
La Grande Barrière de corail ne "prospère" pas, elle subit son plus large blanchissement jamais observé
- Publié le 07 août 2025 à 16:11
- Lecture : 12 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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La Grande Barrière de corail, inscrite depuis 1981 à la liste des sites du patrimoine mondial de l'Unesco, est le plus grand ensemble corallien au monde, situé au nord-est de la côte australienne, et s'étire sur plus de 2.300 kilomètres (lien archivé ici).
Depuis près de 40 ans, des scientifiques étudient ses coraux dans le cadre d'un programme dépendant du gouvernement fédéral australien, appelé "Australian Institute of Marine Sciences' Long-Term Monitoring Program" (ou "AIMS' Long-Term Monitoring Program", lien archivé ici).
Selon le dernier rapport de ce programme publié le 6 août en Australie (et le 5 août en France), la Grande Barrière a subi sur l'année 2024-2025 l'épisode de blanchissement "le plus étendu" provoqué par des températures océaniques étouffantes en 2024 qui ont engendré "des niveaux de stress thermique sans précédent" depuis les premiers relevés (lien archivé ici).
Le blanchissement est un phénomène naturel qui survient lorsque les températures de l'eau augmentent, et que les coraux expulsent des algues symbiotiques leur donnant leurs couleurs vives, ce qui les fait blanchir, et peut potentiellement causer leur mort (lien archivé ici).
Pourtant, sur les réseaux sociaux, la désinformation liée à la santé des coraux persiste (lien archivé ici). Une publication partagée plus de 3.000 fois sur X depuis le 1er août prétend ainsi : "Et oui la fameuse Grande Barrière de corail qui devait disparaître avec le 'réchauffement climatique' ne s'est jamais si bien portée et vous l'ignorez, car les médias aux ordres, ne vous le disent pas. Pour la quatrième année consécutive, encore une année record pour la croissance corallienne".
Elle diffuse une capture d'écran d'un titre d'article, qui indique : "Un miracle tropical plutôt qu'une catastrophe climatique : la Grande Barrière de corail prospère - et personne n'est autorisé à le savoir".

La même image avec des messages similaires a aussi été partagée sur Facebook, et a circulé en allemand sur Facebook et Telegram (1, 2, 3).
Mais ils sont trompeurs, comme nous allons le voir.
Des données extrapolées
Les captures d'écran diffusées reprennent la traduction automatique d'un article publié à l'origine en allemand sur le site "Report 24", qui a déjà relayé des affirmations trompeuses vérifiées par l'équipe germanophone de l'AFP, comme ici, ici ou là.

Selon ce dernier, les médias cacheraient le fait que cette année constituerait pour la Grande Barrière de corail une "année record pour la croissance corallienne", et ce "pour la quatrième année consécutive", signe que le réchauffement climatique n'aurait pas d'impact négatif sur les coraux.

