Le pétrole et l'augmentation rapide de la concentration en CO2 ont bien un effet délétère sur le climat
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- Publié le 03 février 2023 à 15:46
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- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
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"Le CO2 n'a aucun effet sur le climat, rien. Le CO2 n'est que la nourriture des plantes, doubler le CO2 serait une très bonne chose, plus 40 % de croissance végétale. La vérité sortira quand le public réalisera qu'il a été volé par les multinationales au nom de la planète", affirme la légende d'une vidéo relayée plus de 3.000 fois sur Twitter, mais aussi partagée sur VK ou Facebook depuis le 23 janvier.
L'extrait dure 1'14 et montre un échange avec Piers Corbyn, un météorologue britannique qui s'est notamment fait connaître ces dernières années pour son combat contre les restrictions sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19.
En février 2021, il avait été arrêté après avoir distribué des prospectus comparant la vaccination anti-Covid à l'Holocauste, rapportait le Guardian.
Il est le frère aîné de Jeremy Corbyn, l'ancien chef du parti travailliste britannique exclu de son groupe parlementaire.
Piers Corbyn s'exprime régulièrement, depuis la fin des années 1990, lors d'événements remettant en cause le consensus scientifique, en particulier sur le réchauffement climatique, comme le note le site de veille sur les questions liées au climat DeSmog.
Il est à l'origine du site de prévisions météo WeatherAction, qui fonde ses rapports et recherches sur l'activité solaire, affirmant -à tort- que le soleil est la principale cause du changement de températures. L'AFP a déjà consacré un article de vérification à l'une de ses allégations erronées soutenant que le dérèglement climatique est dû à l'activité solaire et de la Lune.
La combustion de pétrole a bien un effet sur le climat
"Le pétrole a-t-il un effet sur le climat ? - Non, aucun effet. Le dioxyde de carbone dans l'atmosphère n'est que de la nourriture pour les plantes, cet arbre a enlevé le dioxyde de carbone et l'a transformé", commence par répondre Piers Richard Corbyn dans l'extrait.
Lors de la production et de la combustion d'énergie fossile, comme le charbon, le pétrole, ou le gaz, des émissions de dioxyde de carbone (CO2) sont émises.
Selon les projections du Global Carbon Project, organisation qui cherche à quantifier les émissions mondiales de gaz à effet de serre et leurs causes en collectant et en analysant des données sur le sujet qui sont consultables sur son site, les émissions mondiales de CO2 devaient atteindre en 2022 40,6 milliards de tonnes.
Or, "l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère à l'heure actuelle est d'environ 50% par rapport à l'époque préindustrielle [..] nous atteignons en seulement un siècle environ une concentration qui n'a pas été atteinte depuis plus de 3 millions d'années", a expliqué à l'AFP le 18 janvier Chloé Maréchal, géochimiste, maîtresse de conférences au Laboratoire de Géologie de Lyon, et co-autrice du livre Climats - Passé, présent, futur (éd. Belin, avec Marie-Antoinette Mélières).
Or, toujours selon le Global Carbon Project, le charbon serait responsable en 2022 de 41% de ces émissions de CO2, et le pétrole de 33%.
"Piers Corbyn explique que le CO2 qu'on émet actuellement vient du pétrole donc d'un stockage de carbone issu, au départ, de la végétation [Le pétrole résulte de la dégradation thermique de matières organiques contenues dans certaines roches, NDLR] . Certes, le CO2 qu'il soit volcanique ou émis par une voiture reste du CO2, mais le pétrole qu'on utilise aujourd'hui s'est formé depuis environ 300 millions d'années et on l'aura épuisé en à peine deux ou trois siècles, donc tout est une question d'échelle de temps : même si le CO2 qu'on a dans l'atmosphère va participer au cycle du carbone, la réponse naturelle sera beaucoup trop lente pour l'absorber", a expliqué le 26 janvier à l'AFP Yves Godderis, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’évolution et de la dynamique de la Terre.
Comme l'expliquait l'AFP dans un article de vérification de juin 2022, le CO2 est un gaz dit "naturel", comme la vapeur d'eau, qui existait déjà dans l'atmosphère bien avant l'apparition de l'homme sur la planète.
"Il y a bien sûr une partie du cycle du carbone qui est naturelle", détaillait alors Sonia Seneviratne, professeure en sciences climatiques à l'école polytechnique fédérale de Zurich. "Si on ne brûlait pas d’énergies fossiles, il y aurait forcément du CO2 dans l’atmosphère. Les plantes, par exemple, capturent du CO2 par photosynthèse. Puis du CO2 est réémis lors de leur décomposition. Ce sont des phénomènes naturels", ajoutait-elle.
Ce gaz participe également au fonctionnement de notre organisme : "Quand on respire, on inspire de l'oxygène et on relâche du CO2", confirmait parallèlement le directeur de recherche à l’ENS, expert carbone et climat, Pierre Friedlingstein.
Le CO2 n'est donc pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre.
La fertilisation par la carbone limitée par de nombreux facteurs
"Le dioxyde de carbone dans l'atmosphère n'est que de la nourriture pour les plantes [...] si vous doublez la quantité de CO2, ce serait une chose très bénéfique, car cela augmenterait le taux de croissance des plantes de 40%. Ce serait un énorme avantage, mais il est impossible de doubler le CO2 parce qu'il sera absorbé par la mer, parce que la mer et l'air sont en équilibre", poursuit dans la vidéo Piers Corbyn.
Il est vrai que les plantes utilisent le CO2 pour produire des glucides et de l'oxygène par le biais de la photosynthèse. Grâce à ce processus, elles fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi des puits de carbone naturels où le carbone est stocké.
L'augmentation des niveaux de CO2 dans l'atmosphère peut donc bien, dans une certaine mesure, stimuler la croissance des plantes.
