Non, le Forum économique mondial n'a pas publié une étude prônant l'interdiction des potagers pour "sauver la planète"

Le Forum économique mondial (WEF) n'a pas publié d'étude déclarant les potagers "responsables du désastre climatique", ni appelé à interdire que tout un chacun puisse cultiver sa "propre nourriture", contrairement à ce qu'affirment des internautes. L'étude à laquelle ils se réfèrent, publiée par l'université du Michigan et sans lien avec le WEF, estime simplement que l'empreinte carbone de l'agriculture urbaine est plus élevée que celle de l'agriculture conventionnelle. Mais ses auteurs suggèrent au contraire de poursuivre le développement de l'agriculture urbaine, notamment sur la durée, pour réduire l'empreinte carbone de son infrastructure, comme ils l'ont expliqué dans leur travail et à l'AFP. 

"Les experts du Forum économique mondial (WEF) déclarent les potagers des citoyens responsables du désastre climatique", "Selon une 'étude' récente du WEF, des chercheurs auraient découvert que les aliments cultivés sur place 'détruisent la planète'. En conséquence, le WEF et d’autres fanatiques mondialistes du climat exigent désormais que les gouvernements interviennent et interdisent aux individus de cultiver leur propre nourriture afin de 'sauver la planète' du 'réchauffement climatique'" : depuis le 6 février 2024, différents messages partagés sur Facebook (1, 2, 3) et X (ex-Twitter ; 4, 5, 6) prétendent qu'une menace pèserait sur les potagers individuels en raison de leur impact sur le réchauffement climatique.

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Captures d''écran réalisées sur X (ex-Twitter), le 14 février 2024.

"Selon une étude récente du WEF, [...] les citoyens bien intentionnés et leurs petits jardins génèrent presque cinq fois plus d’empreinte carbone que les fermes traditionnelles [...] En conclusion, chers jardiniers en herbe, il est temps de renoncer à votre rêve de devenir le prochain fermier éco-responsable", prétend notamment un article du blog "Le Média en 4-4-2" - qui relaie régulièrement des allégations trompeuses que l'AFP a déjà vérifiées ici ou ici -, en établissant à tort un lien entre cette étude et le Forum économique mondial.  

Si le blog cite une étude existante, publiée par l'université du Michigan le 22 janvier 2024 dans la revue Nature Cities (lien archivé) - et reprise notamment dans The Telegraph (lien archivé) -, il lui prête une conclusion inverse de celle détaillée par ses auteurs. "Nous n'appelons pas du tout à l'interdiction de l'agriculture urbaine ou à l'interdiction de cultiver de la nourriture dans son jardin", indiquait à l'AFP, le 14 février 2024, l'un de ses co-auteurs, Benjamin Goldstein, professeur adjoint spécialiste de l'environnement à l'université du Michigan.

Les publications partagées sur les réseaux sociaux relient en outre à tort ce travail de recherche avec le Forum économique mondial.

Fondé en 1971 par Klaus Schwab, son actuel président du conseil d'administration, le Forum économique mondial (WEF), une organisation internationale non gouvernementale, accueille tous les ans à Davos, en Suisse, des rencontres entre responsables politiques, dirigeants d'entreprises et acteurs de l'économie mondiale.

Comme d'autres organisations internationales, le WEF suscite régulièrement de nombreuses infox et théories du complot. Il est notamment accusé de vouloir mettre en place un "nouvel ordre mondial" afin de "contrôler la population" : plusieurs allégations le concernant ont été démystifiées par l'AFP iciici ou encore ici. Klaus Schwab est lui aussi ciblé de manière récurrente par des affirmations fausses (ici notamment).

Mais l'étude de l'université du Michigan n'a "aucun lien" avec le Forum économique mondial, comme l'a indiqué à l'AFP Benjamin Goldstein. La dixième page de l'étude mentionnant, comme source de données, le "FEW-meter" (lien archivé), un projet européen d'analyse de résultats de différentes formes d'agriculture urbaine. 

Une étude qui appelle à développer l'agriculture urbaine

L'étude en question a été menée sur 73 sites d'agriculture aux Etats-Unis et en Europe (dont la France, l'Allemagne et la Pologne) et a consisté à comparer la quantité d'émissions de gaz à effet de serre (ou empreinte carbone) émises par l'agriculture urbaine à celles qui émanent de l’agriculture conventionnelle.

"Les résultats et conclusions [de l'étude] concernent uniquement les trois formes d'agriculture urbaine que nous avons étudiées - jardins familiaux, jardins partagés et fermes urbaines - dans les pays concernés", précise Benjamin Goldstein. 

Les chercheurs ont conclu, à l'issue de ce travail, que "l'empreinte carbone de la nourriture cultivée dans l'agriculture urbaine est six fois plus importante que celle de l'agriculture conventionnelle", principalement à cause de l'infrastructure utilisée pour l'agriculture urbaine.

L'étude mentionne plus spécifiquement les "plates-bandes surélevées, l'infrastructure et les structures de compost", en soulignant que l'agriculture urbaine doit être maintenue sur "de longues périodes" pour amortir les émissions liées à l'infrastructure - en restant en service pendant vingt ans plutôt que cinq par exemple -, alors qu'en pratique, en raison de "contraintes liées au développement" des villes, ce type d'infrastructure est souvent créé en vue d'un "usage temporaire".

Mais, loin de conclure à la nécessité d'éviter une telle forme d'agriculture, ils pointent au contraire l'importance, dans leur étude, de favoriser le développement de telles infrastructures sur le long terme afin justement de réduire l'empreinte carbone de l'agriculture urbaine.

"Le but de cette étude était d'aider les personnes [cultivant ce type d'agriculture] à réduire leur impact sur le climat, tout en entretenant leurs bienfaits sociaux et de santé. Nous pensons que c'est faisable, et c'est pour cela que nous incitons les villes à adopter des politiques de soutien à l'agriculture urbaine, et les citoyens à s'impliquer dans ce processus. De plus, en favorisant la longévité de l'agriculture urbaine et des fermes [urbaines], les villes réduiront leur impact environnemental", souligne Benjamin Goldstein. 

Ce n'est pas la première fois qu'une prétendue menace sur les potagers inquiète des internautes : une rumeur circulant depuis plusieurs années prétendait notamment, à l'été 2023, que la production de tous les potagers sera bientôt taxée en France - mais elle était infondée, comme l'AFP l'avait démontré dans un article de vérification.

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