Le réchauffement climatique est bien causé par les émissions de CO2 dues aux activités humaines

Les scientifiques s'accordent à dire que le réchauffement climatique est causé par les émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, liées à la combustion d'énergies fossiles. Pourtant, des publications virales sur les réseaux sociaux s'appuyant sur la récente interview d'un ancien chercheur en astrophysique d'Harvard, connu pour ses positions allant à l'encontre du consensus scientifique sur le climat, prétendent que "les émissions de CO2 d'origine humaine" n'auraient pas de lien avec le changement du climat, qui varie selon elles, naturellement et principalement à cause du soleil. C'est trompeur et repose sur une mauvaise compréhension de ce qui est considéré comme les "émissions de CO2 d'origine humaine", comme l'ont déjà expliqué de nombreux chercheurs à l'AFP. Et les variations naturelles du climat, dont les variations du rayonnement solaire, ne remettent pas en cause l'origine humaine, scientifiquement établie, du réchauffement.

"Un grand expert en climatologie tire la sonnette d'alarme : Le dioxyde de carbone n'est pas à l'origine du 'réchauffement de la planète'", assure une publication sur X (ex-Twitter) partagée plus de 2.000 fois depuis le 6 janvier.

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Capture d'écran prise sur X le 10/01/2024

La publication renvoie vers des articles de blogs en français comme celui-ci, qui eux-mêmes citent un épisode de podcast et l'article qui y est associé, publiés le 4 janvier sur le site de The Daily Signal, un site d'informations financé par le think-tank conservateur américain The Heritage Foundation (lien archivé ici). 

Ce dernier a, selon le média DeSmog (lien archivé ici) spécialisé dans les sujets sur le climat et l'environnement, et en particulier la lutte contre la désinformation dans ce domaine, reçu par le passé des financements de l'entreprise pétrolière ExxonMobil ainsi que des frères Koch, des milliardaires ayant investi notamment des entreprises pétrolières.

Les articles de blog en français prétendent, en résumant des propos de Willie Soon, l'"expert en climatologie" interrogé, que puisque le CO2 émis par la respiration des humains est absorbé par les plantes, il ne serait pas cohérent d'affirmer les émissions de CO2 d'origine humaine sont responsables du réchauffement du climat, et que ce dernier serait plutôt causé par le soleil.

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Capture d'écran du site de The Daily Signal, prise le 10/01/2024

Ces affirmations vont néanmoins à l'encontre du consensus scientifique sur l'origine du réchauffement climatique, qui établit que les émissions de CO2 causées par la combustion d'énergie fossile constituent la principale cause du réchauffement récent. Et les variations naturelles du climat, dont l'activité solaire, ne remettent pas en cause l'existence du réchauffement d'origine humaine.

Willie Soon, un astrophysicien remettant en cause l'origine humaine du changement climatique

Les arguments présentés dans les publications sont attribués à Willie Soon, ou Wei-Hock Soon de son nom complet. Il est présenté comme l'"un des plus grands experts en climatologie", et un "ancien chercheur au Centre d'astrophysique de Harvard et à l'Institut Smithsonian".

Ce chercheur, qui a effectivement travaillé dans l'institut d'astrophysique Smithsonian d'Harvard, s'est fait connaître depuis le début des années 2000 pour ses prises de positions allant à l'encontre du consensus scientifique sur le réchauffement climatique, selon le média anglophone DeSmog.

Dans son interview auprès du Daily Signal, Willie Soon indique travailler aujourd'hui pour "son propre institut".

A partir de 2013, des enquêtes de l'ONG Greenpeace (lien archivé ici) et du New York Times (lien archivé ici) avaient révélé qu'il avait touché plus d'1,3 million de dollars de lobbys et d'entreprises liées au pétrole et au charbon, sans que ces gains n'aient été mentionnés dans des articles de recherche qu'il avait publiés,  et qui visaient à amenuiser l'influence des humains sur le changement du climat.

Selon des documents révélés dans ces enquêtes, Willie Soon avait notamment reçu de l'argent de la société pétrolière et gazière ExxonMobil, de l'entreprise spécialisée dans l'exploitation du charbon Southern Energy, ou encore des frères Koch. 

Les émissions de CO2 d'origine humaine responsables du réchauffement

Le premier argument mis en avant dans les publications sur les réseaux sociaux prétend que les émissions de CO2 d'origine humaine ne seraient pas à l'origine du changement climatique, notamment car le dioxyde de carbone émis par la respiration des humains est absorbé par les plantes.

