
Non, ces études ne révèlent pas un lien causal entre vaccins contre le Covid-19 et cancers
- Publié le 8 octobre 2025 à 18:18
- Lecture : 8 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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"Vaccin covid et cancer. 2 études [...] exposent des études épidémiologiques rapportant une augmentation des cancers chez les vaccinés (+37%) de plus chez les vaccinés en Corée, le plus inquiétant est l’augmentation des cancers du pancréas (+157%) chez les personnes ayant eu 2 injections", a affirmé dans une publication sur X Didier Raoult, scientifique marseillais qui s'est notamment illustré pendant la crise sanitaire de Covid-19 pour ses prises de position vaccinosceptiques et sa promotion de traitements non éprouvés scientifiquement.
Ces allégations sur un lien entre le vaccin Covid-19 et le cancer circulent depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux et l'AFP Factuel a déjà rédigé plusieurs articles de vérification sur le sujet, comme ici ou ici.
En octobre 2024, Didier Raoult a été interdit d'exercer pendant deux ans, à partir du 1er février 2025, par l'Ordre des médecins. Il lui est reproché d'avoir enfreint plusieurs articles du Code de la santé publique, surtout en promouvant un traitement à base d'hydroxychloroquine contre le Covid-19 sans donnée scientifique fiable.
L'une des études fondatrices de cette théorie, signée de 18 auteurs, dont Didier Raoult - publiée en mars 2020 dans la revue scientifique International Journal of Antimicrobial Agents - a été invalidée en décembre 2024 par l'éditeur de la revue. En cause : le non-respect de multiples règles, mais aussi la manipulation ou l'interprétation problématique de résultats.

Les propos de Didier Raoult ont également été repris le mardi 7 octobre dans l'émission "Tout Beau Tout N9uf", présentée par Cyril Hanouna, comme on peut le voir dans cette séquence publiée par le compte X de l'émission.
"Il affirme qu'il existerait un lien entre la vaccination contre le Covid et une hausse des cancers. Donc il s'appuie sur deux études récentes [...] +37% de cancers chez les personnes vaccinées et +157% de cancers du pancréas chez les personnes qui ont eu deux injections", présente la chroniqueuse Shana Loustau, pendant que Cyril Hanouna s’exclame "incroyable".
"Il demande que la communauté scientifique reproduise ces études pour que, enfin, on ait une réponse claire", ajoute le chroniqueur Gilles Verdez.
Cette séquence a fait bondir plusieurs professionnels de santé qui dénoncent la mauvaise interprétation des études citées par Didier Raoult et sa reprise - sans point de vue contradictoire - sur le plateau de TBT9.
Comme cela se produit très souvent en matière scientifique, une simple "association" statistique est confondue avec un lien de cause à effet.
"Fake news. La désinformation en santé est dangereuse : elle peut détourner les personnes fragiles de la vaccination essentielle. Ce qui est incroyable, c’est qu’on continue à colporter de telles âneries de manière aussi irresponsable pour faire du buzz", a ainsi réagi sur X - en taguant le régulateur de l'audiovisuel, l'Arcom - le Pr Mathieu Molimard, président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) et qui a récemment été missionné par le ministère de la Santé pour mettre en place une stratégie de lutte contre la désinformation médicale.
De même, le cancérologue Jérôme Barrière a réfuté ce lien entre vaccins contre le Covid-19 et cancers, expliquant à l'AFP que ces études "ne montrent aucune corrélation" et ont un niveau de preuve "assez faible", comme il l'a notamment détaillé dans plusieurs publications sur X.
Contacté par l'AFP, Didier Raoult n'a pas réagi sur le fond à ces critiques.
Un biais de sélection
Dans son post sur X, Dider Raoult cite une étude italienne, intitulée "Vaccination contre la COVID-19, mortalité toutes causes confondues et hospitalisation pour cancer : étude de cohorte sur 30 mois dans une province italienne" et publiée en juillet 2025 dans la revue "Excli Journal" (lien archivé ici).