En guise de sources, "Report 24" cite un message publié sur le site "The Daily Sceptic" le 31 juillet, un site déjà épinglé par l'équipe anglophone de l'AFP pour avoir diffusé des affirmations trompeuses notamment liées au réchauffement climatique, comme ici, ici et là.
Ce dernier mentionne un rapport annuel à venir sur l'état de la Grande Barrière, et la "mise à jour sur la santé du récif" de juillet 2025, publiée sur le site officiel du parc marin de la Grande Barrière, ou "Great Barrier Reef Marine Park Authority", abrégé GBRMPA en anglais (lien archivé ici).
Dans ce document, il n'est néanmoins pas mentionné de "croissance record", contrairement à ce qu'assurent les publications diffusées par les internautes francophones et germanophones. En revanche, il est indiqué que sur la période étudiée (du 1er juin au 20 juillet), "aucun blanchissement" n'avait été mesuré sur les 44 récifs étudiés.
Mais extraire des données de ces mois-ci pour tenter d'en tirer des conclusions à long terme relève du "cherry picking", une technique de désinformation qui consiste à ne sélectionner qu'une partie de données scientifiques favorables à certains allégations, comme l'ont expliqué plusieurs experts à l'AFP.
Terry Hughes, professeur émérite à l'université australienne James Cook et spécialiste des coraux rappelle d'abord que "juillet correspond au milieu de l'hiver en Australie", ce qui signifie que "les températures de la mer sont trop fraîches pour que tout blanchissement de corail se produise" (lien archivé ici).
"Les coraux blanchissent et meurent à cause du réchauffement climatique lorsque les températures de la mer dépassent leurs maxima historiques, en été. Les hivers sont également plus chauds maintenant, mais pas suffisamment pour déclencher un blanchissement", ajoute-t-il auprès de l'AFP le 7 août.
"Un blanchissement et une mortalité des coraux records se sont également produits dans le nord de la Grande Barrière de corail au début de 2025", souligne le spécialiste, déplorant que les affirmations s'appuyant sur la page du mois de juillet de la GBRMPA "laissent penser que tout est sous contrôle - alors qu'évidemment, ce n'est pas le cas".
En consultant les rapports liés à d'autres mois de l'année, on peut retrouver plusieurs mentions d'événements de blanchissement des coraux au cours de la dernière année. En mars par exemple, "du blanchissement a été enregistré sur 23 des 31 récifs étudiés", et en février, "sur les 19 sites étudiées, 17 présentaient des signes de blanchissement" ce qui n'est jamais mentionné dans les publications sur les réseaux sociaux (lien archivé ici).


"Il est donc incorrect d'utiliser une seule 'mise à jour de l'état de santé du récif' en plein hiver pour prétendre que le changement climatique n'a aucun impact négatif sur la Grande Barrière de Corail", confirme l'AIMS auprès de l'AFP le 7 août, précisant que ses données "montrent également qu'au cours des 39 années de suivi, les fluctuations de la couverture corallienne des 15 dernières années ont été de plus en plus importantes, indiquant que l'écosystème devient plus instable à mesure que les vagues de chaleur marine augmentent".
"Ce ne sont pas les signes d'un écosystème qui 'prospère', mais d'un écosystème soumis à un stress [les modifications causées par des températures largement inhabituelles, NDLR] croissant", conclut l'AIMS.
Le fait qu'il n'y ait actuellement pas d'épisode de blanchissement "ne signifie pas que le récif est en bonne santé", abonde aussi Peter Mumby, professeur du département des études marines de l'université de Queensland, à l'AFP le 7 août (lien archivé ici).

Un blanchissement d'une ampleur record en 2024-2025
Les publications trompeuses mentionnent aussi des prétendues données (sans clairement mentionner de source à celles-ci) de "croissance record". Il faut néanmoins noter, comme l'avaient rappelé plusieurs experts auprès de l'AFP en décembre 2023, qu'une augmentation de la couverture corallienne, ou une "croissance record" sur certains récifs ne signifie pas forcément que les coraux dans leur ensemble seraient en bonne santé.
En outre, les données les plus récentes tendent plutôt à montrer une réduction de la couverture corallienne l'année passée.
Tous les ans, un rapport sur l'état de la biodiversité et des coraux est publié par les scientifiques de l'AIMS. Le plus récent, paru le 5 août et portant sur la période entre août 2024 et mai 2025, indique que l'année passée a vu survenir l'épisode de blanchissement "le plus étendu" jamais enregistré, qui est aussi le cinquième épisode de blanchissement massif depuis 2016 (liens archivés ici et ici).
Ce rapport montre "une forte diminution de la couverture corallienne dans les trois régions de la Grande Barrière par rapport à l'année précédente. Cette diminution a été principalement causée par la mortalité des coraux due au blanchissement massif engendré par le stress thermique en 2024. Et ce niveau de stress thermique était causé par le changement climatique", commente l'AIMS auprès de l'AFP le 7 août.
"En général, une chute significative de la couverture corallienne n'indique pas un écosystème qui 'prospère'", assure l'organisme : "il faut des mois pour que les coraux blanchis se remettent ou périssent après un épisode de blanchissement massif".
Si les couvertures coralliennes "ont fluctué dans le passé", le rapport publié en août 2025 montre "la plus importante diminution en une seule année de la couverture corallienne dans deux (nord et sud) des trois régions de la Barrière, depuis que l'AIMS a commencé à la surveiller il y a 39 ans", note aussi ce dernier auprès de l'AFP.
Dans ce document, il est aussi précisé qu'un type de corail qui croit rapidement, connu sous le nom d'Acropora, est celui qui avait le plus souffert. Ce qui explique également pourquoi s'intéresser à la couverture corallienne ne permet pas forcément d'obtenir une représentation fidèle de la santé des coraux : une espèce de corail qui pousse rapidement va potentiellement recouvrir un espace plus large rapidement, mais ne signifie pas que la couverture est durable ou que le récif est en bonne santé générale.

