
Non, l'arrestation d'un chercheur ne prouve pas un lien entre le vaccin ROR et l'autisme
- Publié le 30 septembre 2025 à 17:16
- Lecture : 5 min
- Par : Marisha GOLDHAMER, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Chloé RABS , AFP France
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"Poul Thorsen, 'grand expert' de l'autisme et de la vaccination[et auteur de plusieurs 'études' servant de 'références' pour nier l’évidence du lien entre les vaccinations généralisées et l’autisme généralisé] a été arrêté en Allemagne après avoir volé 1 million de dollars au CDC', écrivent plusieurs internautes sur les réseaux sociaux (1, 2, 3).
"Cette arrestation signe une victoire de plus pour le mouvement MAHA et pour la communauté concernée par l'autisme, parce que Thorsen était l'un des principaux auteurs de plusieurs études de référence réfutant le lien avec la vaccination", ajoutent-ils.


Des publications similaires ont également été largement partagées en anglais et en espagnol.
Mais si Poul Thorsen a bien été arrêté en juin, cette arrestation ne remet pas en cause les conclusions de son étude qui démontre l'absence de lien entre le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), et l'autisme - ce que la littérature scientifique confirme également.
Inculpation pour blanchiment d'argent
Poul Thorsen a été inculpé en avril 2011 de 22 chefs d'accusation pour fraude électronique et blanchiment d'argent. A l'époque, la procureure générale des États-Unis, Sally Quillian Yates, avait déclaré qu'il était "soupçonné d'avoir orchestré un stratagème visant à détourner plus d'un million de dollars de subventions du CDC [les centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies, NDLR] destinées à la recherche sur l'autisme "(lien archivé ici).
Il a été arrêté le 4 juin 2025 en Allemagne et les États-Unis demandent son extradition, selon un avis publié par le Bureau de l'inspecteur général du ministère américain de la Santé et des Services sociaux (lien archivé ici).
Les publications sur les réseaux sociaux - qui semblent faire suite à un article publié le 15 septembre par Breitbart News - expliquent que cette arrestation discrédite les résultats des travaux de Poul Thorsen sur les vaccins et l'autisme. Ce qui n'est pas le cas, selon les experts interrogés par l'AFP.
Les posts citent notamment cette étude publiée en 2002 dans le New England Journal of Medicine (lien archivé ici) et intitulée : "Étude démographique sur la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole et l'autisme".
Selon ses auteurs, celle-ci fournit "des preuves solides contre l'hypothèse selon laquelle la vaccination ROR provoque l'autisme".
"L'idée et le concept de recherche sont les miens", a expliqué à l'AFP l'auteur principal de l'étude, Kreesten Madsen, le 19 septembre, et "l'acquisition, la première analyse et l'interprétation des données ont été effectuées sans Poul Thorsen".
L'expert a ainsi expliqué que M. Thorsen n'était pas au centre de ces travaux et n'avait jamais eu accès aux données, mais a permis des contacts avec le CDC, l'un des nombreux bailleurs de fonds pour cette étude.
Contactée, la revue New England Journal of Medicine a également déclaré n'avoir trouvé aucun problème dans l'article, malgré l'inculpation de Poul Thorsen. "Les conclusions de l'étude restent valables et concordent avec les nombreuses recherches ultérieures qui n'ont montré aucun lien entre le vaccin ROR et l'autisme", a ainsi déclaré à l'AFP un porte-parole de la revue, le 20 septembre.
De même, David Mandell, directeur du Penn Center for Mental Health de la faculté de médecine de l'université de Pennsylvanie, a expliqué avoir examiné la méthodologie de l'article et a affirmé à l'AFP le 22 septembre que "les méthodes sont tout à fait conformes à ce que nous considérons comme une science de haute qualité".
"Alors oui, traduisez-le en justice pour avoir détourné des fonds du CDC. Mais ne confondons pas cela avec la validité des travaux scientifiques menés par ce groupe et de nombreux autres groupes", a-t-il ajouté.
