Surmortalité, vaccination: attention aux fausses affirmations de cette vidéo
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 19 mars 2021 à 18:47
- Mis à jour le 19 mars 2021 à 19:44
- Lecture : 13 min
- Par : Françoise KADRI, Julie CHARPENTRAT, AFP France
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Cette vidéo, qui dure environ un quart d'heure, de Denis Agret a été supprimée de YouTube mais elle reste disponible en intégralité ou via des extraits à d'autres endroits du web. Le magazine Nexus l'a notamment relayée ici sur sa page Facebook, une publication partagée près d'un millier de fois depuis le 12 mars. On la trouve aussi ici, avec plus de 2.500 vues revendiquées par le site.
Enfin, on la retrouve sous différentes versions sur le site Odyssée (comme dans cet exemple), une plateforme vidéo qui diffuse souvent des contenus complotistes bannis de YouTube.
Son auteur affirme dans ce post du 10 mars que sa vidéo avait été vue 22.000 fois en 72 heures avant d'être supprimée.
Un extrait de 2'26 ici a également été publié sur YouTube (4.900 vues depuis le 10 mars). La vidéo a également été vue plus de 32.000 fois en une semaine là, sur Instagram. Le site du librepenseur.org - qui diffuse régulièrement des infox - a lui aussi relayé une partie du contenu de cette vidéo.
Pour donner du crédit à ses affirmations, Denis Agret se présente comme ancien urgentiste "pendant 15 ans" et médecin "diplômé en santé publique".
Dans sa vidéo, il prétend faire des révélations en présentant un document intitulé: "Effets secondaires graves et décès suite à vaccination Covid. Sources ANSM et Santé Publique France. 6 mars 2021".
Puis, il filme son écran d'ordinateur où il affiche différents tableaux de données officielles de pharmacovigilance de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et de Santé Publique France.
Il y a bien eu surmortalité en 2020 par rapport à 2019
Au début de sa vidéo, Denis Agret affirme qu'il n'y a "pas de différence de mortalité entre 2019 et 2020", sans que l'on sache s'il parle de la population en général ou de la partie de la population la plus âgée.
En ce qui concerne la population en général, c'est inexact : comme expliqué dans plusieurs articles de l'AFP, dont celui-ci, il y a bien eu davantage de décès en 2020, une surmortalité clairement attribuée au Covid par les statisticiens et démographes.
Au total, "667.400 décès toutes causes confondues (ont été) enregistrés en 2020 en France, soit 9% de plus qu'en 2018 ou 2019", indiquait l'institut de statistiques Insee à la mi-janvier, soulignant que les décès en France en 2020 avaient été "marqués par l'épidémie de Covid-19", selon cet article de l'AFP.
Selon le bilan de l'Insee, repris par l'AFP, la surmortalité de 2020 a été de 53.900 morts, toutes causes confondues, par rapport à 2019.
Ainsi, selon l'Insee, pendant la "première vague" du Covid, du 1er mars au 30 avril 2020, l'excédent de mortalité a atteint 27.300 décès par rapport à 2019 (soit +27%) et 33.000 morts (+16%) pendant la "deuxième vague", du 1er septembre au 31 décembre. Soit plus de 60.000 morts de plus que sur les mêmes périodes de 2019, selon l'Insee.
La même tendance à une surmortalité s'est accentuée, en début d'année 2021, avec "un nombre de décès supérieur de 14% entre le 1er janvier et le 15 février en France à celui comptabilisé sur la même période de 2020", a annoncé l'Insee, le 26 février, selon cette dépêche de l'AFP et comme le montre le graphique ci-dessous.
Si le propos de Denis Agret vise à nier une surmortalité due au Covid-19 chez les personnes âgées, qu'il se targue d'avoir analysée en tant que médecin pour la Fondation Partage et Vie (qui gère une centaine de maisons de retraite comptant plus de 7.000 résidents), les informations disponibles infirment là encore son argumentaire.
Dans son analyse du 15 janvier, l'Insee soulignait que la "surmortalité sur l'année 2020 a concerné uniquement les personnes âgées de 65 ans et plus", et donc pratiquement pas les tranches d'âge inférieures avec une hausse de 10% du nombre de décès par rapport à 2019, face à une hausse moyenne globale de 9%.
