Remède trouvé en Italie, respirateurs inutiles : les fausses informations d'une vidéo sur le Covid-19
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 18 novembre 2020 à 16:10
- Lecture : 6 min
- Par : Marie GENRIES, AFP Belgique, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Cette vidéo de 3 minutes, qui montre l’image d’une rue sur laquelle défile en surimpression un texte, a été partagée plus de 5.600 fois sur Facebook depuis le 24 octobre.
Un texte quasiment identique à celui de cette vidéo circule depuis juin et a déjà été vérifié par l'AFP : le remède au coronavirus aurait été trouvé en Italie grâce à des médecins italiens qui auraient désobéi à "l'ordre" de l'OMS de "ne pas pratiquer d'autopsie sur les morts du coronavirus": le Covid-19 ne serait pas un virus mais "une bactérie" ou une "thrombose", et pour en guérir il suffirait de prendre de l'aspirine et de l'apranax.
Cette vidéo dénonce également "les conflits d'intérêts monstrueux entre l'industrie pharmaceutique, bon nombre de médecins et l'Etat" et accuse l'infectiologue française Karine Lacombe d'être en mission pour lutter "contre la chloroquine" alors qu'elle travaille pour des laboratoires "en concurrence" avec des médicaments prescrits par le Docteur Raoult, autre praticien et chercheur français au coeur d’une controverse scientifique. Ces liens d'intérêts, souvent mal compris et instrumentalisés, ont également été expliqués dans un précédent article de l'AFP.
Des médecins italiens ont trouvé le remède au coronavirus FAUX
Selon cette vidéo, des médecins italiens auraient désobéi à un prétendu "ordre" de l'OMS de ne pas pratiquer d'autopsie sur les morts du coronavirus.
Le 29 mai 2020, le ministère italien de la Santé avait démenti avoir trouvé un remède contre le coronavirus et soulignait qu'"il n'existe aucune thérapie éprouvée contre le Covid-19. Les thérapies actuellement disponibles restent basées sur le traitement des symptômes de la maladie, fournissant des thérapies de soutien (par exemple, oxygénothérapie) aux personnes infectées. Plusieurs essais cliniques sont en cours pour le traitement de la maladie COVID-19".
Sur son site, l'Agence italienne du médicament rappelle le "niveau élevé d'incertitudes" autour des médicaments utilisés pour soigner les patients atteints du coronavirus.
Par ailleurs, l'OMS n'a jamais interdit de pratiquer des autopsies de personnes décédées du Covid-19, expliquait cet article de l'AFP. L'organisme ne demande pas d'éviter les autopsies, mais invite les médecins et les établissements de santé à prendre un maximum de précautions quand ils manipulent des corps de personnes décédées du Covid-19.
Le Covid-19 est une bactérie FAUX
Le Covid-19 est bien un virus et non une bactérie, contrairement à ce qui est affirmé dans le texte de la vidéo. "Le virus à l’origine de la COVID-19 appartient à la famille des Coronaviridae. Les antibiotiques ne fonctionnent pas contre les virus", précise l'OMS dans sa rubrique "idées reçues".
L'Organisation mondiale de la santé rappelle également qu'"aucun médicament homologué ne permet actuellement de guérir la COVID-19".
Le Covid-19 n'est pas non plus une "thrombose" (qui provoque la formation de caillots dans le tissu sanguin), comme l'expliquait cet article de vérification. Plusieurs études (en France, en Hollande, en Irlande par exemple) ont montré que les patients atteints du Covid-19 peuvent développer des thromboses ou des pneumonies, mais aucune de ces études n'affirme que le Covid-19 est une thrombose.
Les respirateurs n'ont jamais été nécessaires FAUX
Cette vidéo affirme que "les respirateurs n'ont jamais été nécessaires, ni les soins intensifs". C'est faux.
Les complications du Covid-19 entraînent, dans les cas les plus graves, un syndrome de détresse respiratoire aiguë et donc un besoin d'oxygénation.
"Tous les pays devraient s'équiper en oxymètre de pouls et en appareils d'assistance respiratoire", avait averti l'Organisation mondiale de la santé (OMS) début mars, estimant qu'il s'agissait d'un "outil important pour le traitement des patients atteints de la forme sévère de Covid-19".
