En Côte d’Ivoire, de nombreuses infox ont cherché à perturber l’élection présidentielle du 25 octobre
- Publié le 28 octobre 2025 à 12:11
- Lecture : 9 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
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Près de neuf millions d’électeurs ivoiriens se sont rendus aux urnes samedi 25 octobre 2025 et ont réélu pour un quatrième mandat le président sortant Alassane Ouattara. Si le scrutin s’est déroulé globalement dans le calme, de nombreuses fausses informations diffusées le jour de l'élection ont tenté de faire croire à de graves perturbations, affirmant tantôt que des bureaux de vote seraient en feu, tantôt que l’armée française interviendrait à côté de la Commission électorale indépendante. Ces infox avaient pour but "de perturber le scrutin" et de "créer la panique", selon les conclusions d’une mission d’observation citoyenne.
Les résultats finaux de la présidentielle en Côte d’Ivoire sont connus depuis lundi 27 octobre. Alassane Ouattara, 83 ans, a été réélu dès le premier tour pour un quatrième mandat, sur un score écrasant mais avec près de 50% d'abstention (dépêche AFP archivée ici).
Avec plus de 44.000 membres des forces de l’ordre déployés sur tout le territoire, le scrutin s’est globalement déroulé dans le calme samedi 25 octobre, malgré un climat politique tendu depuis plusieurs semaines lié à l’exclusion du scrutin des deux principaux leaders d'opposition, l'ex-président Laurent Gbagbo et le banquier international Tidjane Thiam.
Des heurts ont éclaté dans plusieurs localités du sud et de l'ouest, mais sans "incidence majeure sur le déroulement du scrutin", selon le ministre de l'Intérieur Vagondo Diomandé. Des incidents ont été signalés dans 2% des lieux de vote, soit environ 200 endroits, selon un bilan des forces de l'ordre transmis à l'AFP.
Cependant, "la journée a été marquée par une prolifération de fausses informations construites pour manipuler l’opinion et entretenir la confusion", relevait lundi 27 octobre dans un communiqué le Consortium des Organisations de la Société Civile pour les Elections en Côte d'Ivoire (lien archivé ici).
Des internautes ont ainsi tenté pêle-mêle de faire croire qu’un ministre aurait été tué dans une attaque, que des bureaux de vote auraient été incendiés ou saccagés, ou bien encore que l’armée française aurait été déployée à proximité de la Commission électorale indépendante.
Toutes ces affirmations sont fausses et les images invoquées comme preuves sont en réalités souvent bien plus anciennes et décontextualisées, a prouvé AFP Factuel grâce à des enquêtes en ligne et sur le terrain.
Derrière la propagation de ces infox, on retrouve selon plusieurs sources locales des acteurs nationaux, mais aussi et surtout une ingérence étrangère, en particulier en provenance des pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
De vieilles images pour faire croire à des violences visant des bureaux de vote
Plusieurs images décontextualisées ont été utilisées pour faire croire à de graves perturbations à proximité de plusieurs bureaux de vote.
Ainsi, des publications partageant une photo d'une rue avec des objets qui brûlent affirment que "les responsables des bureaux de votes à Gagnoa et Toumodi", deux villes situés respectivement à l’ouest et au centre du pays, "ont été chassés et les lieux SACAGÉS" (liens archivés ici et ici). "La tension continue de gagner du terrain", concluent, alarmistes, ces publications qui cumulent des centaines de partages et d'interactions.
Depuis le lancement de la campagne présidentielle 2025 en Côte d’Ivoire, plusieurs incidents ont été effectivement signalés dans des villes comme Yamoussoukro, Jacqueville ou Bonoua (1, 2, 3).
Cependant, l’affirmation selon laquelle il y aurait eu des violences le jour du scrutin dans les villes de Gagnoa et Toumodi est infondée. Une recherche d’image inversée effectuée grâce à Microsoft Bing nous indique que l’image avancée comme preuve a été prise au Togo.
On retrouve en effet le cliché dans cet article de la BBC publié le 30 juin 2025 ou dans cet autre article du média allemand Deutsche Welle datant du 6 août 2025 (liens archivés ici et ici). Dans les deux cas, le cliché est utilisé comme image d’illustration pour évoquer la violente répression au Togo de manifestations contre le président Faure Gnassingbé, durant lesquelles au moins cinq personnes avaient à l'époque perdu la vie.