Pas de liens entre vaccins et autisme
Depuis plus de vingt ans, la méfiance envers le vaccin ROR s'est accentuée, se fondant en particulier sur une étude publiée en 1998 dans la revue médicale prestigieuse The Lancet, qui suggérait un lien entre la vaccination ROR et l'autisme.
Cependant, l'étude s'est révélée être un "trucage" de son auteur Andrew Wakefield, comme détaillé dans cet article de l'AFP, mais ni le démenti officiel de la revue, ni le retrait de l'article, ni les multiples travaux postérieurs démontrant l'absence de lien, n'ont fait cesser la désinformation autour de ce vaccin.
Depuis la nomination de Robert Kennedy Jr. en début d'année à la tête du ministère de la Santé américain par le président Donald Trump, cette théorie connaît un regain d'intérêt anti-vaccin notoire. RFK Jr a en effet partagé plusieurs fois cette infox, comme lors d'une interview pour Fox News en juillet 2023 (lien archivé ici) où il déclarait : "Je pense que l'autisme est dû aux vaccins."
En avril, il avait promis de révéler les "causes" de ce qu'il nomme une "épidémie" d'autisme. Mais si les cas d'autisme - un trouble complexe au spectre large - ont augmenté ces dernières décennies aux Etats-Unis, les scientifiques rejettent l'existence d'une épidémie, mettant en exergue les améliorations des diagnostics.
Le 22 septembre, RFK Jr s'est joint à Donald Trump lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche dédiée à l'autisme, lors de laquelle le président américain a vivement déconseillé le paracétamol aux femmes enceintes, l'associant à un risque d'autisme élevé pour les enfants - en dépit du consensus scientifique contraire sur le sujet, comme expliqué dans cet article.
Donald Trump a également exhorté les parents à rejeter le vaccin ROR au profit de vaccins contre un seul virus, une proposition qui constituerait un changement majeur par rapport aux recommandations actuelles.
Dès le lendemain, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a contredit ses propos, réaffirmant qu'il n'existait aucune preuve scientifique démontrant que la prise de paracétamol par les femmes enceintes provoque l'autisme chez leurs enfants, et que les vaccins ne causent pas l'autisme.
En 2009, des chercheurs de l'hôpital pour enfants de Philadelphie ont examiné sept études portant sur un lien possible entre l'autisme et le thiomersal, un conservateur à base de mercure présent dans les vaccins - mais aucune d'entre elles n'a pu établir ce lien (lien archivé ici).
Une étude réalisée en 2013 par le CDC a également montré que la quantité d'antigènes (substances qui déclenchent la réponse immunitaire de l'organisme et peuvent être incluses dans les vaccins sous forme affaiblie ou inactive) reçue au cours des deux premières années de vie n'augmentait pas le risque d'autisme chez l'enfant (lien archivé ici).
Concernant l'origine de l'autisme, les chercheurs ont montré que la génétique jouait un rôle important. Certains facteurs environnementaux ont également été mis en avant, comme la neuro-inflammation ou la prise de certains médicaments comme l'anti-épileptique dépakine durant la grossesse.
Aux Etats-Unis, la désinformation vaccinale a contribué à faire chuter les taux de vaccination dans l'ensemble du pays. Selon un sondage publiée mi-septembre 2025 par le Washington Post et l'ONG KFF, de plus en plus d'Américains rechignent à faire vacciner leurs enfants, principalement dans les milieux blancs conservateurs et religieux, comme expliqué dans cet article de l'AFP.
La proportion d'enfants en maternelle vaccinés contre la rougeole est ainsi passée, au niveau national, de 95% en 2019 à 92,5% en 2024, avec de fortes variations régionales.
Sous l'effet de cette baisse des taux vaccinaux, les Etats-Unis ont connu en 2025 leur pire épidémie de rougeole en plus de 30 ans, avec trois morts, dont deux enfants.