L'aspirine et l'apranax guérissent le coronavirus FAUX
Pour guérir la maladie du coronavirus, selon cette vidéo, il faudrait donc "prendre 100 mg d'aspirine et de l'apranax (un anti-inflammatoire)", car cela "fait baisser la fièvre et fluidifie le sang (ou du paracétamol)". Un cocktail que le ministère italien aurait "commencé à administrer (...) à ses patients positifs".
"C'est une fausse information", avait expliqué à l'AFP un porte-parole du ministère italien de la Santé, contacté par téléphone le 6 juin 2020.
"Le paracétamol a une action antipyrétique et est donc très utile en cas de forte fièvre, mais il ne guérit pas les nouvelles infections au coronavirus", peut-on lire sur le site du ministère italien de la Santé.
Un "lien d'intérêt" n'est pas nécessairement un "conflit d'intérêt"
Cette vidéo dénonce les "conflits d'intérêt" de Karine Lacombe, cheffe du services des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine à Paris, très attaquée sur ses liens avec des laboratoires pendant la crise du Covid : "Lorsqu'on va sur http://www.transparence.sante.gouv.fr (...) on tombe sur le listing de tous les avantages et argent qu'elle a reçu de l'industrie pharmaceutique (BIG PHARMA)".
Ses détracteurs lui reprochent d'avoir critiqué les études de Didier Raoult sur l'hydroxychloroquine et de s'être exprimée sur le remdesivir, un médicament antiviral utilisé dans le traitement du Covid-19, alors qu'elle avait reçu des sommes de son fabricant, Gilead.
Les liens entre industrie pharmaceutique et monde médical sont revenus en lumière avec le Covid-19. Pourtant, un "lien d'intérêt" ne constitue pas forcément un "conflit d'intérêt": les notions sont liées mais distinctes, ce qui engendre souvent une certaine confusion et prête le flanc à l’instrumentalisation, ont expliqué les experts et acteurs du secteur dans l'article de l'AFP cité plus haut.
Gilead a en effet déclaré environ 28.000 euros pour Karine Lacombe entre 2013 et 2019, selon le site Euros for Docs, qui permet d'exploiter les données de la base Transparence-Santé, où les industriels doivent déclarer les sommes supérieures à 10 euros versées au monde de la santé.
Les liens d'intérêts sont déclinés en trois catégories: "Conventions", "avantages" et "rémunérations", comme détaillé ici.
"Sur 7 ans, ça fait 4.000 euros par an, on voit que c'est une somme extrêmement modeste", avait relevé le Pr Lacombe, interrogée par l'AFP en juillet, rappelant que tout est encadré par lois et règlements. "Mes prises de position n’ont jamais concerné un médecin ou un médicament en tant que tels, elles ont toujours concerné la façon dont avait été évalué un médicament", avait ajouté l'infectiologue.
Si la loi française oblige les professionnels de santé à déclarer les rémunérations et avantages obtenus des laboratoires, elle ne leur interdit pas de s'exprimer sur les médicaments, a expliqué à l'AFP Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l'Université de Bordeaux et auteur de "La France malade du médicament" (Ed. de L'Observatoire). "Il peut y avoir des contrats d'ordre privé qui stipulent que les informations auxquelles ont accès les médecins sont confidentielles. Mais ce n'est pas dit dans la loi", a-t-il indiqué le 17 novembre 2020.
Il explique qu'il existe tout de même un droit de réserve tacite au sein du secteur : "quelqu'un qui est lié d'une manière forte à un laboratoire ne s'exprime en général pas sur un médicament produit par un laboratoire concurrent".
Contacté le 17 novembre 2020, un porte-parole du Conseil national de l'Ordre des médecins a expliqué à l'AFP que les médecins sont tenus de faire part de leurs liens avec les laboratoires lorsqu'ils s'expriment à un congrès ou signent une publication scientifique. En revanche, rien ne les empêche de "s'exprimer comme ils le veulent" sur un médicament produit par un laboratoire qu'ils ont conseillé, a-t-il indiqué.
Les médecins ne sont tenus à "aucune obligation" de déclarer leurs liens avec le laboratoire lorsqu'ils s'expriment dans les médias, a précisé l'Ordre des médecins: "Cela dépend du souhait du médecin ou de la question du journaliste".