Les légendes précisent que la photo a été prise par la photographe Alice Lawson, pour l’agence de presse Reuters. On la retrouve en effet sur le site de Reuters, qui indique que le cliché montre l’incendie de barricades improvisées lors d’une manifestation survenue le 26 juin 2025 dans la capitale de Lomé (lien archivé ici).
D’autres publications prétendent que des violences auraient lieu dans la commune de Yopougon, considérée comme un bastion de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo (liens archivés ici, ici et ici). Elles énumèrent plusieurs numéros de bureaux de vote situés à Abidjan, comme dans ce post qui a généré plus de 15.000 réactions et 2.800 commentaires, et affirment, à grand renfort de photos de bâtiment en feu, que ces lieux sont actuellement "incendiés".
Pour vérifier l’authenticité de cette affirmation, un journaliste d’AFP Factuel s’est rendu dans la commune de Yopougon le 25 octobre et a pu constater que les bureaux de vote indiqués dans ces publications n’avaient pas été incendiés.
Par ailleurs, les images utilisées pour évoquer ces prétendus incendies n’ont aucun lien avec la Côte d’Ivoire : elles ont été prises pour les deux premières au Cameroun et au Nigeria, a constaté l’AFP grâce à plusieurs recherches d’images inversée.
La première image, qui montre l’incendie d’un véhicule visible à travers la grille d’une clôture, provient en réalité d’une vidéo publiée le 16 octobre 2025 au Cameroun. Selon la légende, elle montre un incendie survenu au "siège du RDPC" (le parti au pouvoir, NDLR) dans la ville de Dschang, dans le cadre des violences post-électorales liées à la présidentielle camerounaise du 11 octobre 2025 (vidéo archivée ici). Grâce aux plans plus larges de la vidéo originale, on distingue effectivement sur le bâtiment des néons "RDPC" et "section Menoua", département de l’ouest du Cameroun dans lequel est effectivement située la ville de Dschang.
La deuxième image montrant un bâtiment en feu est aussi ancienne et décontextualisée. Grâce à une recherche d'image inversée réalisée via le moteur de recherche Yandex, on retrouve sur TikTok la vidéo dont elle est tirée (lien archivé ici). Cette vidéo, publiée le 13 mai 2025, a été prise d'après les hastags présents dans la publication à Lagos, au Nigeria. "Ma maison était littéralement en feu cette nuit-là. Grâce à Dieu, personne n'est mort", indique en anglais la légende.
et la vidéo TikTok filmée au Nigeria (à droite) / Captures d'écran réalisées le 28 octobre 2025 / Encadrés de couleurs rajoutés par la rédaction de l'AFP.
AFP Factuel n’a pas réussi à authentifier la dernière photo, en raison de sa mauvaise qualité.
Intervention de l’armée française à Abidjan ? Faux
Une autre publication sur Facebook affirme, images de militaires à l’appui, que la France aurait déployé des soldats à Abidjan, plus précisément "aux alentours du lycée Sainte-Marie à côté de la CEI”, soit la Commission électorale indépendante (lien archivé ici).
Cette affirmation met déjà la puce à l’oreille, car elle révèle une mauvaise connaissance de la cartographie d’Abidjan, puisque le lycée Sainte-Marie - connu pour être le lieu de vote d'Alassane Ouattara - n’est pas situé à côté du siège de la CEI. Les deux lieux sont en réalité séparés de plusieurs kilomètres, comme le montre cette capture d’écran Google Map.
Contactée par AFP Factuel, l’armée française a démenti être intervenue à Abidjan ou bien ailleurs dans le pays durant ce week-end d’élection. "Les armées françaises ne mènent actuellement aucune activité opérationnelle avec les Forces armées de Côte d'Ivoire, et cela depuis plusieurs mois", a ainsi indiqué à l’AFP une porte-parole de l'État major des Armées françaises.
Les images diffusées à l’appui de cette fausse information, dont l’AFP n’a pas retrouvé l’origine, "semblent être un reportage datant probablement de l'opération LICORNE en 2004" et remontent de façon certaine "au début des années 2000", estime la même source, se basant pour cela sur les tenues des militaires visibles sur les photos :"utilisées par les armées françaises entre 1994 et 2010", elles ne le sont plus de nos jours.