Ce titre n'apparaît pas dans la liste des revues recommandées par la Conférence des Doyens de médecine, publiée par la Faculté de Santé de Sorbonne Université, afin de lutter contre les revues prédatrices (considérées par la communauté scientifique comme étant peu scrupuleuses sur la qualité de leurs publications) (lien archivé ici).
L'objectif de cette étude - qui se base sur les données de 296.000 personnes sur 30 mois - "était de comparer la mortalité globale et l'incidence du cancer chez les personnes vaccinées par rapport aux personnes non vaccinées", expliquent les auteurs.
Ils concluent que les personnes qui ont reçu le vaccin contre le Covid-19 "présentaient un risque de mortalité toutes causes confondues presque deux fois moins élevé après un suivi médian de 25 mois" et expliquent avoir également observé "une association variable entre la vaccination contre la COVID-19 et l'hospitalisation pour cancer".
Ainsi, les auteurs eux-mêmes ne concluent pas à l'existence d'un lien de causalité entre vaccins et cancers et reconnaissent d'ailleurs un possible biais de sélection : "Comme les résultats pourraient être influencés par l'effet confondant [susceptible d'entraîner une confusion, NDLR] d'une utilisation différentielle [différente, NDLR] des soins de santé par les personnes vaccinées, ils doivent être considérés comme préliminaires, et des données supplémentaires sont absolument nécessaires pour élucider l'association potentielle entre la récidive du cancer et la vaccination contre la COVID-19", écrivent-ils.
En effet, l'étude comporte de nombreuses limites méthodologiques, explique Jérôme Barrière.
Tout d'abord, les personnes vaccinées étaient plus âgées, 50 ans en moyenne contre 45 ans pour les personnes vaccinées, et présentaient davantage de comorbidités comme de l'hypertension, du diabète. Les personnes les plus fragiles ont aussi été plus ciblées par la vaccination que les jeunes en bonne santé. Enfin, "les antécédents de cancer étaient presque deux fois plus fréquents chez les vaccinés que chez les non vaccinés (4,2 % vs 2,3 %)", souligne le Dr Barrière.
"Cela crée un effet de confusion : si les vaccinés ont déjà un risque de cancer plus élevé (âge, comorbidités, suivi médical intensif), on observera mécaniquement plus d’hospitalisations pour cancer dans ce groupe, même si le vaccin n’y est pour rien", explique-t-il.
Ainsi, l'étude ne montre pas que le vaccin provoque des cancers mais reflète que "les personnes hospitalisées pour un cancer étaient plus âgées, avaient davantage de comorbidités et étaient plus fragiles, et c'est bien elles qu'il fallait vacciner en priorité", ajoute-t-il encore.
"L'étude indique donc surtout un bénéfice des vaccins (baisse de la mortalité), sans signal clair de dangerosité sur le cancer", conclut le cancérologue.
Pas de cancer en un an
Didier Raoult cite également une étude sud-coréenne, qui est en réalité une lettre de plusieurs chercheurs à la rédaction de "Biomarker Research" intitulée "Risques de cancer associés à la vaccination contre la COVID-19 sur une période d'un an : une vaste étude de cohorte menée auprès de la population sud-coréenne" et publiée fin septembre 2025 (lien archivé ici).
Cette étude, portant sur 8 millions de personnes suivies sur une année, rapporte des "associations entre la vaccination contre la COVID-19 et un risque accru de six types de cancer", notamment la thyroïde (+35%), l’estomac (+34%), le colorectal (+28%), le poumon (+53%), le sein (+20%) et la prostate (+69%).
Cependant, certains chiffres cités par Didier Raoult - une augmentation des cancers de 37% chez les personnes vaccinées en général et une augmentation des cancers du pancréas de 157% chez les personnes ayant eu deux injections - n'ont été retrouvé ni par l'AFP, ni par le Dr Barrière.
