des sciences des plantes à Montpellier auprès de début juin. 

"L'augmentation de CO2 dans l'atmosphère due aux émissions humaines induit de nombreux changements du climat qui sont néfastes pour la végétation. Les émissions de CO2 d'origine humaine sont la principale cause du réchauffement global observé, et des impacts qui y sont associés", explique aussi Sonia Seneviratneprofesseure en sciences climatiques à l'école polytechnique fédérale de Zürich, le 6 juin à l'AFP.

Elle rappelait notamment que le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), référence en matière de connaissances sur le climat, mentionne "clairement les effets négatifs du dérèglement climatique d'origine humaine induits par l'augmentation des concentrations de CO2 dans l'atmosphère pour les écosystèmes" dans son dernier rapport (lien archivé ici).

Parmi ces effets négatifs attribués au réchauffement, le Giec cite notamment "l'augmentation régionale de la superficie brûlée par les incendies de forêt (jusqu'au double des niveaux naturels), la mortalité des arbres allant jusqu'à 20 % et le déplacement des biomes [un milieu de vie écologique et homogène, comme une forêt, par exemple, NDLR] jusqu'à 20 km en latitude et 300 m en altitude", dans les "écosystèmes tropicaux, tempérés et boréaux du monde entier".

Et se concentrer sur "l'effet à court terme de l'amélioration de la croissance des plantes grâce à une concentration plus élevée de CO2", c'est mettre de côté un élément centralrésumait aussi en décembre 2022 Ranga Myneni, professeur au Département de la terre et de l'environnement de l'université de Boston.

Car "le CO2 est un gaz à effet de serre, il provoque un changement climatique dont les effets incluent le réchauffement climatique, la fonte des glaces, l'élévation du niveau de la mer, etc.", rappelait-il, ajoutant que des études récentes ont par ailleurs révélé "un ralentissement du verdissement et un renforcement des tendances au brunissement, en particulier au cours des deux dernières décennies".

"Il n'est ni toxique, ni polluant" : manque de contexte

Le CO2 n'est pas considéré comme un polluant et n'est pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre (GES).

"Il y a bien sûr une partie du cycle du carbone qui est naturelle", expliquait aussi en juin la climatologue Sonia Seneviratne. "Si on ne brûlait pas d'énergies fossiles, il y aurait forcément du CO2 dans l’atmosphère. Ce sont des phénomènes naturels", ajoutait-elle.

"Le problème, continuait Sonia Seneviratne, c'est qu'on a désormais un apport additionnel de CO2 dans l'atmosphère qui vient de la combustion d'anciens déchets végétaux : le pétrole, le gaz ou le charbon étaient à l'origine des plantes qui ont capturé du CO2, sous forme organique, qui est resté stocké sur la planète. Lorsqu'on les brûle, on relâche un apport additionnel de CO2 dans l'atmosphère qui va y rester des centaines à des milliers d'années, et comme c'est un gaz à effet de serre, il induit un déséquilibre dans notre système climatique".

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Évolution de la concentration dans l'atmosphère de dioxyde de carbone (CO2), en parties par million (ppm) (AFP / Sylvie HUSSON, Valentina BRESCHI)

Les rapports publiés successivement par le Giec sont parallèlement devenus la référence sur le sujet. Ils font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d'étude du climat se perfectionnent.

Dès sa première vague de rapports (lien archivé ici), en 1990-1992, le Giec se disait "certain" que "les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre" (dioxyde de carbone ou méthane notamment), ce qui allait "renforcer l'effet de serre", alimentant ainsi un "réchauffement additionnel de la surface de la Terre".

Les rapports suivants n'ont cessé depuis de le confirmer et le préciser. Le Giec en est à son sixième rapport (publié en août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d'emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".

La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines. Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

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