Outre l’armée, plusieurs sources ivoiriennes ont confirmé qu’aucun soldat français n’avait été aperçu le 25 octobre dans les zones évoquées. "Il n’y a pas eu de soldat français aux alentours du lycée Sainte-Marie, idem pour la Commission électorale indépendante", "c'est archi-faux", a ainsi indiqué à l’AFP le responsable de la communication de la CEI, Inza Kigbafory.
De même, l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) - organisme d’état chargé de lutter contre la désinformation en Côte d’Ivoire - a elle aussi dénoncé dès le 25 octobre 2025 une "fausse information". "Aucune présence de troupes étrangères n’a ni été signalée, ni été confirmée par les forces de l'ordre", a-t-elle démenti dans une publication sur sa page Facebook Alertes 100 (lien archivé ici).
"Il s’agit d’une manipulation et d’une tentative de désinformation, visant à semer la panique et à troubler l’ordre public à Abidjan", a ajouté l’organisme.
"Décrédibiliser le scrutin"
Les fausses rumeurs d'intervention de la France, l'utilisation d'images décontextualisées pour faire croire à des violences aux abords des bureaux de vote ou encore à de graves accidents constituent des éléments de désinformation graves en contexte électoral. Ces infox sont identifiées par différentes organisations locales comme des tentatives de perturbation du scrutin.
"De notre observation, les fausses informations diffusées dans le cadre de cette élection visaient surtout à décrédibiliser l’intégrité du scrutin et à semer la panique auprès de la population", a ainsi indiqué à l'AFP Valdez Onanina, chef du bureau d’Africa Check pour l’Afrique francophone.
Semer le doute sur la sécurité à proximité des bureaux de vote peut ainsi avoir pour conséquence d'effrayer les votants potentiels et d'augmenter le taux d'abstention. "L’abstention lors des élections nationales récentes en Afrique est passée de 18,2 % en 2001 à 24,7 % en 2023", soulignait ainsi en 2024 une étude de l'Institut d'Etudes de Sécurité (ISS), pour qui la désinformation est une des "tendances négatives" qui "mettent en péril la démocratie sur l’ensemble du continent" (lien archivé ici).
L'essentiel des narratifs qui ont visé cette fois-ci le scrutin ivoirien étaient structurés autour de quatre axes principaux, selon le compte-rendu du Consortium des organisations de la société civile pour les élections en Côte d’Ivoire (COSCEL-CI) : la dégradation de la situation sécuritaire, le report ou de l’annulation supposé des élections, l’ingérence française via une présence militaire ou des pressions politiques, et enfin des fausses annonces nécrologique ou d’agression ciblant des personnalités publiques (lien archivé ici).
"Deux dynamiques principales ont structuré cette désinformation : la manipulation interne et l’ingérence étrangère", a par ailleurs relevé le COSCEL dans son communiqué publié après l'élection. Valdez Onanina estime lui plutôt que "la plupart des publications trompeuses émanaient de profils basés en dehors de la Côte d'Ivoire".
"Les acteurs les plus actifs provenaient majoritairement de l’espace AES (Burkina Faso, Mali, Niger), déjà connus pour leurs opérations récurrentes de manipulation d’information et d’interférence étrangère", a indiqué à l'AFP Drissa Soulama, coordonnateur du COSCEL-CI.
Depuis le début de la campagne électorale, de très nombreuses vagues coordonnées de désinformation en provenance des Etats de l'AES ont frappé la Côte d'Ivoire (dépêche AFP archivée ici). Des comptes soutenant les juntes du Burkina, du Mali ou du Niger relaient quotidiennement des infox susceptibles de nuire au pouvoir ivoirien, visé pour ses bonnes relations avec l'ex-puissance coloniale française et son intransigeance face aux coups d'Etat militaires survenus dans ces trois pays entre 2020 et 2022.
AFP Factuel a déconstruit nombre de fausses informations sur l'élection présidentielle ivoirienne, pour beaucoup véhiculées par des comptes liés aux pays de l'AES (1, 2, 3, 4, 5, 6).
