Porter un soutien-gorge n'augmente pas les risques d'avoir un cancer du sein
- Publié le 15 décembre 2025 à 15:03
- Lecture : 6 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
Chaque année, plus de 650.000 personnes décèdent du cancer du sein dans le monde. Depuis début décembre, de nombreuses publications sur Facebook, X ou Instragram conseillent aux femmes d’éviter "les soutiens-gorge noirs par temps chaud" ou encore de ne "pas porter régulièrement de soutien-gorge avec des armatures" pour éviter cette maladie, relançant une rumeur persistante en Afrique francophone. Mais ces affirmations sont infondées : études scientifiques et chercheurs interrogés par l’AFP concluent qu’il n’existe aucune preuve établissant un lien de causalité entre le port du soutien-gorge et le cancer du sein.
Le cancer du sein fait chaque année plus de 650.000 morts dans le monde. L'Afrique constitue la région où l’incidence de la maladie est la plus faible, mais celle où la mortalité est la plus élevée, soulignait début 2025 un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (lien archivé ici).
Une grande partie de ces décès est due à un diagnostic tardif, ainsi qu’à des actions de prévention et à une prise en charge insuffisantes, précise l'OMS. "Des interventions efficaces pour un diagnostic précoce et en temps utile, associées à un traitement complet (...) sont essentielles pour réduire la charge du cancer du sein", explique l’organisation. Malheureusement, la désinformation récurrente autour de cette maladie contribue parfois à ralentir le diagnostic ou éloigner des bons gestes à adopter.
Depuis début décembre, de nombreuses publications sur Facebook, X ou Instagram prétendent ainsi donner plusieurs "conseils aux femmes" pour éviter le cancer du sein. Ces posts conseillent notamment "d’éviter les soutiens-gorge noirs par temps chaud", "de ne pas porter de soutien-gorge en dormant" ou bien encore "de ne pas porter de soutien gorge avec une armature".
Ce narratif autour du cancer du sein circule depuis des années. L’AFP Factuel avait déjà débunké en 2020 des publications identiques, ainsi que des affirmations très similaires en 2021 reliant port du soutien-gorge et cancer du sein.
A l’origine du retour de cette rumeur, une publication qui a été relayée environ 5.000 à travers plusieurs pays d’Afrique francophone, notamment en Guinée et en République démocratique du Congo, avant d'être supprimée par son auteur.
Elle circule particulièrement en Côte d’Ivoire, où l’actrice et animatrice Nadiya Sabeh, figure très connue du public pour son engagement dans la lutte contre le cancer du sein, est décédée des suites de cette maladie le 3 décembre 2025. C'est d'ailleurs sa photo qui est associée à certains posts.
Dans les commentaires, de nombreux internautes semblent prendre ces conseils au sérieux, comme en témoignent les multiples remerciements.
Mais ces conseils sont infondés. Il n’existe en réalité aucun lien de causalité entre le port du soutien-gorge et le cancer du sein, indiquent des études scientifiques, des chercheurs interrogés par l’AFP ainsi que des organismes spécialisés dans la lutte contre le cancer.
Pas un facteur de risque
Plusieurs études scientifiques se sont penchées sur les causes du cancer du sein. Aucune recherche sérieuse n’est arrivée à prouver que le port du soutien-gorge pouvait causer ou favoriser l’apparition de ce cancer. Une étude qui fait date démontre au contraire qu’il n’existe pas de lien causal.
"Aucune preuve n’indique que le port du soutien-gorge augmente le risque de cancer du sein", concluait ainsi cette étude de 2014 publiée dans Cancer Epidemiology, Biomarkers & Prevention, revue scientifique spécialisée dans l’épidémiologie du cancer (lien en anglais archivé ici).
Les scientifiques Lu Chen, Kathleen E. Malone et Christopher Li y ont analysé les habitudes de port du soutien-gorge chez 1.513 femmes de 55 à 74 ans, dont 1.044 avaient été diagnostiquées d’un cancer du sein invasif et 469 étaient en bonne santé.
Leurs recherches révélaient alors qu’"aucun aspect du port du soutien-gorge — taille du bonnet, armatures ou durée quotidienne — n’est lié à un risque accru de cancer du sein".