Selon le dernier bilan officiel disponible, on dénombrait 91.679 décès depuis le début de l'épidémie de Covid-19 il y a un an dont environ un quart, 25.405 en Ehpad (maisons de retraite pour personnes dépendantes qui accueillent généralement des plus de 85 ans) et dans les autres établissements pour personnes âgées, comme le montre le tableau ci-dessous diffusé par le ministère de la Santé.
Les vaccins et leurs effets indésirables suspectés
L'auteur de la vidéo poursuit sa démonstration en s'attaquant aux vaccins et à leurs effets indésirables. S'il cite bien des chiffres officiels, il omet des éléments de contexte essentiels à la bonne compréhension comme le nombre total de vaccinés ou l'absence de lien de causalité établi avec la vaccination.
A 2'00, Agret se penche sur le chiffre de 6.960 cas d'effets indésirables avec le vaccin Pfizer-BioNTech dans le rapport hebdomadaire de l'Agence du médicament (ANSM) daté du 5 mars, et qui concerne la semaine du 19 au 25 février. A l'époque, c'est le vaccin le plus injecté en France (3,954 sur 4,315 millions de vaccinés) et pour lequel le chiffre des effets indésirables est, de loin, le plus élevé.
Il assure que "tout ça est bien caché", alors qu'en réalité, ces données sont accessibles semaine après semaine sous l'intitulé "point de situation sur la surveillance des vaccins contre la Covid-19" sur le site de l'ANSM et font l'objet régulièrement de dépêches de l'AFP comme celle-ci.
En examinant le document de l'ANSM du 5 mars, Denis Agret mentionne un total de "près de 10.000 effets indésirables" (précisément 9.174 cas, tous vaccins confondus), mais il passe très rapidement sur la précision apportée par l'Agence du médicament que "la majorité des effets sont attendus et non graves".
Il se garde aussi d'entrer dans le détail et de dire qu'il s'agit majoritairement de "syndromes pseudo-grippaux" pour les vaccins de Pfizer-BioNtech et AstraZeneca, et de "réactions locales" pour le vaccin Moderna, tel que le précise l'ANSM dans le tableau ci-dessous.
Des chiffres mal interprétés pour les effets indésirables
Lors de sa démonstration, Denis Agret énumère les incidents qu'il attribue à la vaccination. Or le fait que ceux-ci soient observés après une injection ne prouve pas un lien de causalité.
Dans cet article de vérification de l'AFP du 15 mars, l'Agence européenne du médicament (AEM, EMA en anglais) précisait que les informations sur les effets indésirables déclarés aux autorités sanitaires "ne doivent pas être interprétées comme signifiant que le médicament ou la substance active provoque l'effet observé ou que son utilisation présente un risque".
Ces effets, qui peuvent être signalés aussi bien par des médecins que par des particuliers, sont rapportés chaque fois qu'un patient vacciné est victime d'un effet secondaire, par mesure de précaution, sans qu'il y ait nécessairement de rapport de cause à effet, notaient des pharmacologues interrogés par l'AFP.
La plateforme EudraVigilance d'évaluation des effets indésirables suspectés des médicaments de l'Agence européenne des médicament prévient dès sa page d'accueil que les informations publiées "concernent des effets indésirables suspectés", par exemple des effets secondaires observés après avoir pris un médicament, mais qui ne sont "pas obligatoirement liés ou dus au médicament".
En effet, la base de données détaille dans sa section "sources des données" qu'un rapport électronique se base sur les effets indésirables liés à des déclarations spontanées.
Pour appuyer son argumentaire, Denis Agret ajoute en rouge une mention inexistante au tableau de l'ANSM affirmant que "les effets indésirables graves ne sont pas mentionnés ici, et sont non attendus". En réalité, dans le rapport détaillé par type de vaccin, l'ANSM publie bien un relevé précis des effets indésirables graves.
24% d'effets graves de la vaccination ?
A 4'40 de la vidéo, il entoure en rouge le chiffre de "24% de cas indésirables graves" pour tous les vaccins, depuis le début de la vaccination, soit depuis le 27 décembre.
Ce qu'il ne précise pas c'est que ce chiffre de 24% représente la proportion d'effets graves sur le nombre total d'effets indésirables, graves et non graves, constatés depuis le début de la vaccination, évalué à 9.174 cas en date du 25 février.