Mais ces propos créent une confusion autour de ce qui est communément considéré par les scientifiques comme des émissions de CO2 "d'origine humaine", et développent ainsi un raisonnement trompeur en omettant de prendre en compte les émissions de CO2 liées aux activités industrielles. 

Les scientifiques étudiant le climat ne considèrent "généralement pas la respiration comme une émission de CO2 d'origine humaine", détaille Camille Risi (lien archivé ici), chercheuse CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique, auprès de l'AFP le 9 janvier.

"En effet, en respirant, on ne fait que retransformer en CO2 de la matière organique issue de la photosynthèse, et qui a donc absorbé du CO2 dans les mois précédents. Ça ne change donc pas la concentration atmosphérique en CO2", développe-t-elle.

Ce qui est communément considéré comme "émissions de CO2 d'origine humaine" correspond donc "principalement [à] la combustion de matière organique fossile : charbon, pétrole, gaz fossile", et "dans une moindre mesure la déforestation", explique la chercheuse.

Et, au contraire de la respiration, "la combustion de matière organique fossile ajoute du CO2 dans l'atmosphère alors qu'il avait été stocké depuis des millions d'années", illustre-t-elle.

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Infographie sur le cycle du carbone, perturbé de nos jours par l'activité humaine (AFP / Eléonore HUGHES, Sophie RAMIS)

Par ailleurs, affirmer que les plantes compenseraient les émissions humaines est erroné, ont montré des recherches sur le bilan de CO2 de la Terre.

"Environ le quart seulement des émissions de CO2 d'origine humaine est absorbée par la végétation continentale. Un autre quart est absorbé par les océans, où il cause une acidification néfaste à la biodiversité océanique. La moitié restante s'accumule dans l'atmosphère et conduit au réchauffement climatique en cours", développe Camille Risi, citant des données d'une étude publiée en 2022, réalisée par des chercheurs dans le cadre du "Global Carbon budget" qui vise à établir un bilan des émissions de CO2 et de leur redistribution. 

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Flux de CO2 émis par les activités humaines (combustion de matière organique fossile en gris, déforestation en orange), absorbé par la végétation (en vert) et l’océan (en turquoise) et accumulé dans l’atmosphère (en bleu). D'après "Global Carbon Budget 2021", par Friedlingstein et al, 2022

Les variations naturelles du climat 

Selon les articles trompeurs diffusés sur les réseaux sociaux, Willie Soon prétend aussi que "les changements climatiques sont des phénomènes naturels qui se produisent depuis des milliards d'années" qui "n'ont rien à voir avec l'activité humaine".

Ces arguments trompeurs sont au coeur de l'argumentaire remettant en cause la responsabilité des humains dans le changement du climat, et ont déjà été démystifiés par des experts dans plusieurs articles de l'AFP dont celui-ci, celui-ci ou celui-là

Le climat a en effet toujours subi des variations. Mais cela ne remet pas en cause le fait que les émissions d'origine humaine participent à un réchauffement particulièrement rapide depuis la période pré-industrielle, ce qui fait aujourd'hui l'objet d'un consensus scientifique. Omettre de mentionner cela est trompeur, selon les climatologues interrogés par l'AFP.

"Pour le climat, on parle de variabilité sur des centaines voire milliers, voire millions d'années. Et c'est vrai que le climat varie à toutes ces échelles de temps", détaillait Martin Ménégozclimatologue et chercheur à l'Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) et au CNRS, le 13 juillet à l'AFP.

"Il y a deux processus qui font varier le climat", développait-il. D'une part, "la variabilité climatique interne, c'est-à-dire l'aspect chaotique du climat, notamment de l'océan et de l'atmosphère, qui fait que d'une année sur l'autre dans une région, il va y avoir des températures ou des précipitations un peu différentes de l'année d'avant" et d'autre part "la variabilité forcée, qui est induite par des changements de forçage [perturbation d’origine extérieure au système climatique, NDLR] qui sont soit naturels soit d'origine humaine(lien archivé).

"Et ce que l'on sait très bien aujourd'hui, c'est que depuis 1850, les humains émettent des gaz à effets de serre", ce qui fait qu'"artificiellement, on augmente la teneur en gaz à effet de serre, ce qui induit directement un réchauffement de l'ensemble de la moyenne de températures proches de la surface de la Terre", abondait le chercheur.