Plus récemment, l’American Cancer Society a synthétisé dans une publication l’état actuel de la recherche sur le cancer du sein (lien archivé ici). L’organisation, à la pointe aux Etats-Unis sur la recherche et la prévention du cancer, y détaille page 5 les facteurs qui augmentent le risque de développer un cancer du sein.
On y apprend que "la plupart des femmes qui développent un cancer du sein ne présentent aucun facteur de risque connu". Lorsque des facteurs de risque sont cependant identifiés, "les plus importants sont les antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein, une irradiation à forte dose de la poitrine ou certaines variations génétiques héréditaires (BRCA1 ou BRCA2)".
La publication mentionne que seuls "30% des cas peuvent être attribués à des facteurs de risque potentiellement modifiables", citant en particulier "le surpoids, la sédentarité et la consommation d'alcool". Mais le port du soutien-gorge ne fait pas partie de cette liste.
Au contraire, "le port d’un soutien-gorge (...) ne constitue pas [un] des facteurs associés au risque de cancer du sein", écrit noir sur blanc l’American Cancer Society.
"Rien dans les données scientifiques ne montre que le port du soutien-gorge, quel qu’en soit le type – avec ou sans armatures, porté longtemps, même la nuit – augmente le risque de cancer du sein”, confirme aussi à l'AFP Dr Kirstie Graham, de l’Union internationale contre le cancer (UICC).
Elle indique que le "cancer du sein résulte de plusieurs facteurs" de risque, dont "certains ne peuvent être modifiés” (âge, antécédents familiaux, certaines mutations génétiques, âge des premières règles et de la ménopause, absence de grossesse) et d’autres qui sont "liés au mode de vie" (alcool, obésité, sédentarité, pollution selon certaines études). Le port ou non du soutien-gorge n’en fait pas partie.
L’AFP avait déjà interrogé d'autres experts dans ses précédents factchecks sur ce sujet et tous tenaient le même discours que le Dr Kirstie Graham. Les spécialistes interrogés en 2020 rappelaient qu’un seul élément présent dans les publications en cause est scientifiquement établi : le fait que l’allaitement réduit le risque de cancer du sein.
Conséquences sur la prévention du cancer
Mais alors, d’où vient cette rumeur persistante ? Selon Kirstie Graham, elle est issue d'un livre publié dans les années 1990 "qui suggérait un lien entre le port du soutien-gorge et le cancer du sein, en ne s’appuyant sur aucune méthodologie conforme aux standards scientifiques".
L’Institut français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) confirme dans un article de septembre 2024 l’origine de cette rumeur, donnant même le titre de l’ouvrage en question : "Dressed to Kill", publié en 1995 par le médecin américain Sydney Singer (lien archivé ici).
L'auteur de ce livre estime que les femmes qui ne portent pas de soutien-gorge auraient seulement "une chance sur 168" de développer un cancer du sein, contre "trois à quatre chances" pour celles qui en portent en continu (autrement dit, aussi la nuit).
Mais l’Inserm explique que la prétendue étude de ce médecin "n’a jamais été examinée par des experts ni publiée dans une revue à comité de lecture". Et que depuis, "aucune étude scientifique rigoureuse n’a jamais confirmé ces observations". Elles ont au contraire été démenties.
Avec l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, cette hypothèse a commencé à circuler largement et réapparaît régulièrement, indique Kirstie Graham, alimentant une désinformation qui "peut avoir des conséquences graves, notamment au niveau de la prévention et du traitement du cancer".
Selon elle, ces fausses rumeurs sapent "la confiance dans les soins de santé, promeuvent des remèdes non éprouvés et entraînent des retards ou le rejet de thérapies scientifiquement fondées".
La détection et le traitement précoces permettent de réduire la mortalité liée au cancer du sein, rappelle l'OMS. L'organisation insiste entre autres sur l'importance de "connaître les signes et symptômes du cancer du sein" et de réaliser des mammographies de contrôle sur les femmes âgées de 50 à 69 ans "afin de détecter les lésions précliniques avant l’apparition de signes ou de symptômes reconnaissables".
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