Rapporté au total de vaccinés, on arrive donc à un pourcentage d'effets indésirables (graves et non graves) de seulement 0,21%, soit 9.174 cas pour 4,315 millions de vaccinés, tous vaccins confondus.
Et c'est sur cette proportion minime que l'ANSM recensait au 25 février, 24% de cas graves depuis le début de la vaccination, ce qui équivaut à seulement 0,05% d'effets considérés comme graves sur les plus de 4 millions de personnes vaccinées à la date du 25 février en France.
Plus tard dans sa vidéo, Denis Agret revient en détail sur les effets indésirables graves répertoriés jusqu'au 25 février pour le vaccin Pfizer, en les assortissant de commentaires. "Maladies coronaires, troubles du rythme cardiaque, 185 après vaccination, insuffisance cardiaque..", le médecin lit chaque ligne en la ponctuant de l'affirmation "après vaccination". "Thrombose veineuse profonde, ça fait des phlébites, des caillots dans les veines, 21 après vaccination", poursuit-il.
Au passage, il omet de préciser, ce que l'ANSM indique clairement dans ses tableaux, qu'il s'agit de cas d'effets indésirables, et pas de personnes, une personne pouvant cumuler plusieurs de ces effets, et être décomptée à maintes reprises dans le tableau.
217 décès liés à la vaccination ?
A 8'22", Denis Agret montre un tableau détaillant les effets indésirables graves dits "d'intérêt particulier" (parce qu'ils sont suivis pour d'autres vaccins) en allant directement sur la ligne des décès et en pointant le chiffre de "217 décès post-vaccination" avec le vaccin Pfizer depuis le début de la campagne de vaccination contre le Covid-19 en France.
A l'époque, les deux autres vaccins disponibles, Moderna et AstraZeneca, étaient encore peu diffusés, et les tableaux de l'ANSM dans le rapport de l'Agence au 5 mars ne faisaient apparaître aucun décès post-vaccination.
Depuis, l'Agence de sécurité du médicament française a répertorié dans son dernier rapport disponible un total de 279 décès après des vaccinations avec le sérum Pfizer, 10 morts après des injections avec celui du laboratoire AstraZeneca et 3 après des vaccinations avec celui du laboratoire Moderna.
Les autorités réglementaires de l'Union européenne "examinent soigneusement tous les rapports afin de déterminer s'il existe un lien possible avec le vaccin", rappelait le 12 mars à l'AFP l'Agence européenne des médicaments (AEM).
Et "12.000 personnes meurent chaque jour dans l'UE de causes diverses, dont 83 % sont âgées de plus de 65 ans", poursuivait l'AEM en soulignant qu'à la date du 12 mars, "aucun cas de décès chez des personnes âgées n'a été considéré comme ayant un lien de causalité avec un vaccin contre le Covid-19".
"Les données actuelles ne permettent pas de conclure qu'ils sont liés à la vaccination", affirmait aussi l'ANSM dans son rapport sur les effets indésirables pour le vaccin Pfizer en date du 5 mars, au sujet des 217 décès déclarés, comme le montre la capture d'écran ci-dessous.
"Il y a X décès qui sont survenus chez des gens qui ont été vaccinés mais ça ne veut absolument pas dire que c'est le vaccin qui est responsable de ces décès", expliquait dans l'article de l'AFP Factuel du 15 mars, Jean-Louis Montastruc, chef du service de pharmacologie médicale et clinique du CHU de Toulouse et membre de l'Académie nationale de médecine.
"Il y a des décès qui surviennent spontanément, malheureusement tous les jours, et le rôle des centres de pharmacovigilance est de faire l'imputabilité, c'est-à dire étudier ces observations et regarder si le vaccin est responsable des effets indésirables ou des décès dans ce cas", ajoutait-il.
"Dans la vie réelle les gens meurent, ont des infarctus, des thromboses, des cancers... Donc vous allez voir tous ces événements mais ça ne veut pas forcément dire qu'ils sont liés à la vaccination. Ce qui aurait été étonnant c'est qu'on ne déclare pas de décès après la vaccination", confirmait dans le même article Jean-Daniel Lelièvre, chef du service des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor à Créteil et expert sur la question des vaccins à la Haute autorité de Santé.