Dans cette étude non plus, les auteurs n'affirment pas l'existence d'une causalité entre vaccination et cancers. Ils concluent que la vaccination contre le Covid-19 "pourrait être associée à un risque accru de six types de cancers spécifiques". Ils précisent également : "Compte tenu de la disponibilité limitée des données réelles, notre étude [...] a suggéré des associations épidémiologiques [...] Cependant, d'autres études sont nécessaires pour élucider les relations causales potentielles".
Mais le Dr Barrière explique que "plusieurs biais peuvent expliquer un tel écart statistique sans vraie relation de cause".
Tout d'abord, l'oncologue explique qu'un délai d'un an est trop court pour qu'un vaccin puisse provoquer un cancer détectable.
"Il est impossible de voir un phénomène un an après une vaccination, il y a un temps de développement cancéreux qui n'est pas crédible", pointe-t-il : "Aucun cancérigène ne peut induire un cancer aussi vite".
Dans les biais, il explique aussi que les personnes vaccinées ont pu être plus en contact avec le système de santé, ce qui va augmenter les chances de détecter un cancer. "Ce phénomène de 'biais de détection' pourrait artificiellement gonfler les chiffres de cancers chez les vaccinés, sans qu’il y ait réellement plus de cancers causés par le vaccin", détaille-t-il.
Aussi, cette étude a donné lieu à des discussions sur Pubpeer - un site permettant d'émettre des commentaires sur des articles scientifiques (lien archivé ici) - où des chercheurs ont souligné d'autres limites.
"Il est frappant de constater que les six sites 'excédentaires' correspondent aux cancers soumis à un dépistage de routine en Corée du Sud (échographie thyroïdienne, endoscopie gastrique, etc.), ce qui rend une explication fondée sur la détection beaucoup plus plausible que la causalité", avance par exemple un utilisateur.
"Compte tenu du moment, de l'incohérence et de l'absence de mécanisme biologiquement plausible, il est difficile d'interpréter ces résultats comme des effets causaux de la vaccination plutôt que comme des artefacts [résultats altérés, NDLR] liés à l'utilisation des soins de santé et à des facteurs de confusion résiduels", ajoute un autre.
Ainsi, "les simples associations statistiques ne sauraient prouver un lien de cause à effet", conclut Jérôme Barrière.
Pas de "sursaut statistique"
En mars 2023, un collectif d’une cinquantaine de cancérologues - dont Jérôme Barrière - avait déjà réfuté les allégations selon lesquelles la vaccination anti-Covid augmenterait le risque de développer ou d'aggraver un cancer, dans une tribune publiée sur le site de L'Express (lien archivé ici).
"De manière très ferme, nous contestons formellement ces informations qui ne sont basées sur aucune publication, sur aucune donnée épidémiologique française ou internationale [...] et qui ne correspondent en rien à ce que nous, professionnels de santé en première ligne de la prise en charge des cancers, avons constaté à ce jour dans notre quotidien ni dans nos bilans d'activité au cours des années 2021 et 2022", écrivaient-ils.
Deux ans plus tard, Jérôme Barrière réitère ces propos, expliquant que dans toutes les études épidémiologiques, "aucune ne montre un sursaut statistique". "Il y a une augmentation des cas de cancers notamment liée au vieillissement de la population, à un accroissement de la population, et à des facteurs évitables, comme le tabac", précise-t-il.
Les vaccins contre le Covid-19 ont permis d’éviter 1,4 million de morts en Europe, selon l'OMS.
La nouvelle campagne de vaccination contre le Covid-19 commencera en France le 14 octobre 2025, de manière à être couplée à celle contre la grippe. Environ 19 millions de personnes sont jugées à risque de formes graves pour ces deux pathologies respiratoires, notamment les plus de 65 ans, nombre de malades chroniques et les femmes enceintes, et peuvent bénéficier d'un vaccin antigrippal gratuit. Celui contre le Covid est intégralement remboursé pour tous les Français.