"Lorsqu'il y a davantage de CO2 dans l'atmosphère, les plantes ont tendance à améliorer leur croissance, c'est-à-dire que la plante va voir la surface de ses feuilles augmenter", a expliqué à l'AFP le 27 janvier François Marie-Bréon, chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE) et président de l'Association française pour l'information scientifique (Afis).
Ce phénomène est connu sous le nom d'effet de fertilisation par le carbone: avec plus de dioxyde de carbone disponible, les plantes peuvent pousser plus rapidement. L'effet a été prouvé dans de nombreuses expériences et est en partie utilisé dans la culture de légumes en gazant les serres avec davantage de dioxyde de carbone pour augmenter les rendements.
"Pour faire de la photosynthèse, la plante doit pouvoir synthétiser une enzyme qu'on appelle la Rubisco, mais elle ne va pas pouvoir la synthétiser en quantité suffisante pour absorber tout le CO2 qu'il y a dans l'atmosphère, il existe une limitation dans le fonctionnement physiologique de la plante", nuance néanmoins François-Marie Bréon.
L'effet selon lequel les plantes stockent d'autant plus de CO2 par photosynthèse qu'il y en a de disponible ne suffit donc pas à équilibrer le bilan de CO2, a expliqué Eckhard George. "Les plantes fixent effectivement plus de CO2 lorsque la concentration en CO2 dans l'atmosphère augmente. Mais la quantité de CO2 supplémentaire fixée par les plantes est loin d'être suffisante pour compenser les émissions supplémentaires émises par l'Homme". Le problème de l'augmentation de la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère n'est donc pas résolu par l'effet de fertilisation au CO2, comme le soutient Piers Corbyn.
La vidéo relayée sur les réseaux sociaux est donc trompeuse, car si des concentrations élevées de CO2 dans l'air peuvent être bénéfiques pour les plantes dans certaines circonstances et jusqu'à un certain point, ce gaz est en même temps responsable du changement climatique provoqué par l'homme. Et les conséquences du changement climatique peuvent à leur tour avoir des effets négatifs sur la croissance des plantes.
L'effet de serre provoqué par l'être humain entraîne ainsi une hausse des températures sur la Terre : les gaz à effet de serre produits par l'Homme, comme le dioxyde de carbone, s'accumulent dans l'atmosphère terrestre. Or, en raison de l'augmentation constante de la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère terrestre depuis l'industrialisation, le rayonnement thermique émis dans l'espace diminue, ce qui réchauffe la Terre.
Cela a des conséquences importante pour l'environnement : une étude sur l'influence du changement climatique sur les phénomènes météorologiques extrêmes, publiée en juin 2022 dans la revue spécialisée "Environmental Research", a par exemple conclu que le changement climatique entraînait une augmentation des vagues de chaleur et des sécheresses extrêmes ainsi que des fortes pluies et inondations.
Or si les plantes se heurtent à une limite naturelle d'absorption du CO2, et que la performance photosynthétique n'augmente donc pas de manière linéaire, les autres facteurs de croissance tels que l'eau, le rayonnement lumineux et l'offre en nutriments doivent en outre être disponibles en quantité suffisante pour qu'elles grandissent.
Des études récentes ont montré que l'effet de fertilisation par le CO2 s'est considérablement ralenti, bien que de plus en plus de CO2 soit disponible dans l'atmosphère. Ainsi, une étude publiée en 2020 dans la revue "Science" conclut, à l'aide de données satellitaires, que l'effet de fertilisation par le CO2 a diminué à l'échelle mondiale entre 1982 et 2015, ce qui s'explique par exemple par le manque de nutriments et la diminution de la disponibilité de l'eau du sol. Une étude de 2021 publiée dans "Biogeosciences" constate également, à l'aide de données satellites, que l'augmentation de la surface foliaire mondiale ralentit.
C'est déjà ce que mettait en avant le 24 février 2022 Eckhard George, professeur en physiologie nutritionnelle des cultures à l' Université Humboldt de Berlin, et expert en métabolisme des plantes. En principe, il expliquait que si la surface foliaire grandit lorsque l'apport de CO2 augmente, "cela ne se produit que si la croissance n'est pas limitée par d'autres facteurs, tels que le stress hydrique, le manque de nutriments, les fluctuations de température, le manque ou l'excès de soleil ou l'étanchéité de la surface."
"Il faut prendre en compte ces autres facteurs engendrés par cette hausse du CO2: s'il y a des températures extrêmes avec des sécheresses importantes ou une limitation des nutriments dans le sol, cela va être très néfaste pour la croissance des plantes . On voit déjà aujourd'hui que des forêts meurent parce qu'il n'y a plus assez d'eau, donc même si on ajoute du CO2 dans l'atmosphère, d'autres paramètres climatiques sont néfastes à la croissance", souligne ainsi le chercheur François-Marie Bréon.
"Plus on met de CO2 dans l'atmosphère, plus on acidife les océans, car le CO2 se dissout dans l'eau, or l'acidité perturbe le développement d'un certains nombre de microalgues à l'origine d'une photosynthèse importante. Le cycle du carbone est donc extrêmement compliqué et en extrayant une partie de ce cycle, on peut faire croire aux gens que l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère est bénéfique mais c'est fallacieux", a pointé de son côté le 27 janvier Jean-François Deconinck, professeur à l’université de Bourgogne et spécialiste de la sédimentologie.
L'origine humaine du changement climatique est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. L'AFP a déjà démystfié des affirmations erronées prétendant ce n'est pas l'activité humaine mais le soleil ou les modifications de l'orbite terrestre qui sont responsables du réchauffement climatique ou encore que les émissions de CO2 ne seraient pas responsables du changement climatique.