"Ce qui permet de dire à la fin que les vaccins sont bien tolérés, c'est qu'on n'a pas d'augmentation de ces événements par rapport à ce qu'il se passe dans la vie quotidienne ou à la population non vaccinée", ajoute le professeur Lelièvre. Pour lui, c'est même l'inverse puisque "des études virologiques ont montré qu'il y avait moins d'hospitalisations chez les personnes vaccinées toutes causes confondues, car il y a une efficacité sur la mortalité spécifiquement liée au Covid".
Les médecins interrogés par l'AFP ont souligné aussi que "même s'il y avait un cas de décès pour 10 millions de personnes vaccinées" en Europe, le principe de la balance bénéfice-risque serait encore respecté, c'est-à-dire que la protection offerte globalement contre le Covid-19, maladie pour laquelle le taux de mortalité est très élevé en cas de forme grave, resterait beaucoup plus importante que les risques.
Dans sa démonstration anti-vaccins, Denis Agret procède aussi à des raccourcis et des suppositions. En s'attardant sur le tableau ci-dessous, il affirme ainsi qu'à côté des personnes rétablies et des décès, il y a des "effets indésirables inconnus". Alors que ce qui est "inconnu" c'est l'évolution de ces effets et s'ils se sont estompés ou ont disparu.
Comme le montre le tableau, l'énorme majorité des effets signalés (5.096 sur 6.960) avec le vaccin Pfizer étaient résolus ou en cours de rétablissement à la date du rapport ANSM, le 5 mars.
Des enfants décédés parmi les vaccinés contre le Covid-19 ?
Vers la fin de sa vidéo, Denis Agret dit s'inquiéter en particulier qu'il y ait eu "des minots de 10, 15, 20 ans qui décèdent après vaccination" avant de lancer un appel aux soignants et au grand public pour refuser la vaccination, en affirmant: "vous l'aurez compris, le risque de se faire vacciner est 1.000 fois supérieur à celui de ne pas se faire vacciner".
L'AFP n'a effectivement pas trouvé la répartition des décès intervenus après vaccination par tranche d'âge. Mais la supposition de Denis Agret que des enfants ou adolescents en sont morts n'est accréditée par aucun élément concret.
Seuls quelques sujets à très haut risque, atteints de trisomie 21, ayant reçu une greffe ou immuno-déprimés notamment, pourraient faire partie des vaccinés car ils entrent dans les catégories prioritaires mais il faut qu'ils aient au moins 16 ans pour pouvoir recevoir le vaccin Pfizer et au moins 18 ans pour les sérums Moderna et AstraZeneca, selon ces informations officielles.
Pour le reste, la campagne de vaccination actuellement menée en France ne concerne pas les plus jeunes, et il n'est pas prévu à ce stade de vacciner les moins de 15 ans. Car le risque de mourir du Covid-19 est infime pour cette tranche d'âge: moins de 1% des décès dans la tranche de 0-14 ans depuis le début de l'épidémie, environ 1% pour les 15-44 ans, selon des données répertoriées ici.
Actuellement le calendrier de la campagne gouvernementale prévoit uniquement, une fois que les catégories prioritaires auront été vaccinées, de proposer des injections à tous les Français adultes d'ici la fin de l'été, comme l'explique ce site officiel.
Suspendue quelques jours dans une quinzaine de pays européens, la campagne de vaccination avec l'AstraZeneca a redémarré le 19 mars en France, après que l'Agence européenne du médicament l'a jugé "sûr et efficace", dans un avis rendu le 18 mars et repris dans cette dépêche de l'AFP.
Au terme de trois jours de réunion, des experts de l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) ont également estimé le 19 mars, comme le relate l'AFP dans cet article, que les bénéfices associés au vaccin AstraZeneca contre le coronavirus l'emportaient sur les risques.
"Le vaccin AstraZeneca (...) continue d'avoir un profil bénéfices-risques positif, avec un énorme potentiel pour prévenir les infections et réduire les décès dans le monde entier", a indiqué le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale (GACVS) de l'OMS, dans un communiqué.
Après avoir examiné les données des essais cliniques et les rapports sur la sûreté du vaccin basés sur les données provenant d'Europe, du Royaume-Uni, d'Inde et de Vigibase, une base de données mondiale de l'OMS, ils ont conclu que "les données disponibles ne suggèrent pas d'augmentation globale des troubles de la coagulation (...) après l'administration des vaccins contre le Covid-19".