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Graphiques sur l'évolution des températures depuis 1850 et les simulations incluant et excluant l'influence humaine, et sur la concentration de CO2 dans l'atmosphère au cours des 400 000 dernières années (AFP / Eléonore HUGHES, Jean-Michel CORNU, Simon MALFATTO, Jonathan WALTER)

L'impact minime des variations du rayonnement solaire

Selon ces publications citant Willie Soon, "les glaciers ont fondu parce que le Soleil a commencé à devenir plus brillant et a fourni plus d'énergie solaire au système climatique". Elles concluent ainsi que "le Soleil est la cause du changement climatique", car il "affecte les cycles de réchauffement et de refroidissement de la Terre".

Mais ces assertions sont fausses, selon Camille Risi : "le soleil n'est pas plus brillant aujourd'hui qu'au siècle dernier, et les variations de rayonnement solaire ne contribuent pas au réchauffement climatique en cours". 

Comme déjà expliqué dans un article d'avril 2022 et un autre de mai 2023, l'activité solaire a plutôt tendance à stagner, voire à diminuer ces dernières années.

Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) font la synthèse régulière des connaissances de la communauté scientifique internationale en analysant les études publiées.

Les variations du rayonnement solaire font partie des paramètres qui y sont analysés, rappelle Camille Risi : "le Giec considère dans ses rapports les variations avec beaucoup de rigueur. Les variations du rayonnement solaire sont mesurées, leur impact sur le climat est quantifié", développe la chercheuse, renvoyant vers le chapitre 7 du dernier rapport.

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Figure 7.8 du 6e rapport du GIEC : évolution de la température totale (courbe fine noire), causée par l’augmentation de la concentration en CO2 (courbe violette) et par les variations de rayonnement solaire (courbe orange très proche de 0).

La courbe orange sur la figure ci-dessus, représentante les variations du rayonnement solaire de 1750 à 2020.

"On peut y voir que la contribution [du rayonnement solaire] au réchauffement climatique est négligeable", analyse la chercheuse, ajoutant que "ces toutes petites oscillations sont causées par des cycles solaires qui ont une périodicité de 11 ans. On voit que l'impact sur la température est négligeable, par rapport à l'impact de la concentration croissante en CO2, représentée par la courbe violette et au réchauffement total, représenté par courbe noire fine".

Un consensus sur le réchauffement d'origine humaine

Car contrairement à ce qui est avancé dans les publications sur les réseaux sociaux, il existe bien un consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique, c'est-à-dire un avis partagé par l'immense majorité des scientifiques sur la base des résultats de milliers d'études sur le sujet, comme détaillé dans cette fiche récapitulative réalisée par l'AFP Factuel.

En 2004, Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à Harvard, a été la première à quantifier le consensus sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, avec en 2004 une étude sur près plus de 900 articles scientifiques publiés entre 1993 et 2003. 

"Fait remarquable, aucun des articles n'exprime un désaccord" avec cette origine humaine, y concluait-elle (lien archivé ici).

De nombreux autres travaux ont corroboré ces conclusions, dont la méta-analyse (lien archivé ici) de John Cook, chercheur à l'université Monash en Australie, qui a conclu en 2016 que 90 à 100% des scientifiques s'accordent sur cette origine, ou une étude de 2013 (archivée ici) plaçant le consensus à 97% sur la base de près de 12.000 articles publiés entre 1991 et 2011.

Les rapports publiés successivement par le Giec sont parallèlement devenus la référence sur le sujet. Les anticipations sont affinées au fil des rapports, à mesure, aussi, que les outils d’étude du climat se perfectionnent.

Le Giec en est à son sixième rapport (août 2021). La publication du seul groupe I (2.400 pages), qui a travaillé sur plus de 14.000 études, souligne d’emblée le caractère "sans équivoque" du réchauffement provoqué par "les activités humaines".

La Terre s'était ainsi réchauffée de 1,1°C en 2020 par rapport à la période 1850-1900. Une toute petite partie était liée à la variabilité naturelle du climat (entre -0,23 et +0,23°C), le reste étant provoqué par les activités humaines (page 517 du rapport du groupe I). Ce réchauffement global devrait avoir atteint 1,5°C dès le début des années 2030.

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Anomalies de la température mondiale, selon une moyenne calculée sur 5 ans, depuis 1850 par rapport à la période pré-industrielle (1850-1900) selon le modèle ERA5 de Copernicus et 5 autres sources (AFP / Olivia BUGAULT, Jean-Michel CORNU)
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10 janvier 2024 corrige coquille dans le 1er paragraphe

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