Pour Peter Mumby, la Grande Barrière "a été largement endommagée, mais certaines zones sont en bon état", et il est clair que "le changement climatique est la cause de ces événements de blanchissements" récents.
Sur le site du parc marin de la Grande Barrière, utilisé dans les articles trompeurs pour prétendre remettre en cause l'existence du réchauffement climatique, il est pourtant clairement indiqué que "les scientifiques prévoient que des épisodes massifs de blanchissement vont survenir chaque année d'ici 2050, voire avant, si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas drastiquement réduites" (lien archivé ici).
Contacté par l'AFP au sujet des messages sur les réseaux sociaux, le parc marin a renvoyé le 7 août vers son communiqué diffusé à la suite de la publication du rapport de l'AIMS, qui indique que ce dernier "montre des baisses importantes de la couverture de corail dur dans la Grande Barrière de Corail - après des niveaux record élevés de récupération corallienne enregistrés en 2022 et 2023", et qualifie ces données de "préoccupantes".
"Il est bouleversant de constater les impacts en temps réel du changement climatique sur la plus grande merveille naturelle vivante du monde", ajoute le parc marin.
Terry Hughes rappelle aussi que la "mise à jour" diffusée sur le site du parc marin de la Grande Barrière "n'est qu'une déclaration" et non une étude scientifique, et que "certaines parties" peuvent, sans contexte, être prises de façon "assez trompeuse". "Il est inquiétant qu'une agence gouvernementale australienne soit citée sur les réseaux sociaux par des négationnistes du changement climatique", déplore-t-il.
Les récifs coralliens menacés par le réchauffement climatique
Les récifs coralliens sont menacés dans le monde entier en raison d'un record de chaleur dans les mers. La fréquence et l'intensité des canicules marines a augmenté.
Les océans absorbent 90% de l'excès de chaleur du système terrestre provoqué par l'activité humaine au cours de l'ère industrielle et cette énergie ne cesse de croître au fur et à mesure que les gaz à effet de serre s'accumulent dans l'atmosphère.
La température moyenne de la surface de la mer autour de l'Australie a notamment été la "plus élevée jamais enregistrée" en 2024, selon l'Université nationale australienne.
L'Australie prépare actuellement son prochain cycle d'objectifs de réduction des émissions, une obligation clé dans le cadre de l'accord climatique historique de Paris. Cette superpuissance minière reste toutefois l'un des plus grands exportateurs de charbon au monde et continue de subventionner largement ses combustibles fossiles.
"La Grande Barrière de corail du futur sera différente. En agissant maintenant, nous pouvons protéger des habitats clés, soutenir la biodiversité, et offrir à cette icône mondiale les meilleures chances possibles alors que la planète affronte les impacts continus du changement climatique", assure le parc marin dans son communiqué transmis à l'AFP.
"Pour sauver la Barrière de Corail, le monde doit rapidement réduire les émissions de gaz à effet de serre", appelle Terry Hughes.
Malgré les records de chaleur qui s'enchaînent dans de nombreuses régions du monde, la désinformation sur le climat est omniprésente sur les réseaux sociaux. L'équipe de vérification de l'AFP a consacré des fiches aux connaissances scientifiques sur certains points récurrents de désinformation, consultables ici.